Ou, plus simplement, Cendrillon ou Le Triomphe de la Bonté. C’est le “dramma giocoso“ en 2 actes, sur un livret de Jacopo Ferretti d’après le conte de Charles Perrault (1697), livret écrit en 22 jours et une musique de Gioachino Antonio Rossini, écrite en 23 !. Voilà le nouvel ouvrage du “Grand panda fainéant“, composé à Rome en 1817, courant janvier. Il sera donné au Théâtre du Capitole sur huit représentations du 29 mars au 7 avril. Deux distributions à l’affiche sont prévues.
C’est une nouvelle production pour le Théâtre et une coproduction avec l’Opéra de Riga en Lettonie. Le dernier “opéra buffa“ de Rossini fut donné dans la foulée de sa composition puisque sa création au Teatro Valle de Rome eut lieu le 25 janvier 1817. Rossini aura composé La Cenerentola pour les voix dont il disposait alors dans ce théâtre, construisant son œuvre autour de la voix rare de “mezzo coloratura“ d’une certaine Gertrude Giorgi-Righetti. Aujourd’hui, on parlerait de contralto. Donc, si vous voulez programmer l’ouvrage, il vous faut trouver la perle rare possédant une tessiture sur deux octaves, ajoutée à l’agilité et une coloration sombre des graves et du medium doit être respectée afin de ne pas dénaturer l’œuvre, tant sur le plan psychologique et musical. L’accueil fut très mitigé avant de connaître la célébrité. Paris attendra le 8 juin 1822 pour sa première représentation au Théâtre-Italien. Quant au Théâtre du Capitole, une production est à remarquer dans la saison 1984-85 mais elle est bien seule dans les annales !! Aussi, félicitons-nous de la production qui vous attend dans les jours à venir.
Si Stendhal trouvait que cette musique semblait manquer de “beau idéal“, Théophile Gautier lui, la trouvait « la plus heureuse, la plus gaie, et la plus aisément charmante qu’on puisse rêver. »
On remarquera que, tout au long de Cendrillon, Rossini exploite avec une habileté inouïe la force percussive des mots et des syllabes italiennes, les contours mélodiques les plus contrastés justifiant, encore une fois, les propos enthousiastes de Th. Gautier « L’allégresse et la pétulance italiennes exécutent sur les portées de la partition les gambades les plus joyeusement extravagantes en faisant babiller au bout de leurs doigts, comme des castagnettes, des grappes étincelantes, de trilles et d’arpèges. » Rossini est bien le compositeur le plus original , le plus inventif de l’histoire de l’opéra avec cette dose d’humour et de dérision qui le caractérisait.
Une telle musique doit être entre les mains d’une direction musicale au top. À ce sujet, on ne peut être inquiet puisque le chef est Michele Spotti, un chef fort apprécié lors de sa venue pour La Traviata, et fort applaudi en ce moment dans Idomeneo. Un chef qui respire la musique et la fait respirer. Dans la fosse, les musiciens de l’Orchestre national du Capitole. Il y a bien longtemps qu’on n’a pas lu la moindre critique défavorable concernant les présents dans la fosse, quelles que soient les œuvres données ces dernières années. La fête va donc continuer, à n’en pas douter, d’autant que Rossini s’est littéralement surpassé après Le Turc en Italie (1814) suivi du Barbier de Séville (1816). Une fois de plus, sa maestria éclate dans les ensembles, animés par de fulgurants et irrésistibles crescendos : quintette, duetto et finale de l’acte I, ce grand septuor avec chœurs, et le monumental sextuor dans le II. Etc, etc…
Et côté compliments, c’est pareil pour le Chœur de l’Opéra national du Capitole dont le Chef de chœur, Gabriel Bourgoin, a fort bien relevé le défi depuis sa récente prise en main.
Un ouvrage comme celui-ci nécessite une partie théâtre particulièrement étudiée, et donc efficace. Si le sujet à traiter est relativement simple, son déploiement vocal – la profusion des rôles de premier plan – et technique – l’importance des moyens nécessaires – contraste. C’est bien là, la difficulté pour monter un tel ouvrage. Cette partie est entre les mains du tandem Barbe & Doucet qui se charge de tout, de la mise en scène, des décors, des costumes et de l’indispensable chorégraphie, en sachant que, afin de respecter l’esprit de l’œuvre, l’abstraction et la sobriété ne peuvent être au rendez-vous. Le tandem avait sévi, il y a peu, pour une Bohème ici même, très réussie. Indissociable bien sûr, Oskar Paulins pour les lumières, tellement indispensables maintenant.
Côté personnages, (consulter le Vivace n° 18, indispensable) l’œuvre présente deux types de personnages se partageant la vedette : les “sentimentaux“, Angelina ou Cendrillon ou La Cenerentola, Don Ramiro et Alidoro et les “bouffes“, Dandini, Magnifico. On est presqu’au niveau d’un “semi-seria“ à cause du mélange du comique et du pathétique, du burlesque et de la poésie.
Cendrillon, c’est Adèle Charvet ou Floriane Hasler. C’est sans doute l’un des premiers personnages romantiques de l’histoire de l’opéra avec sa façon d’exprimer ses rêves, ses peines comme ses plaisirs, dans un style d’une naïveté touchante, justifiant bien le sous-titre de la bontà in trionfo. L’art du chant triomphe à chaque instant ou presque avec ce foisonnement de grupetti, de ports de voix, de cascades, de roulades et de vocalises étourdissantes. On aura l’équivalent chez Don Ramiro, prince de Salerne plein de jeunesse et de tendresse, d’enthousiasme et de détermination. Rude tâche pour ce rôle défendu par Levy Sekgapane ou Michele Angelini. Alidoro, le philosophe et précepteur du prince est aussi classé, “sentimental“ : c’est la basse Alex Rosen ou Adolfo Corrado.
Les deux basses bouffes doivent rivaliser de burlesque et de pantalonnades. On peut dire que tout ou presque leur est permis. Dandini frise la caricature et c’est pour Florian Sempey ou Philippe Estèphe. Quant à Don Magnifico, Nicola Alaimo ou Vincenzo Taormina, il a la naïveté et les fanfaronnades du Pantalon de la “commedia dell’ arte“ et son Arlequin est bien Dandini.
On n’oublie pas les deux sœurs, ou plutôt les deux chipies ou autres qualificatifs, personnages qui participent à leur manière à l’ambiance, c’est peu dire, la soprano Céline Laborie et la mezzo Julie Pasturaud, Clorinda et Tsibe, noms ironiquement repris aux bergères des pastorales baroques. Un duo efficace de deux…gourdes, disons-le, qui sont rarement ménagées côté théâtre dans une production de l’ouvrage.
Au sujet du langage musical de Gioacchino Rossini, immédiatement reconnaissable.
Stendhal, fin connaisseur de l’Italie, de ses cantatrices et de l’opéra en général, a consacré en 1823 un ouvrage à notre compositeur qui, malgré son parti-pris, n’en est pas moins un témoignage pris sur le vif. Pour l’auteur de La Chartreuse de Parme, Rossini « surpassé de bien loin par Mozart dans le genre tendre et mélancolique est le premier pour la vivacité, la rapidité, le piquant et tous les efforts qui en dérivent. » Le jaillissement de l’inspiration, l’exubérance des idées caractérisent le style de celui que l’on définissait comme le Rubens de la mélodie. Cette aptitude à capter le plaisir sensuel de la musique et plus particulièrement le pouvoir de la voix lui confère une renommée éblouissante qui éclipse celle de ses contemporains. En effet, par la ligne de chant, Rossini cherche avant tout à faire valoir les capacités de l’interprète avec « un cynisme mélodique » (Berlioz) qui attache plus de prix à l’instrumentation qu’aux recherches harmoniques. Le rythme accéléré parvient à un degré inconnu de tension jusque-là ignoré, et l’emploi massif des cuivres, l’utilisation efficace des percussions contribuent à susciter un sens dramatique très prégnant par les contrastes les plus accusés ainsi que par les oppositions de nuances.
L’art du crescendo consistant à développer – à partir d’une musique à la limite du silence – une rumeur du pianissimo au fortissimo pour s’enfler et atteindre un vacarme enivrant, est la marque de fabrique de celui que les chroniqueurs de l’époque surnommaient “il signor vacarmini.“ L’humour , la verve, la vitalité éblouissante d’une écriture pétillante comme du champagne ont contribué à asseoir l’influence de ce “Voltaire de la musique“ qui a apporté des transformations profondes dans le monde musical. L’écriture vocale est le fruit de la tradition baroque italienne. Elle développe les vocalità avec des ornements, des embellissements de la ligne mélodique. Rossini écrit une musique de tous les temps, et de plus, elle est merveilleusement secondée par son instinct de la scène et de l’expression dramatique. Et La Cenerentola en constitue un criant exemple venant après une autre signature comme Le Barbier de Séville.