Quelle création, et quelle ouverture de saison !! Christophe Ghristi l’a rêvé, Stefano Poda l’a fait. Total, dis-je. Le public de l’Opéra national du Capitole a fait un triomphe lors de sa découverte pour la Première du chef-d’œuvre de Dvořák.
Un accueil qui en dit long sur le travail effectué autour de cet opéra miraculeux qui tient à la fois du conte de fées et du conte philosophique. Toutes ces fascinantes facettes sont présentes tout au long d’une partition et d’un livret en trois actes de près de trois heures. (deux entractes en plus)
On relira mon article-annonce sur Rusalka.
La poésie est le fil rouge qui se déroule tout au long des trois actes et vous séduit comme par enchantement. Compte-rendu bien difficile à faire sur quelques lignes mais relevons le défi. Même si le plus simple serait de féliciter TOUS les intervenants, sur scène et en coulisses et en fosse.
On quitte notre monde du concret dès la première scène qui nous plonge dans un monde parallèle, purement spirituel. Mais comment, cette charmante adolescente, fille des eaux, en vient-elle pour l’amour de son prince, à vouloir être doté d’une âme humaine ? C’est l’histoire impossible, la fable de poète à laquelle le spectacle doit nous faire croire, nous emporter. Rude tâche pour le metteur en scène Stefano Poda et son collaborateur artistique Paolo Giani Cei. Et réussite totale, à mon humble avis, moi qui craignais tant le pire avec un tel sujet. Aucune tentative d’actualisation, ouf. Aucun message politique simpliste toujours foireux : double-ouf.
Tous les paramètres du livret sont traités sur scène. D’abord, l’eau !!! Mais comment monter en effet Rusalka sans une goutte d’eau !! On se doit en premier d’admirer le travail de tous les techniciens qui ont réussi une telle prouesse. On y joint tous les Ateliers. Stefano Poda a des exigences folles qui semblent résolues comme par enchantement, aussi bien pour les décors que pour les lumières que pour les costumes, combinaisons comprises. Durant l’Ouverture, l’agitation des pensionnaires de l’élément eau dans un plateau transformé non pas en pataugeoire mais c’est bien l’étang qui est devant nous : premier défi et première performance. On y croit tout de suite. Tout en démontrant que l’eau n’est pas un simple décor mais le lieu de vie duquel l’héroïne veut s’extirper pour connaître tactilement l’humain d’où l’extrême présence de la main, les mains en élément de décors.
Quittons la scène et plongeons dans la fosse. C’est le triomphe de la musique, point. Rusalka ne se résume pas à la mélodie « Le chant à la lune », loin de là. À la baguette et dirigeant l’avancée inéluctable, le chef Frank Beermann paraît inébranlable de sûreté. On loue la continuité du discours mélodique sans concession, tout comme l’attention constante prêtée au volume sonore pour éviter de couvrir les voix qui peuvent alors s’exprimer sous leur meilleur jour.
La musique de Dvořák est telle que nous la connaissons, irrésistible, surtout dans la “Nouveau monde“ qui se signale d’ailleurs à plusieurs reprises. Rappelons que Rusalka est écrit en 1900 après ses escapades étatsuniennes. Des accents sont présents. Musicalité, délicatesse sont au rendez-vous et vous saisissent comme dans l’Acte II dit du château. Bien sûr, les musiciens de l’Orchestre national du Capitole participent au triomphe, comme à l’habitude, tous pupitres confondus, sans oublier la harpe d’une grande présence et les choristes dans leurs deux interventions. Le ballet captive par son charme prenant, orchestralement parlant et par une chorégraphie originale, signée Stefano Poda, sans oublier les costumes fastueux des danseurs et danseuses, signés…Poda, et les perruques ! signées, Poda.
Chanté en langue originale et surtitré en français, évidemment, l’opéra bénéficie pour son entrée au répertoire d’une distribution vocale éclaboussante !! Précisons tout de suite que les interprètes font fi de l’élément eau et semblent même prendre plaisir à patauger, plonger, faire quelques mouvements de brasse,……surprenant et fascinant. Pas une faille dans le plateau. On admire Anita Hartig dans le rôle principal, lumineuse à souhait, voix fraîche, jeune et claire avec des aigus faciles et sûrs, sans problème d’un bout à l’autre. Et qui, loin de la potiche, joue, se pliant à la direction d’acteurs déterminée de Stefano Poda.
Des moments d’émotion à partager avec papa Ondin, Vodnik, le baryton-basse russe Aleksei Isaev, formidable de puissance et d’aisance, théâtral, décontracté dans l’eau comme hors de l’eau, un interprète pour qui tous les plus grands rôles du répertoire de baryton-basse sont disponibles, à coup sûr. Et Piotr Buszewski, jeune ténor polonais qui assume vaillamment et magnifiquement la tessiture si tendue du Prince, ce séducteur et martyr à la fois. Les deux mezzo, la jeune britannique Claire Barnett-Jones et Béatrice Uria-Monzon sont parfaites chacune dans son rôle et sans problème aucun côté voix, la première en Jezibaba, la seconde en Princesse étrangère, vipérine à souhait et triomphatrice de sa rivale dans une magnifique scène de théâtre qui voit le retournement du Prince, partagé jusqu’alors entre l’amour de l’étrange et muette Rusalka et la tentation charnelle qu’exerce l’élégante Princesse étrangère. Grand acte II avec décors et lumières frappants.
Des comprimari saisissants et convaincants, les trois nymphes, Valentina Fedeneva, Louise Foor, Svtlana Lifar et Fabrice Alibert en Chasseur puis en Garde forestier, sans omettre le Marmiton Séraphine Cotrez. On vous le dit, pas une faille.