C’est bien, en effet, une nouvelle partition de Benjamin Britten qui fait son entrée au répertoire de l’Opéra national du Capitole en ce printemps 2023, du 23 au 30 mai, le premier opéra de chambre imaginé par le compositeur. Un ouvrage particulièrement exigeant au niveau, de la mise en scène confiée à Anne Delblée, mais aussi sur le plan de la direction musicale. Là, Christophe Ghristi a toute confiance en Marius Steighorst. Les douze musiciens sont de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse.
C’est l’une des partitions parmi les plus accomplies du compositeur britannique, né en 1913 et décédé en 1976. Il est l’un des rares opéras, dits encore contemporains, ayant survécu après leurs premières représentations. The Rape of Lucretia en fait bien partie après moult productions et donné maintenant dans les plus grandes salles d’art lyrique.
Sa création eut lieu au Festival de Glyndebourne le 12 juillet 1946 et y fut joué plus de cent fois dans les dix-huit mois qui ont suivi. Succès total en cette période nommée l’âge d’or, le public ayant alors un besoin fou d’oublier les dernières années vécues. La première française eut lieu à Mulhouse en 1948, production qui voyagea jusqu’à Paris quelques mois plus tard. Et si une production alla d’Édinbourg jusqu’à Leningrad puis Moscou, celle de Bordeaux en 1964 ne remonta pas le fleuve Garonne pour divertir les toulousains. C’est donc bien une véritable Première en ce mardi 23 mai 2023, même si la scène du Capitole a connu entre temps nombre d’ouvrages lyriques de Britten. On peut citer avec plaisir Curlew River, Billy Budd (1995), Peter Grimes (2000), Albert Herring, Le Tour d’écrou, Owen Windgrave, tous fort bien accueillis.
C’est un drame musical miniature en deux actes hérité de la tradition des masques dans l’esprit d’Henry Purcell dont Britten reprend les principes de l’opéra de chambre créé au XVIIè. Le modèle du célèbre Didon et Énée n’est donc pas loin. Intéressant de constater que cet opéra est contemporain de la pièce sous-titrée Variations et Fugue sur un thème de Purcell. C’est une œuvre orchestrale écrite en 1946 dans le but d’initier les jeunes aux instruments de l’orchestre. Le thème principal est inspiré d’une danse d’Henry Purcell, le rondeau d’Abdelazer.
Britten renonce à l’emphase symphonique au profil d’un ensemble intime de vents (flutiste poly…, hautbois, clarinette et basson) auxquels se joignent une harpe, la percussion, associés à un quatuor à cordes (avec contrebasse) et le piano sur lequel le chef peut jouer les récitatifs. Soit douze musiciens plus le chef pour dix-sept instruments. Le fait que l’œuvre en question soit devenue celle la plus internationalement reconnue de Britten s’explique pour certains par le fait que c’est certainement, tout bien fouillé, le plus lyrique de tous ses opéras. On peut remarquer qu’à la sortie de la guerre, les ressources théâtrales sont rares, et qu’un tel plan de l’ouvrage puisse plaire aux directeurs de salle mais, toute médaille a son revers, un tel orchestre exige évidemment des instrumentistes aux qualités de …solistes. La partition est tout aussi exigeante question attention spéciale du public : ici, ce ne sont pas les trompettes d’Aïda et le défilé des éléphants qui vous distraient. Il faudra être très attentif, par les yeux et par les oreilles.
Exigence toujours au niveau théâtral d’où le choix d’Anne Delblée, grande dame de la tragédie dans le monde du Théâtre dont on a pu ici même apprécier toutes les qualités dans une mémorable Norma. L’artiste reconnaît avoir été, après lecture du livret, comme foudroyée et bien sûr “emballée“ par la proposition de lui confier la mise en scène pour une production prévue alors pour la saison 2020-2021. Le sujet donc – la destruction de la vertu et de la beauté – ne se traite pas à la légère. Si le compositeur y reviendra souvent par la suite, The Rape of Lucretia est considéré comme son deuxième opéra, ce thème universel est traité hors de l’atmosphère anglaise dans laquelle baigne beaucoup de son œuvre. Dans sa tâche, elle est aidée par Émilie Delblée, par Hernán Peñuela aux décors, Mine Vergez aux costumes, Jacopo Pantani aux lumières et Marie-Christine Franc sur un plan général.
Ovide et Shakespeare sont les sources de la pièce d’André Obey, écrivain français (1892-1975), Le Viol de Lucrèce (1931) dont le collaborateur de Britten, Ronald Duncan, s’est inspiré pour une grande partie de son livret. Obey avait introduit un grand changement dans la construction dramatique de l’histoire avec la présence de deux narrateurs (ou “chœurs“ au sens grec), de grande importance, qui commentent l’action à côté des six chanteurs. Ils tiennent la place du coryphée dans la tragédie grecque. Le “chœur masculin“, c’est le ténor Cyrille Dubois, et le “chœur féminin“, la soprano Marie-Laure Garnier. Ils forment un cadre à la tragédie hors du temps et de l’espace, décrivent ce que ne montre pas l’action et surtout les tensions psychologiques que vivent les personnages et qui sont induites par le déroulement du drame. Leur rôle est primordial. Cette forme dramatique permet le développement d’un style qui passe imperceptiblement du jeu chanté au mime, quand la situation réclame une dimension extra-théâtrale qui transcende les limites de la mise en scène réaliste. Elle offrait aussi au compositeur la possibilité d’une fin …morale qu’il réclame au dernier moment. Le pacifiste et moraliste Britten, ne l’oublions pas, n’aurait jamais choisi un tel sujet si cruel sans pouvoir lier la cruauté à l’espoir final de rédemption.
Notons que ces rapprochements du thème du Viol avec l’éthique chrétienne lui valurent alors bien des critiques. À un point tel qu’il se sentit dans l’obligation, après la Première, d’écrire une lettre. On pouvait y lire : « Je pensais qu’on ne pouvait plus choquer personne. Je découvre qu’en considérant avec simplicité les choses spirituelles importantes, on obtient encore de violents réactions. »
Allons-y pour quelques mots sur le synopsis de l’ouvrage. Pour se faire cliquez ici.