Nouveau portrait avec Alex Chauvel, qui sera un des invités de la 3e édition du Festival Grindhouse Paradise, et qui a créé pour l’occasion une sérigraphie inédite sur le cinéma de genre.
Pouvez-vous vous présenter ?
Alex Chauvel, j’ai 35 ans. J’ai été Toulousain, Angoumoisin et maintenant je suis Berlinois. Je suis cartographe, auteur de bande dessinée, scénariste, illustrateur et il m’est même arrivé de faire une affiche ou deux. En 2010, j’ai cofondé avec quelques copains les éditions Polystyrène, spécialisées dans les livres-objets à manipuler. Nous avons fait des bandes dessinées à mélanger, à combiner, à déplier, à lire à travers des filtres… Et sinon j’ai deux enfants.
Quel est votre parcours ?
Après un bac scientifique, j’ai fait une classe préparatoire littéraire à Toulouse, au lycée Fermat, où je suis resté 3 ans, de 2004 à 2007, avant de passer une année un peu molle sans trop de perspectives. J’ai quand même gagné le Prix Nougaro dans la catégorie bande dessinée. Heureusement, dans un bar, j’ai rencontré un type qui avait fait les Beaux Arts d’Angoulême et ça m’a donné envie de tenter le concours d’entrée. Je suis donc parti à Angoulême, de 2008 à 2013, où j’ai rencontré les camarades de promotion qui allaient devenir mes meilleurs copains et copines, et avec lesquels nous avons créé Polystyrène, fin 2010. Et j’ai fait un Erasmus à Hambourg en quatrième année, où j’ai même pu traverser à pied un lac gelé. C’était pas mal.
Comment rendez-vous compatible le fait de vivre en Allemagne et de proposer des créations pour la France ?
Excellente question. Je ne suis malheureusement pas certain de jongler entre les deux pays avec brio. De manière assez schématique, disons que pendant un temps, l’Allemagne m’a fourni des boulots alimentaires : libraire dans une librairie-galerie où je vendais beaucoup de sérigraphies ; graphiste dans une maison d’édition allemande de bande dessinée où ils faisaient beaucoup de traduction et je devais vider les bulles pour y intégrer les nouveaux dialogues allemands, en espérant que les bulles ne soient pas trop petites…
En parallèle à tout ceci, et de manière très peu poreuse, je faisais mon travail de création quasi-intégralement pour la France : bandes dessinées bien sûr, mais aussi illustrations, étiquettes de bière pour la brasserie toulousaine la Garonnette, affiches… tout ce qu’on me proposait. Afin de rester visible, je rentrais en France régulièrement pour les festivals, la vie était si douce dans les années 2010…
Pendant des années, mes proches en Allemagne ne savaient pas à quoi ressemblaient mes dessins. Une ou deux expos plus tard, ça va un peu mieux, mais je travaille tout de même rarement pour des clients allemands.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Je n’en ai qu’une, Hérodote, que je relis tous les… non je déconne. C’est assez éclectique, même si la littérature occupe effectivement une bonne place, et que Hérodote est méga-classe, n’ayons pas peur de le dire. Côté affichistes, j’aime beaucoup Fräneck et Henning Wagenbreth. En bande dessinée, je n’ose pas me lancer dans une liste, mais évidemment Chris Ware est au premier rang.
Pour le cinéma, pareil. J’aime assez les formalistes comme Michael Mann ou Edgar Wright. En vrai, c’est sans fin donc il vaut mieux arrêter là, sinon les gens vont cliquer sur le lien d’à-côté.
Comment trouvez-vous un équilibre entre la commande qu’on vous propose et votre univers ?
En fait, je crois que c’est lié à mon rapport au dessin, qui est assez particulier, quand je compare avec mes amis. Pour faire simple : j’ai un rapport très textuel au dessin. Je remplis mes pages de petits croquis en partant du haut à gauche et en allant vers le bas à droite. Ça ne m’aide pas du tout pour la perspective et l’anatomie, mais ça fait que les paramètres de la « surface du support » et de la « gestion des informations » sont prises en compte dès le début. D’où mon goût pour les cartes et les labyrinthes, qui sont des images présentant un certain type d’information et qui sont, par nature, planes. Et de là, je crois, la porosité avec le graphisme, l’affiche… Au fur et à mesure, je creuse ce sillon-là, et en fonction de ce que les gens voient de mon travail, ils me demandent d’aller vers ceci ou cela.
Par exemple, si Nicolas Tellop (entertien à lire ici) me demande des images pour la revue La 7e Obsession, c’est plutôt pour des jeux, des constructions mentales, voire une narration graphique spéciale qui me caractérisent, parce que Nicolas connaît avant tout mon travail d’auteur. En revanche, Pauline Mallet (entretien à lire ici) me sollicite pour la revue Sorociné car elle sait que j’ai illustré Retour à Movieland, pour le compte de David Honnorat et des éditions Hachette, et que je suis donc spécialisé dans la cartographie cinéphilique. Finalement, c’est assez comparable à un acteur qui, en fonction des rôles qu’il a déjà incarnés, se voit proposer telle ou telle performance, laquelle va à son tour orienter les propositions qu’on pourra lui faire un jour.
Ensuite, comme je n’aime pas trop refaire exactement la même chose, j’essaie, quand c’est possible, de trouver quelque chose de neuf, et une idée permettant de faire passer un concept par le dessin pourra être recyclée ou développée dans une bande dessinée ou vice-versa.
Mes bandes dessinées me permettent soit de développer complètement une intuition graphique arrivée durant la réalisation d’un travail de commande, soit de m’aérer en faisant quelque chose que je n’ai encore jamais fait et qui m’offrira de nouvelles pistes.
En fait, je laisse un peu les différents domaines se nourrir l’un l’autre, et je vois ce que je peux en faire. Et là, ça y est, on a perdu la moitié des gens.
Combien de temps entre la commande et la création finale ?
Difficile à quantifier… Je suis à la fois cérébral et instinctif, donc je prends un temps très long pour réfléchir et faire des tests avant de tout foutre en l’air, d’y aller avec le ventre, et de ne pas du tout m’écouter. La réalisation peut ensuite aller très vite, sauf quand je dois faire plein de petits arbres.
Il y a aussi souvent l’avis de ma compagne, qui est, contrairement à moi, une vraie graphiste. Elle ne me fait pas de cadeaux, mais ses avis sont très souvent les meilleurs : je dois donc très fréquemment mettre de côté mes idées et repartir de presque zéro. Pour faire simple : on me donne une deadline, et je ne la dépasse pas, c’est à peu près la seule règle. Mais j’aime bien qu’on ne m’appelle pas à la dernière minute, parce que j’ai besoin de ce temps préliminaire où je réfléchis beaucoup beaucoup.
Une anecdote sur une de vos créations ?
Une fois, j’ai improvisé une BD de mille pages sur un géant qui se fait voler son slip. Ça marche comme anecdote ?
Pouvez-vous me parler de l’affiche que vous allez proposer lors du Festival Grindhouse Paradise ?
Je suis en train de turbiner dessus pour être dans les temps. Cette affiche, pour le coup, elle va faire entonnoir et bénéficier d’idées développées dans différents domaines. L’an dernier, j’ai illustré un livre dont je suis très fier, Zelda : le jardin et le monde de Victor Moisan, aux éditions Façonnage. C’est un essai qui commence, par exemple, par montrer l’influence des jardins japonais et de l’esthétique zen sur les jeux vidéos de la franchise Zelda et leur façon de recréer l’expérience spatiale. J’y ai développé une idée de composition d’image que je reprends ici pour l’affiche du Grindhouse tout en y intégrant des icônes issues de films dans la lignée de Movieland. Le résultat n’est pas une carte mais plutôt un puzzle isométrique qui, je trouve, permet un dialogue assez ludique entre les différents films.
La particularité, c’est qu’on n’inscrit aucune information, ni titre ou quoi que ce soit d’autre, sur les films représentés. Il faut que les gens reconnaissent les pictogrammes et c’est tout. Peu de gens, sans doute, sauront tous les repérer, mais en discutant avec un copain ou une copine, on peut en trouver davantage. C’est un peu un jeu pour les cinéphiles, quelque part : en discutant de telle ou telle illustration, on se rappelle du film en question, et on a peut-être envie de le revoir… ou d’en revoir un autre, par association d’idée. Je ne me considère pas moi-même comme un vrai cinéphile, d’ailleurs je n’ai pas trop compris sur quels critères on le devenait, mais j’aime ce genre de discussions ludiques.
Vos futurs projets ?
Il y en a 2 ou 3 mais le plus proche est une bande dessinée qui sortira cet été chez The Hoochie Coochie, qui va s’appeler Les Pigments sauvages et parlera d’un empire microscopique qui s’effondre et comment certains survivants vont lancer de nouvelles pistes biologico-politiques, le tout sur fond de mythes et d’histoires fondatrices. J’ai essayé de trouver plein de nouvelles façons de structurer les pages. D’ailleurs, il y en a peut-être 2 ou 3 qui pourraient être recyclées comme affiches, si on trouve les bonnes typos.
Et un jour j’aimerais travailler sur le personnage de Conan le Cimmérien, que tout le monde appelle Conan le Barbare. Je le trouve fascinant pour beaucoup de raisons, notamment par le décalage entre ce qu’il fut à sa création par Robert Howard et l’image que nous en avons tous et toutes.
Voilà. Bisous.
L’univers d »Alex Chauvel est à visiter sur son site http://www.alexchauvel.com/
Vous voulez rencontrer Alex Chauvel et lui dire » j’adore vos créations !!! « ? La vie est bien faite, au moins le jeudi 14 avril, puisqu’il sera de 16h à 18h à la librairie Ombres Blanches (salle de conférence) pour une dédicace autour de son travail, et que vous pourrez voir de vos propres yeux, en vrai de vrai, la sérigraphie qu’il a créée pour le Festival Grindhouse Paradise.
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