Entretien avec Adèle Charvet – Le Barbier de Séville de Gioacchino Rossini à l’Opéra national du Capitole
Pour son premier grand rôle au Capitole et avant un heureux évènement, Adèle Charvet nous parle avec enthousiasme, franchise et une fraicheur bienfaisante de son métier et de son avenir. Il faut dire qu’il s’annonce sous les meilleurs auspices.
Classictoulouse : Et tout d’abord, comment allez-vous ?
Adèle Charvet : Très bien (avec un énorme sourire). Vous le savez, je suis enceinte de mon premier enfant et je dois dire qu’ici tout le monde est à mes petits soins. C’est merveilleux. La mise en scène est un peu « cardio », c’est-à-dire qui bouge beaucoup, mais toutes les équipes techniques et artistiques font attention à moi et m’aident au maximum.
Le Capitole vous a distribuée il y a peu pour la première fois, c’était dans Parsifal. Quel souvenir en avez-vous ?
AC : Vous dire d’abord que pour moi ce fut un grand honneur car je connais la maison et le genre de cast qui s’y produit. En plus c’était la première fois de ma vie que j’abordais Wagner. Etre témoin au plus près de la première Kundry de Sophie Koch fut un privilège extraordinaire.
Rosine n’est pas une prise de rôle pour vous. D’ailleurs quel est votre répertoire à ce jour ?
AC : C’est celui de mezzo colorature, c’est-à-dire Rossini, Mozart, Haendel, etc. Mais j’aime bien franchir certaines lignes comme par exemple chanter Mélisande (ndlr : Pelléas et Mélisande de Claude Debussy), j’ai chanté aussi Carmen à Bordeaux sous la direction de Marc Minkowski, parce que la salle est à ma taille, je n’oserais pas pour l’instant la chanter à Toulouse. L’endroit où l’on chante est aussi important que ce que l’on chante.
Mais je ne fais pas que de l’opéra. Une grande partie de mon répertoire concerne la musique de chambre : lied et mélodie. Je souhaite également donner plus d’importance au répertoire baroque. C’est le sens du programme que je viens d’enregistrer avec l’Ensemble Consort sous le label Alpha Classics. Il est consacré au répertoire vénitien autour des années 1720.
Revenons à Rosine. En dehors de la vision forcément personnelle du metteur en scène, quelle est votre approche intime de ce personnage ?
AC : C’est très facile de l’incarner pour une jeune fille, même si, comme c’est mon cas, elle n’a jamais été enfermée par sa famille ou privée de liberté. Toutes nous avons rêvé de nous extraire de notre quotidien et d’être enlevée par l’amoureux du moment.
Cela dit, Rosine, passez-moi l’expression, se fait un peu avoir car l’histoire ne se finit pas très bien avec le Comte. Mais la Rosine du Barbier est piquante, audacieuse, elle se met en danger, elle tente des choses. Par contre, et en cela elle ne me ressemble pas, elle est particulièrement tributaire des actions des hommes qui l’entourent.
Quelles difficultés vocales se présentent dans ce rôle dont vous interprétez bien sûr la partition originale pour mezzo ?
AC : C’est un rôle que je pense m’être approprié à présent. Il faut être aussi agile vocalement que virtuose sur la totalité de sa tessiture, du plus grave au plus aigu. Il ne s’agit pas de mitrailler des vocalises car Rossini a mis une intention théâtrale derrière chaque note. Mais tout cela est très bien écrit, heureusement car le rôle est long, ce qui est une difficulté d’endurance en soi. Rosine a été mon premier rôle en scène. C’était à Bordeaux, j’avais 24 ans ! Ne faites pas le calcul je fêterai mes 29 ans sur la scène du Capitole le 25 mai !
Lorsque vous avez commencé à l’étudier, vous êtes-vous rapprochée d’enregistrements anciens ou récents ?
AC : En général j’écoute peu de choses dans le processus d’étude d’un rôle, du moins au début. Je l’approche en vase clos. C’est seulement ensuite que j’en parle avec mes professeurs ou les chefs de chant et que je commence à écouter des disques. Parmi ces derniers, bien sûr Bartoli, Berganza, Garança, Horne, et puis, grâce aux réseaux, j’écoute ce que font mes consœurs actuelles, de ma génération, comme Marina Viotti. C’est très stimulant.
Que représentait pour vous Tereza Berganza ?
AC : C’est la légende absolue du répertoire rossinien. En plus j’ai grandi avec le Don Giovanni de Losey que je me passais en boucle et dans lequel elle chante Zerlina. Elle aura marqué l’histoire de l’art lyrique pour toujours.
Quel récital de mezzo aimeriez-vous amener sur la fameuse île déserte ?
AC : Aujourd’hui je peux vous répondre une chose, demain risque d’être une autre réponse, mais pour l’heure c’est un disque de lieder chantés par la mezzo américaine Lorraine Hunt-Lieberson. C’est tout simplement fabuleux.
Les représentations du Barbier de Séville, comme celles de Carmen ou de Platée à Toulouse connaissent une affluence record. Est-ce à dire que la crise est derrière nous ?
AC : Non, je ne crois pas. Cette affluence est due à l’excellence du travail des équipes de cette maison et à la qualité d’un public très fidèle. Je peux vous dire que c’est loin d’être le cas dans nombre d’autres maisons d’opéra. Le lien, sauf à Toulouse, s’est cassé à la suite du deuxième confinement. Je reste donc très prudente sur la question.
On a un peu l’impression que les jeunes chanteurs français ont davantage droit de cité dans les théâtres hexagonaux. Est-ce un effet COVID ou autre chose ?
AC : Je pense qu’il y a eu un turn over de directeurs d’opéra et de responsables de casting. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui il semble que l’on puisse à nouveau être prophète dans son pays. J’ai la chance inouïe de travailler beaucoup en France. Et je ne suis pas la seule.
Après Toulouse, quels sont vos projets immédiats ?
AC : J’ai un mois à venir très chargé en concerts et récitals. Après j’arrête… avec bonheur pour quelque temps. Je reprends cet automne.
Quelles sont les prises de rôle que vous préparez en ce moment ?
AC : L’année prochaine je fais la création mondiale d’un opéra de Bernard Foccroulle dans lequel je suis seule en scène. Et je suis évidemment très honoré d’avoir été choisie pour cela. Plus tard il y aura Cenerentola, puis mon premier Cherubin.
Quels opéras souhaiteriez-vous ajouter à votre répertoire ?
AC : Plus tard, certainement Charlotte de Werther. Pour l’instant ce n’est pas possible même si je me suis autorisée Carmen car ce n’est pas du tout orchestré de la même manière.
Le rôle de vos rêves, toutes tessitures confondues ?
AC : Je regrette que Puccini n’ait pas écrit de grands rôles pour ma tessiture car j’adore sa musique et sa ligne de chant à tel point que parfois il m’arrive de souhaiter être soprano. Juste pour ce compositeur. Bien sûr que je rêve de la Didon de Purcell d’autant qu’ayant vécu aux USA, l’anglais ne me pose pas vraiment de problèmes.
Et quand vous ne chantez pas… ?
AC : Comme tous mes camarades j’ai une vie de nomade et malgré tous les moments forts que je vis, je passe mon temps loin des miens. Donc, quand je ne chante pas, j’essaie d’être auprès de mon compagnon, de ma famille et de mes plus proches amis. Du coup, quand nous nous retrouvons, c’est toujours autour d’un bon repas et d’un bon vin car j’adore tout cela. Sauf en ce moment… Avant de nous quitter j’aimerais dire combien je suis heureuse d’avoir été choisie comme marraine de la candidature de Montpellier et d’autres cités méditerranéennes occitanes au titre de capitale européenne de la Culture en 2028. Il est vrai que je suis originaire de cette ville, mais tout de même, quel honneur ! Une occasion en or de parler d’opéra !
Propos recueillis par Robert Pénavayre
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