Alors que je me remémore Guillaume Apollinaire, dans ses Alcools de 1913:
(…) Aux lisières lointaines
Les cerfs ont bramé
Et que j’aime ô saison que j’aime tes rumeurs
Les fruits tombant sans qu’on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
Qu’on foule
Un train
Qui roule
La vie
S’écoule.
d’autres coups de cœur me viennent à l’esprit.
CONCERT POUR L’ENFANCE EN DETRESSE
SAMEDI 25 NOVEMBRE 20H
HALLE AUX GRAINS DE TOULOUSE
Ce qu’il y a de terrible dans l’information moderne, c’est sa surenchère dans l’horreur qui pourtant ne s’attarde pas à tel endroit parce qu’elle se déchaine ailleurs. La guerre en Ukraine est passée au second plan supplantée par la guerre Israël-Palestine; mais par contre, ce sont comme toujours les populations civiles qui sont victimes, et cette fois-ci ciblées en priorité, d’un côté comme de l’autre. Les conventions de Genève de 1949, fixant des limites à la barbarie de la guerre et protègant les personnes qui ne participent pas aux hostilités (les civils, les membres du personnel sanitaire ou d’organisations humanitaires), ne sont plus qu’un lointain souvenir, des lettres mortes (1), et le Massacre des Innocents n’est plus cet épisode des temps bibliques relaté dans l’Évangile selon Matthieu…
Heureusement tandis que tant de gens s’acharnent à détruire des vies, dans l’ombre ils sont nombreux ceux qui s’évertuent à en sauver, ou du moins à améliorer celles des plus défavorisés.
Je me suis bien éloigné de la musique et de la poésie, de la culture en général, penseront certains; et pourtant non: qu’ils se rassurent, j’y arrive.
L’Amicale des Arméniens de Toulouse en partenariat avec la Maison des Droits des Enfants continuent à porter haut les valeurs d’humanisme, de fraternité, de liberté qui nous sont si chères, en organisant comme chaque année, autour de Mr Gérard Karagozian, depuis 27 ans déjà (!), un concert pour l’Enfance en détresse d’Arménie et d’ailleurs.
Et pourtant, nos amis arméniens « en ont gros sur le cœur » (qu’ils me pardonnent l’euphémisme), avec un conflit oublié, la situation de totale faiblesse de leur patrie dans la tourmente, de nouveaux massacres inutiles et impunis dans sa population civile, l’émigration forcée, toutes choses que leur peuple a déjà vécues il y a un peine un siècle.
Alors ne pas rater le concert exceptionnel du 25 novembre est une occasion pour leur apporter notre soutien et pour passer une soirée qui s’annonce superbe.
Elle sera une fois de plus, en deux parties:
D’abord Vagabundos,
Portés par l’excellence de leurs parcours respectifs, issus du classique, des musiques du monde, du jazz, de l’improvisation, ces Vagabonds musicaux aux identités et aux talents multiples offrent un monde musical basé sur les rythmes et mélodies fusent, d’où qu’ils viennent: Argentine, Espagne, Cuba, Balkans, Klezmer, Arménie, Latin-jazz. Olivier Ombredane aux flûtes, Pierre Buteau aux guitares, Patrick Vassort à la contrebasse et Sébastien Fauqué aux percussions, sont rejoints par Jean-Marc Phillips Varjabédian au violon, le grand violoniste du Trio Wanderer, un fidèle de la première heure de ce concert pour l’Enfance d’Arménie, son parrain. C’est un très beau voyage qui nous est promis.
« La Danse du Sabre » Concert à la Philharmonie de Paris
Vagabundo Vagabond
Tu peux sortir avec n’importe qui, na-na-na-na-na
Tu peux te perdre dans l’ivresse, na-na-na-na-na
Te faire tatouer la Bible au complet, ça ne t’aidera pas
À oublier un amour qui refuse de se terminer
Je peux être avec n’importe qui, na-na-na-na-na
Me comporter comme un vagabond, na-na-na-na-na
Et j’ai beau devenir confus quelquefois
Et me dire que je vais l’oublier
Tu as laissé ce vide que personne d’autre pourra remplir
Ensuite Dan Gharibian Trio,
Figure emblématique de la musique tsigane, Dan Gharibian continue de faire vivre ses mélodies arméniennes, russes et grecques, en chantant de sa voix remarquable, armé de sa folie et de son amour insensé de la vie.
« Si Bratsch fut le fer de lance de la musique tsigane et de l’Est dans les années 1980/90 et jusqu’à cette date fatidique du 31 décembre 2015 où ils arrêtèrent de sillonner le monde, Dan Gharibian en est une des figures emblématiques.
Santiags jamais quittées, élégance orientale, une “tronche” remarquable entre toutes et surtout une Voix. Une voix qui semble avoir absorbé toutes les fumées des bars de rébétiko, frottée à l’arak et à la vodka; une voix qui chante les chansons et ballades tsiganes, arméniennes, russes, le rebetiko grec.
Au programme également, des hommages à la chanson française, d’Aznavour (et pour cause) à Claude Nougaro.
Chant et guitare: Dan GHARIBIAN, Violon: Laurent Zeller, Accordéon : Antoine GIRARD.
Photo : Joëlle Besnier
« Boubasko Prasniko »
Du soleil pour les oreilles !
Locations : FNAC – CARREFOUR – GEANT – HYPER U – INTERMARCHE 0 892 68 36 22 (0,34€/min) – www.fnac.com
L’ENLÉVEMENT DE MARCO BELLOCHIO
Marco Bellocchio, comme Scorsese ou Ken Loach, fait partie de ces cinéastes octogénaires, parvenus au sommet de leur art, qui ne semblent pas décidés à s’arrêter de créer, et qui se bonifient encore en vieillissant, comme le bon vin.
L’Enlèvement (Rapito) est un film italo-franco-allemand sorti en 2023. Il s’inspire de l’histoire vraie d’Edgardo Mortara (1851-1940), jeune garçon né dans une famille juive et élevé dans le culte israélite, enlevé de force à sa famille bolonaise, en 1858, pour être éduqué afin de devenir prêtre catholique dans un « Institut » à la discipline quasi militaire, et qui, bien endoctriné, reniera totalement sa religion d’origine et sa famille, allant même jusqu’à vouloir baptiser sa mère sur son lit de mort !
Nombreux sont ceux, comme moi, qui ignoraient qu’en cas de danger de mort d’un enfant, et en l’absence de prêtre, n’importe quel chrétien baptisé est autorisé par le dogme catholique à « ondoyer », c’est-à-dire à le baptiser eux- mêmes par immersion dans l’eau.
Même si Pie IX et le Pape François sont à de années-lumière l’un de l’autre, le cinéaste affirme dans cette œuvre que le libre choix d’une religion, ou d’une autre, ou d’aucune, doit être laissé au libre-arbitre de chacun.
On mesure bien dans le film la toute-puissance pontificale, qui perdure aujourd’hui sans les excès et sans les états sur lesquels elle s’exerçait avant le Risorgimento (« la résurrection », politique celle-là) et l’Unité italienne, au prix de durs combats évoqués au passage. Au-delà du drame d’une enfance et d’une famille avec ses déchirements, d’un réquisitoire contre tous les endoctrinements et tous les obscurantismes, il y a la restitution d’une Eglise, « forteresse assiégée », arc-boutée sur ses convections et hostile à toute libéralisation des mœurs dans une période de grands bouleversements politiques, d’un pouvoir absolu assis sur l’idolâtrie d’une « sainteté » qui ne devrait être acceptable que dans l’Au-delà (si l’on y croit).
L’antisémitisme contre le peuple qui « a tué Jésus », très virulent chez les Catholiques du XiXe siècle, est sensible, il sera un des ferments dont jailliront les horreurs du XXe siècle avec la Shoah; cela a des résonnances étranges où les héritiers de ceux qui en ont été les zélateurs se targuent aujourd’hui de le dénoncer pour se faire une virginité…
L’affaire dont traite Bellochio a eu un retentissement international au XIXe siècle et il faut remercier l’historien Philippe Foro (3), Maître de Conférence à l’Université Jean-Jaurès, spécialiste de l’Histoire de la religion catholique mais aussi de l’celle de l’Italie contemporaine, pour l’éclairage qu’il nous a offert après la première projection à l’ABC.
En remettant d’abord ce fait divers dans son contexte historique.
Par ailleurs, il a aussi rappelé que ce genre de fait divers n’était pas unique à l’époque mais aussi au XXe siècle, par exemple sous l’Occupation avec les enfants juifs cachés, toujours au prétexte de les sauver d’un danger mort et nonobstant leur religion d’origine. L’affaire des enfants Finally, cachés par la directrice de la crèche municipale de Grenoble, et baptisés par celle-ci, qui refusa plus tard de les rendre à leur tante, leurs parents ayant été exterminés, avait fait grand bruit à l’époque.
Ce film est avant tout une reconstitution historique de grande qualité réussie par le cinéaste, au-delà de ses fantasmes oniriques et de sa matière à réflexion. On y retrouve les comédiens fétiches de Bellochio, déjà présents dans ses films précédents et sa série télévisée (Le Traître / Il traditore, Esterno notte / Extérieur nuit etc.); ils sont tous impeccables.J’attendais cependant un peu plus de la musique très opératique (4), mis à part les passages chantés de circonstance dans la pompe du rituel liturgique, comme on peut encore le voir à Sainte-Marie Majeure à Rome.
Mais au final, je suis ressorti de ce grand moment de cinéma, (et je ne suis pas le seul), sans m’être lassé un seul instant à cause de sa longueur, touché par le contraste entre la beauté des images et la tristesse d’une enfance volée.
L’enlèvement-5-©-Anna-Camerlingo-2023-Tous-droits-reserves-IBC-MOVIE-
Et j’ai pensé à Saint-Exupéry qui disait: Je suis de mon enfance comme d’un pays; en ajoutant… perdu.
.CATALOGUE D’UN EXILÉ de FALMARÈS
(Flammarion)
Une découverte poétique comme j’en ressens peu depuis le début de ce XXIe siècle.
Mohamed Bangoura, dit Falmarès, est un poète, un vrai, comme l’était Rimbaud, le jeune marcheur considérable, mais dans le sens inverse. À l’âge de 14 ans, après avoir traversé le Mali, l’Algérie, la Libye, il finit « par être embarqué sur un zodiac de 7 mètres où sont entassés 180 personnes, direction l’Italie ». C’est dans le camp de migrants de Bolzano qu’il se lance dans l’écriture. Il arrive ensuite en France, à Nantes en 2017, où il publie en 2018 son premier recueil de poèmes, « Soulagements » Il a alors 16 ans. En 2020, à 22 ans, il fait notamment partie du jury du prix Ouest-France Étonnants Voyageurs.
Trouver la beauté dans ce « voyage en enfer », mettre en scène la migration et l’exil, voilà ce que nous offre la poésie de Falmarès. Ce recueil reflète l’espoir, les odes à la beauté et à la poésie d’ici et d’ailleurs autant que la douleur, la perte et le manque. Héritier des plus grands poètes français auxquels il rend hommage – de Césaire à Rimbaud -, ce « réfugié poétique » puise dans sa langue la force de sa résilience. « Ses poèmes sont nimbés de lumière et de pardon », comme l’écrit le poète Nimrod dans sa préface.
Même si à mon goût, ce recueil est inégal, qu’il aurait mérité davantage d’épure et d’être condensé en moins de pages, ce qui aurait mis encore plus en valeur des flamboyances, des fulgurances, comme:
Je suis ce poète à langue d’oiseau
Fils d’Afrique lointaine
Petit-fils de griot et de paysans
Et descendant premier de Césaire et Senghor ;
Le monde est une jungle
J’invoque la mémoire des ancêtres
Et des poètes assassinés
Pour une terre en éclosion…
(Le monde est une jungle)
Ou
Je ne suis pas Migrant
Je ne suis pas exilé
Je ne suis pas homme de couleur
Je suis un enfant de de tous les pays.
Je suis un être de bâtonnets
Semblable au vin panaché du pays
Semblable à la canne à sucre
Semblable au ballet dansant de l’oiseau griot.
Je ne suis pas Migrant
Pas étranger
Pas même apatride
Ni expatrié
Ni refugié
Ni même immigré.
Je suis un petit corbeau des mers en ébullition
Un champ hybride en labour…
je pense que Birago Diop et mon cher Francis Bébey, qui me manque tant, auraient adoubé ce poète de 17 ans si prometteur:
A sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie…
Pour en savoir plus :
Les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels sont des traités internationaux qui contiennent les règles essentielles fixant des limites à la barbarie de la guerre. Ils protègent les personnes qui ne participent pas aux hostilités (les civils, les membres du personnel sanitaire ou d’organisations humanitaires) ainsi que celles qui ne prennent plus part aux combats (les blessés, les malades et les naufragés, les prisonniers de guerre).
- Amicale des Arméniens de Toulouse: guiank@gmail.com
Cette association a pour but d’entretenir chez les personnes d’origine arménienne leurs racines culturelles. Ses objectifs se sont enrichis d’activités caritatives à partir de 1988, année du terrible séisme qui a frappé l’Arménie puis de l’accession de ce pays à l’indépendance face aux immenses besoins qui en découlent. En privilégiant l’aide à l’Enfance en détresse de Midi-Pyrénées et d’Arménie les Français d’origine arménienne avec le concours de nombreux sympathisants souhaitent participer à une noble cause et témoigner de leur reconnaissance envers leurs deux patries. Depuis 1997 un concert est organisé afin de recueillir les fonds nécessaires répartis entre la Maison des Droits des Enfant et Des Jeunes à Toulouse et en Arménie pour la réhabilitation d’un orphelinat, d’un centre de réinsertion d’enfants « des rues » VARDACHEN à quelques kilomètres de la capitale EREVAN.
- L’affaire Aldo Moro de Philippe Foro aux Editions Vendémiaire:
https://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/collection-echo/l-affaire-aldo-moro/
- Relatif à l’opéra en tant que genre.