Olivier Py nous plonge au cœur fantasmatique du pouvoir avec le plus grand opéra russe, Boris Godounov. Du compositeur Modeste Moussorgski, le pouvoir évoqué dans le Boris authentique l’est dans une vision éminemment tragique et politique. Cinq représentations et pas une de plus à partir du 24 novembre à l’Opéra national du Capitole.
Cette nouvelle production sera dirigé par Andris Poga, directeur musical de l’Orchestre symphonique de Lettonie et chef principal de l’Orchestre symphonique de Stavanger, ville de Norvège, un chef que nous avons déjà accueilli à la Halle et qui dirigera, pour la première fois au Théâtre et aussi sa première de Boris, de plus dans la version choisie dite “originale“, déjà rencontrée au Capitole.
« Le retour à la version originale de Moussorgski est notre devoir social et je suis convaincu que le plus génial des compositeurs russes nous récompensera par un plaisir infini d’avoir accompli ce devoir. » 1926 par Anatole Lounartcharski, commissaire à la culture du gouvernement soviétique de 1917 à sa mort.
Cette version de Boris se compose de sept tableaux, dite de 1869, et s’appuie sur un livret du compositeur d’après Alexandre Pouchkine et l’Histoire de l’Etat de Russie de Nikolai Karamzine. On ne va pas ici s’étendre sur les soubresauts de l’opéra depuis le 15 décembre 1869 en fonction des différentes versions qui se sont succédées mais on se réjouit que ce soit cette version dont s’empare Olivier Py, en tant que metteur en scène, comédien, auteur, homme de théâtre affirmé et reconnu. Et il nous plaît de citer l’idée-résumé qui le guide à savoir : « Le théâtre, l’opéra, et Boris Godounov en particulier, nous permettent, si ce n’est de comprendre, du moins d’approcher, d’éprouver l’incompréhensible, le non-sens tragique de l’Histoire. » Dans cette rude tâche enthousiasmante pour des pratiquants du théâtre et du chant et de la musique, il est aidé par Daniel Izzo, aux décors et costumes, l’inséparable Pierre-André Weitz et aux lumières Bertrand Kiry.
Toute l’âpre authenticité de la musique du compositeur sera entre les mains, si l’on peut dire, des musiciens de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse. Leur enthousiasme devrait faire merveille de même que pour les membres du Chœur et de la Maîtrise de l’Opéra national du Capitole sous la direction de leur Chef Gabriel Bourgoin. Quand on a entendu leur récente performance dans le Mefistofele de Boito et le Requiem de Mozart, aucune inquiétude à avoir.
Un peu d’histoire afin de situer la distribution, avant de résumer le synopsis retenu pour les sept tableaux qui constituent cette version.
« Dans Boris, Moussorgski voulut exprimer son amour affligé pour sa patrie tourmentée. Même sale et couvert de cicatrices, le personnage qu’il créa a pu émouvoir notre cœur. Les peuples libérés de l’URSS ont le droit de savoir ce que Moussorgski leur a légué dans ses manuscrits, ce que la censure a étranglé, ce que l’élégante main d’un autre maître a affiné, atténué ou rejeté. Cette main fit la toilette du fils balourd et titanesque du peuple, elle lui prêta les manières qu’il convenait d’avoir pour se montrer en public. » A. Lounartcharski
« Je vois dans le peuple une grande personnalité animée par une même idée. C’est ce que j’ai tenté d’exprimer dans mon opéra. » disait Moussorgsky définissant le dessein de son opéra. Personne, même Mikhail Glinka dans son opéra patriotique héroïco-tragique “Ivan Soussassine“ ou Une Vie pour le Tsar n’avait montré sur une scène d’opéra avec tant de vérité la masse paysanne et jamais une si grande place ne lui avait été réservée dans la construction de l’action. Pour la première fois, on entendait résonner dans l’opéra russe les années soixante, la plainte du peuple opprimé, ses gémissements, sa colère. Le dessein révolutionnaire de l’opéra se manifeste avec éclat dans la scène géniale de l’insurrection populaire “devant Kromy“ (tableau final). Tel une explosion de colère populaire contre le tsar (César) Boris et les “chiens de Boris“ dans lesquels le peuple voit les principaux coupables de leurs malheurs, s’élève , balayant tout sur son passage, la chanson puissante de la vaillance, de la force rebelle du peuple.
L’idée d’un opéra tiré de la tragédie historique de Pouchkine (terminée en 1831 et censurée aussitôt en grande partie et qui attendra 1907 pour être jouée) fut donnée à Moussorgski par son ami et admirateur, l’historien de la littérature russe V. V. Nikolski. C’était en 1868. À cette époque, le compositeur manifestait dans ses œuvres un penchant prononcé pour la représentation de la vie populaire russe et tout autant, un grand talent d’artiste démocrate réaliste. La proposition de son ami le passionna. Il laisse de côté un opéra amorcé, “Salambô et le Lybien“ d’après Flaubert, récupère du matériau musical, et tout en composant, de façon effrénée, il se plonge dans l’étude de documents historiques de l’époque, aidé par un certain V. V. Stassov. Ce dernier lui cherchait des paroles de chansons populaires, et lui fournissait une documentation puisée à diverses sources historiques.
Le 15 décembre 1869, la partition est achevée et soumise au jugement de la censure en octobre 1870. Rejeté. Encouragé par ses amis, Moussorgsky s’attèle à remanier son opéra, mais de façon conséquente et radicale. Des pans entiers sont écartés tandis qu’une foule de menus compléments apparaissent. Deuxième tentative : rejeté à nouveau. Finalement, pour faire court, après des pressions diverses, la première eut lieu à Saint-Pétersbourg le 27 janvier 1874. Boris Godounov ne sera présenté à Moscou qu’après la mort du compositeur, le 16 décembre 1888, certaines scènes toujours absentes.
Ce sera dans la version passablement remaniée par Rimski-Korsakov, et définitive en 1896 que Boris Godounov va poursuivre sa carrière scénique avec l’aide conséquente d’un chanteur mythique du rôle, Fedor Chaliapine. Sa première eut lieu le 7 décembre 1898 au Théâtre Mamontov de Moscou.
Presque tous les théâtres russes monteront Boris dans la version Rimski-Korsakov. Puis, petit à petit, cette version est délaissée et les directeurs artistiques ont soif de retrouver LA musique de Moussorgsky, cet âpre langage sonore, et retour aux timbres sombres, ses aspérités , ses maladresses mais surtout son authenticité et éloigner Boris autant que faire se peut de… Shéhérazade. Mais, c’est dès les années 1920 que l’on pouvait lire dans la Revue musicale : « Plus on étudie la musique de Moussorgski telle qu’il l’écrivit, et mieux on voit l’injustice de l’incompétence technique dont on l’accabla et le manque de clairvoyance de ses conseillers et correcteurs. »
Petit rafraîchissement historique !!
Ivan IV le Terrible est un descendant de la dynastie des Riourik. Il est élevé dans l’idée d’une autocratie d’origine divine. Il se sacre premier tsar (Cæsar) de Russie en 1547. Il a dix-sept ans. Il en est aujourd’hui considéré comme le premier souverain moderne. Parmi ses proches, on trouve notamment la famille des Romanov (objet de l’opéra de Glinka) et Boris Godounov, roturier d’origine tartare. Ivan eut trois fils. Il tue l’aîné dans un accès de fureur en 1581. Il sombre d’ailleurs lui-même dans la folie. Il meurt en 1584. C’est son second fils Fiodor Ier qui fut fait tsar. Celui-ci avait auparavant épousé la sœur de Boris Godounov. Mais il est incapable de gouverner et très vite son règne se transforme en une régence assurée par le beau-frère. En 1591, encore une tragédie avec le troisième fils d’Ivan, Dimitri qui trouve la mort en exil dans des circonstances pour le moins mystérieuses : accident ou tentative, réussie de Boris pour éloigné Dimitri du trône. Quoi qu’il en soit, deux fils décédés, à la mort du deuxième, Fiodor en 1598, il n’y a plus personne pour être proclamé tsar. C’est ici qu’entre en jeu l’opéra avec la première scène dans laquelle le peuple réclame Boris comme tsar.
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