CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, le 20 avril 2022. Léos JANACEK : Jenufa. N. JOËL, M.A. HENRY, C.HUNOLD, F. KRUMPÖCK.
CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, le 20 avril 2022. Léos JANACEK : Jenufa. N. JOËL, M.A. HENRY, C.HUNOLD, F. KRUMPÖCK – Félicitons Christophe Ghristi pour sa persévérance à vouloir remonter cette somptueuse production malgré les aléas sanitaires. Datant de 2004, c’est l’une des plus parfaites productions de l’équipe de Nicolas Joël. Car il faut bien reconnaître que le quatuor de Nicolas Joël à la mise en scène, avec les décors d’Ezio Frigerio, les costumes de Franca Squarciapino, les lumières de Vinicio Cheli forment un tout parfaitement cohérent. Christian Carsten avec une fidélité religieuse a rendu toute sa splendeur à ce travail d’équipe bouleversant.
Une Jenufa à couper le souffle
Rarement un décor a été aussi puissant, des costumes aussi beaux que discrets et les lumières qui amplifient l’action et magnifient le tout. Cette grande roue du moulin, est également la roue du destin, elle a une présence, inexorable voire menaçante ; même immobile durant le début de l’acte 1, elle se remet en mouvement colorée en rouge-sang lors de l’infanticide. L’immense pierre qui surplombe l’acte 2, est la matérialisation du poids écrasant de la société. Puis lorsqu’elle se fissure et descend sur la Sacristine au retour de l’infanticide, elle matérialise les remords et la culpabilité mortelle qui la terrasse. Enfin la passerelle au troisième acte est comme un chemin de croix. La finition des costumes est incroyable avec des détails de costumes régionaux, tout en leur gardant une sorte d’universalité ; en cela ils offrent une dimension d’éternité à l’histoire. Et chaque personnage est défini par ses costumes et s’y déplace avec une totale aisance. La fulgurance des éclairages est encore plus spectaculaire avec les moyens modernisés. Cette production ne devait pas rester dans les entrepôts pour y être oubliée. Quelle splendeur !
La grandeur d’un directeur d’opéra est sa capacité à trouver des distributions superlatives. Christophe Ghristi a ce goût et ce don. Peut-on imaginer distribution plus adéquate et parfaite ? Et d’un niveau international ? Je ne le crois pas. Déjouant le report, les désistements et autres aléas, les voix, le chef et l’orchestre ont été au diapason de cette production afin de créer pour les amateurs d’opéras les plus exigeants un souvenir inoubliable.
Les deux rôles principaux sont écrasants. Jenufa est sur scène presque en continu et la puissance des scènes de la Sacristine est redoutable. L’équilibre entre ces deux rôles est fondamental. Ce soir, à n’en pas croire nos oreilles, deux volcans se sont affrontés. Marie-Adeline Henry EST Jenufa. Entre douceur et puissance ravageuse, la voix ne connaît aucune faiblesse. L’émission est fantastique, cela coule et irradie. Le timbre est somptueux. Nous nous étions promis de suivre cette artiste après son extraordinaire Fiordiligi in loco en 2011. La transformation est sidérante. Comment la délicate jeune femme trouve-t-elle une voix si puissante ? Le jeu est sidérant de justesse comme d’émotions contrastées. La Jenufa de Marie-Adeline Henry restera une incarnation totale et idéale pour plus d’un.
Jenufa agenouillée face à l’inflexible Sacristine
La Sacristine de Catherine Hunold, rôle appris en un temps record, est tout aussi inoubliable. La largeur de la voix est connue du public du Capitole, comment oublier son Ariane à Naxos ? Mais la puissance est également celle de l’actrice tant ce personnage hors normes trouve en la cantatrice française, une interprète hallucinante. Ce n’est pas faire injure que de dire qu’à coté de tels monstres scéniques et vocaux les autres interprètes sont un peu plus pâles ; mais c’est ainsi que cet opéra est construit. Tout repose sur ces deux rôles principaux.
Les deux ténors ont des rôles bien moins intéressants. Marius Brenciu en Laca et Mario Rojas en Steva sont parfaits. Le premier arrive à incarner le jaloux aussi malheureux que méchant et rendre crédible son évolution amoureuse. La voix est claire, le chant subtil. Quant au rôle de ténor de charme, tant par son allure élégante que sa voix solaire, Mario Rojas est un Steva aussi séduisant que veule. Mario Rojas et Marius Brenciu sont des chanteurs-acteurs accomplis. Cécile Gallois est une Grand-Mère toute de tendresse et de compassion. Jérôme Boutillier s’impose sans difficultés tant vocalement que scéniquement dans ses deux rôles d’autorité. La présence de Mireille Delunsch en femme du Maire apporte une belle élégance à la Noce.
Le Chœur du Capitole joue et chante à merveille et participe activement au drame. L’orchestre du Capitole est en grande forme et la musique de Janacek sonne magnifiquement. La direction de Florian Krumpöck permet une écoute analytique ; elle habite le drame avec une puissance dévastatrice. Quelle splendide direction dramatique ! On sort laminé de la fureur de cet opéra. C’est somptueusement beau et anéantissant… Le public sonné met un peu de temps à réagir mais il fait un vrai triomphe aux interprètes.
Un nouveau très GRAND moment d’opéra nous a été donné à Toulouse. Scène nationale assurément !
CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Théâtre du capitole, le 20 avril 2022. Léos Janacek (1854-1928) : Jenufa, opéra en trois actes d’après Grabriela Preissova. Créé le 21 janvier 1904 au théâtre de Brno. Production du Théâtre du Capitole de 2004. Mise en scène, Nicolas Joël ; Reprise de la mise en scène, Christian Carsten ; Décors : Ezio Frigerio ; Costumes, Franca Squarciapino ; Lumière, Vinicio Cheli ; Avec : Marie-Adeline Henry, Jenufa ; Catherine Hunold, La Sacristine ; Marius Brenciu, Laca ; Mario Rojas, Steva ; Cécile Gallois, Grand-Mère Buryjovka ; Jérôme Boutillier, le Contremaître, le Maire ; Mireille Delunsch, La Femme du Maire ; Victoire Bunel, Karolka ; Svetlana Lifar, Une Bergère ; Eléonore Pancrazi, Barena ; Sara Gouzy, Jano ; Orchestre National du Capitole, Chœurs du Capitole ( chef de chœur : Gabriel Bourgoin) ; Direction musicale : Florian Krumpöck. / photos : © M Magliocca / Capitole de Toulouse.
toutes les photos : © M Magliocca