Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre injustement méconnu.
Eminente spécialiste et historienne des Etats-Unis auxquels elle a consacré une quinzaine d’ouvrages, Nicole Bacharan change de registre avec son nouveau livre qui dresse un portrait de sa mère, Ginette Guy, engagée dès ses dix-huit ans sous l’Occupation « dans le plus dangereux des combats » qui lui vaudra d’être arrêtée et torturée par la Gestapo. Ginette Guy fut une résistante « ordinaire », une « boîte aux lettres », l’un de ces agents de liaison dont la grande Histoire n’a pas retenu les noms mais qui furent aussi décisifs que les combattants dans cette armée de l’ombre sauvant l’honneur du vieux pays. C’est précisément l’honneur et ses réflexes, plutôt que la conscience et ses positions latitudinaires, qui poussèrent la jeune fille à risquer sa vie. De son père Louis, ancien de 14, antimilitariste et cependant patriote, socialiste et républicain, elle avait hérité une certaine idée de la justice, mais l’engagement de Ginette Guy dépassa les simples convictions politiques.
Ayant quitté son Lézignan natal dans les Corbières, la petite Ginette découvre Toulouse, ses grands cafés, ses cinémas. La place Wilson lui semble le centre du monde. A Toulouse, elle se fait embaucher chez un fourreur juif et surtout tombe amoureuse de Jean Oberman, beau garçon charismatique né dans une famille juive de Pologne installée à Paris puis repliée en zone libre. Pendant ce temps, les mesures et la politique antisémites de Vichy et de ses alliés nazis font rage. A Paris a lieu la grande rafle du Vél’d’Hiv. Le secrétaire général de la police de Vichy, René Bousquet, parade avec le général SS Oberg. Monseigneur Saliège, archevêque de Toulouse, fait lire une lettre dans les églises de son diocèse dans laquelle il prend la défense des Juifs persécutés. Les Allemands occupent la zone libre. A Toulouse comme ailleurs, les pénuries et le rationnement s’aggravent. Gestapistes et miliciens accomplissent leurs basses œuvres. La Résistance s’organise. Marcel Langer, juif et communiste, l’un des dirigeants des FTP-MOI, est guillotiné à la prison Saint-Michel. La Dépêche tempête contre les « terroristes ».
Une âme ardente
La plus résistante de toutes reconstitue cette époque à travers l’évocation de la vie quotidienne, des petits faits vrais et des événements plus généraux. Pour Ginette Guy, le basculement vers la Résistance se fait d’abord par l’aide qu’elle apporte à la famille de son amoureux Jean via des couvents et des institutions catholiques de la région (la « réseau Saliège ») qui vont accueillir et cacher des enfants juifs. Puis, Ginette va devenir « Marie-Claude » et entrer dans la clandestinité. Dans son parcours, on croise aussi Charles Arnal, ancien bâtonnier de Toulouse, catholique et monarchiste, patriote intransigeant, qui défendit en tant qu’avocat résistants et parias.
Loin de Toulouse, c’est à Marseille que « Marie-Claude » sera arrêtée en 1944. La ville est sous la coupe de Simon Sabiani, communiste passé au PPF, le parti fasciste et collaborationniste de Doriot, qui a scellé des noces de fer entre grand banditisme et fange pro-nazie. Au siège de la Gestapo, installé dans la mal nommée « rue Paradis », la jeune fille passe entre les griffes d’Ernst Dunker, alias « Delage », officier SS pourchassant la Résistance intérieure… On ne dévoilera pas les autres rebondissements du destin hors normes de celle dont un témoignage retrouvé dans des archives officielles disait : « Elle fut la plus résistante de toutes. » Cet hommage du vice à la vertu a donné son titre à ce livre émouvant et lumineux dédié à une « âme ardente, droite et blessée ».
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