Tout plaquer pour vivre de sa passion, c’est l’histoire qui se cache derrière le comptoir du bar des Vedettes à Toulouse. On est parti à la rencontre de Christophe et Alain, deux anciens salariés d’Airbus, qui ont pris leur envol jusqu’aux halles du marché Saint-Cyprien. Aujourd’hui les deux amis vivent de ce qu’ils aiment : la restauration et le contact humain.
Ô Saint-Cyrprien… Ses places, ses musées, ses jardins, et son marché ! Lieu emblématique de la ville, les halles marchandes du quartier rive gauche abritent 38 commerçants. Parmi eux, à l’intersection du marché, se trouve le bar des Vedettes. Nous sommes partis à la rencontre de ses responsables : Christophe et Alain, deux anciens employés en aéronautique. Reportage.
Une journée au bar des Vedettes
Arrivée au marché Saint-Cyprien, le téléphone affiche 9h30. Juste le temps de traverser le couloir des halles, pour tomber nez à nez avec Christophe, déjà en pleine activité : il enfile les morceaux de saucisse sur leurs piques en bois : c’est brochettes au menu ce midi.
À l’extérieur, Alain, lui, prépare les barriques d’huîtres. À partir du jeudi, les clients peuvent profiter d’huîtres fraîches, tout droit venues du Cap Ferret; et ce, à n’importe quelle heure de la journée. Alain nous a confié : “J’ouvre les huîtres à la demande des clients. Quelques fois, ça arrive dès 7h du matin, avec des verres de blanc. C’est souvent des personnes qui ne sont pas encore couchées”, sourit-il. Il y a pire petit déjeuner, surtout quand on sait que ces cadeaux de la mer proviennent de la production du plus célèbre des ostréiculteurs, Joël Dupuch. Mais si, vous savez, il joue son propre rôle dans Les Petits Mouchoirs, de Guillaume Canet.
L’horloge sonne 10h00, c’est l’heure de servir des clients en terrasse. Sur le bon de commande, majoritairement des cafés. La machine a déjà bien tournée depuis ce matin. Les premières tasses sont servies dès 7h, à l’ouverture du marché. Alain et Christophe se rejoignent à 6h45 pour installer les tables, et accueillir les premiers clients, des commerçants des alentours. Au fil de la journée, la clientèle change mais se ressemble, Alain précise : « On connaît le quartier. Beaucoup de nos clients sont des habitués, qui reviennent quotidiennement. »
En parlant d’habitués, en voilà une. Lucie, 77 ans. Pour elle, venir en terrasse du bar des Vedettes est un rendez-vous quotidien. “C’est très sympa ici, je viens tous les jours, soit pour boire un café, soit une bière, tout dépend de l’heure”, esquisse-t-elle, en précisant que la veille, elle n’avait pas pu venir à cause d’un rendez-vous médical.
Et si les deux hommes ont réussi à fidéliser leur clientèle, c’est sûrement grâce à leur sens de la convivialité et leur accessibilité. Christophe derrière le bar et Alain au service, les personnalités des deux hommes sont mises à l’honneur, dans leur rôle respectif. D’un côté, Alain, accueille les clients en terrasse, souriant et plein de belles énergies. Il assure le service avec délicatesse et une proximité réconfortante. Pour chacune de ses tables, Alain a le bon mot pour faire sourire, la bonne blague gentille pour afficher la couleur du bar.
De l’autre côté, Christophe se réfugie derrière le bar, à l’affût des bons de commande posés par Alain, et prêt à recevoir les clients à la préférence de consommer debout, au comptoir. Entre deux tasses de café remplies, Christophe prépare le repas dans son étroite cuisine, avec comme seule frustration, qu’elle ne soit pas plus grande. Il a la matinée pour préparer tous les produits frais de la journée. D’ailleurs, les douze coups de midi ne devraient plus trop tarder à retentir, la terrasse se remplie, il est temps de sortir les premiers plats.
Entre les primeurs, les vendeurs d’épices et d’olives, les fromagers, les poissonniers et les charcutiers voisins; le bar des Vedettes propose une cuisine goûteuse, authentique, à la bonne franquette ! Avec plus d’une dizaine de tapas à la carte (disponibles à partir du mercredi), le bar de marché se fournit en produits du terroir : sardines et maquereaux de la conserverie la belle-iloise, chiffonnade de jambon Ibérique du Pays Basque, rillettes et grattons du Périgord… Christophe passe derrière les fourneaux pour sortir de délicieuses créations maison : pan con tomate, confit d’oignons aux anchois, ou encore les fameuses brochettes de saucisses, préparées le matin même.
Une généreuse carte de vins de la région vient compléter le repas. Dans le ballon, une sélection de vins de Corbières, de Côtes du Roussillon ou encore de Fronton. Rouge, blanc ou rosé, le vin partage l’affiche avec quelques cocktails. Les deux hommes remettent les vieux alcools à l’honneur : Suze Cassis, Lillet Tonic, Americano…
Mais pour déguster une bonne assiette d’huîtres fraiches, on privilégie un beau verre de vin blanc, évidemment. C’est d’ailleurs la commande d’un client qui vient de s’installer sur la terrasse, aveuglé par le soleil. Christophe s’occupe de développer le store; Alain, tablier enfilé, se charge de l’ouverture des huîtres.
Le bar des Vedettes, flanqué de ses hauts tabourets en bois, ses tonneaux et sa terrasse rouge, est le repaire des jeunes fêtards comme des personnes plus âgées qui viennent prendre leur dose de café, de vitamine D, et surtout de bonne humeur. Le bar de journée repousse l’horaire de fermeture (habituellement fixée aux alentours de 14h30, avec la sortie des derniers clients), les soirs de nocturnes, ou lorsque des groupes privatisent les lieux. C’est le cas d’une cliente présente, Christine, habituée du marché, elle déjeune seule sur une des tables de la terrasse, Alain est là pour lui tenir compagnie à ses minutes perdues.
Christine se souviendra toute sa vie de son pot de départ à la retraite : « Christophe et Alain se sont mis à ma disposition, ils sont adorables. Je suis venue un dimanche midi avec mes amis, dans une ambiance simple et champêtre. Que se soit au niveau de la quantité ou de la qualité, nous nous sommes régalés. Depuis qu’ils sont arrivés, le bar donne plus envie. J’y viens deux fois par semaine, boire le café ou grignoter un bout », nous a-t-elle confié. Les jours de fête et sur demande, Christophe met les petits plats dans les grands, et propose à ses clients davantage de préparations : andouillettes, merguez, saucisses…
Les soirs de nocturnes, le marché Saint-Cyprien se transforme en place du village, où le monde grouille entre chaque bar et stand de nourriture. Autant vous dire que notre équipe du bar des Vedettes est opérationnelle pour tenir jusqu’au bout de la nuit (23h c’est amplement suffisant). Pour venir épauler les deux amis, leur entourage est de mise. Famille, proches et conjointes les rejoignent derrière le bar extérieur pour servir les commandes qui s’enchainent. En effet, la dernière nocturne en date, le mercredi 27 septembre 2023, a réuni entre 5 000 et 6 000 personnes sur les lieux.
Christophe & Alain, les vraies vedettes du bar
Mais comment ces deux amis de longue date en sont arrivés à servir des assiettes d’huîtres, des tapas du terroir, et des verres de vin au marché de Saint-Cyprien ? Durant la journée, entre deux commandes, nous avons réussi à trouver un moment pour se confier.
Christophe habite le quartier depuis 20 ans. En 2000, il commence sa carrière au sein d’Airbus, en tant que peintre en aéronautique, puis gravit les échelons jusqu’au poste de chef d’atelier peinture. C’est dans ce même atelier qu’il fait la rencontre d’Alain. Le coup de foudre amical est presque immédiat. Seulement, en 2020, du côté de Christophe, au bout de 20 ans de carrière, la passion des premiers jours s’est atténuée. Il ne trouve plus sa place au sein de l’entreprise : “Mon travail ne correspondait plus à ma personnalité ”. L’arrivée du covid aura eu raison de lui. Airbus a dû instaurer un plan social économique. Une aubaine finalement pour Christophe, qui a saisi la perche pour se tourner vers une autre direction, celle qui la fait vibrer aujourd’hui, la restauration.
Alors, est arrivé le moment de l’annoncer à son collègue de travail, son ami de tous les jours, Alain. Christophe raconte : “Un soir, il est venu prendre l’apéro à la maison. Je lui ai annoncé mon projet, que j’allais quitter Airbus”. “Il n’a même pas eu besoin de me convaincre, je l’ai suivi dans la seconde”, enchaîne Alain. Lui, c’est en 1989 qu’il rejoint la grande famille d’Airbus. 31 ans de carrière durant lesquels il a évolué au poste de spécialiste gestion de la qualité, puis responsable qualité peinture, pour se tourner finalement dans le secteur digitalisation et communication de la chaîne d’assemblage A330. Parce qu’au fond, ce qu’il le fait vibrer dans cette branche de métiers, c’est de pouvoir améliorer les pratiques en atelier grâce aux nouvelles technologies mais aussi soutenir et promouvoir des projets imaginés par les ouvriers, qui pour lui, demeurent la meilleure source d’idées de progression pour une entreprise. Il va donc créer un journal interne de la chaîne d’assemblage, animer des échanges et concours d’innovation, organiser des « team booster »…. Bref, le contact humain le passionne. Avec l’arrivée du covid, les budgets communication et innovation n’étaient plus prioritaires, et pourtant c’était ce qui intéressait dorénavant le plus Alain. « Je n’en avais pas marre mais j’avais peur de faire des choses moins intéressantes pour moi », nous a-t-il confié sur son état d’esprit au moment où il a quitté son emploi au sein du géant de l’aéronautique.
Christophe, résidant du quartier Saint-Cyprien, vient régulièrement au marché couvert, jusqu’au jour où il apprend que le bar des Vedettes cherche un nouveau propriétaire. Avec Alain, ils ont franchi chaque étape qui les séparait de leur objectif. Leur lettre de motivation a porté ses fruits. Leur volonté de prendre part à la vie du marché, participer à sa dynamisation et son amélioration est prise en compte. L’aventure commencera le 3 août 2021.
Les deux hommes ont alors 6 mois d’adaptation, durant lesquels Christophe a pu former Alain. « Je n’y connaissais rien. Mais je me suis vite rendu compte qu’il fallait des compétences en gestion, logistique, et avoir la fibre commerciale. Je me sers de tout ce que j’ai appris avec ma carrière à Airbus », précise Alain. Pour Christophe, le monde de la restauration n’est pas complètement inconnu. Plus jeune, il a validé un CAP de barman, il a déjà travaillé en tant que remplaçant dans des restaurants.
Aujourd’hui, entre les deux hommes, l’entente professionnelle est constante, la complémentarité, exemplaire. Leur identité est affirmée, leur épanouissement grandissant. « Vous avez vraiment réussi à faire vivre cet endroit comme des chefs » lance un client avant de quitter sa chaise, curieux de notre échange. Et c’est ça, le résultat d’un travail fait avec passion. Alain conclut : « Dans la vie il y a deux sortes de métiers : ceux qui permettent de vivre, et ceux qui permettent d’exister ».
Et c’est ainsi que renaquit le bar des Vedettes du marché Saint-Cyprien à Toulouse. Sur ces derniers mots, je les laisse débarrasser les dernières tables de la terrasse, et penser peut être à leurs futurs projets… Affaire à suivre !