La série de portraits d’affichistes se poursuit avec un graphiste qui dessine : Laurent Durieux. Ses affiches de films sont connues internationalement. Élaborer des images le conduit aujourd’hui à concevoir la couverture de L’Anachronopète, premier livre des Éditions Musidora (campagne de préventes ici) ou l’affiche de prochain Festival international du film d’animation d’Annecy.
Merci à Laurent Durieux d’avoir accepté, dans son emploi du temps très chargé, de revenir sur son rapport à l’image et à la création. Bonne lecture !
Pouvez-vous vous présenter ?
J’aime bien dire que je suis un graphiste qui dessine. Si le cœur de mon activité consiste à concevoir des affiches de cinéma alternatives, ce n’était pas forcément ce que je voulais faire au départ. Dans ce contexte comme dans d’autres, ce qui me plaît est d’élaborer des images narratives : raconter une histoire avec le dessin. Ma formation dans le graphisme m’a aidé à trouver le moyen de synthétiser des idées à travers l’image et de donner forme à un concept, ce que je mets au service d’affiches qui fonctionnent comme des narrations suspendues. On peut dire aussi que je suis illustrateur : je donne ma vision sur un film ou sur le sujet qui m’est proposé.
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Quel est votre parcours ?
Avant mes dix ans, j’étais déjà tombé dans le dessin et j’avais le meilleur des professeurs : Jean Giraud, alias Mœbius. Je passais mon temps à observer ses planches de bande dessinée et à les reproduire.
Lorsque je suis entré en école d’art, j’avais déjà trop de facilités pour me sentir à ma place. Je me suis inscrit à La Cambre où j’ai découvert le monde du graphisme et de l’affiche : Raymond Savignac, Cassandre, et d’autres, les grands metteurs en page et les grands créateurs de logotypes… Cette découverte a fait évoluer ma vision du dessin : il n’est pas là pour exister en tant que tel, mais pour faire passer une idée. C’est typiquement le processus créatif d’un graphiste. Ensuite, j’ai été pris dans une spirale professionnelle pour me mettre au service de clients dans la publicité et la communication. Des domaines qui m’éloignaient de mes propres intérêts, qui ne me permettaient pas de m’épanouir, ni de développer mon propre style. Le chemin a été long, avant d’y parvenir.
Comment êtes-vous devenu, du moins pour le public, « créateur d’affiches de films » ?
C’est l’affiche de Jaws, Les Dents de la mer, que m’avait commandée Mondo. Au début, les amateurs n’ont pas montré beaucoup d’intérêt pour elle, parce qu’en apparence, il ne s’y passe rien. C’est une sorte de travel poster : une scène de plage, le ciel est bleu, l’ambiance est estivale. Au premier plan, il y a un parasol, sur lequel j’ai isolé un des quartiers en le mettant en noir, pour figurer l’aileron de requin qui menace toute cette quiétude. Dans le film de Steven Spielberg, c’est ce qu’on ne voit pas qui fait peur. Telle est l’idée que j’ai cherché à retranscrire dans cette affiche. Elle a tapé dans l’œil de Spielberg, qui en a commandé une vingtaine pour sa famille et ses amis. À partir de là, le succès a été foudroyant. Encore aujourd’hui, c’est ma carte de visite.
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Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Elles sont nombreuses et évoluent sans cesse, au gré de mes découvertes, d’une sensibilité particulière, d’atmosphères dont je m’imprègne. J’absorbe énormément de choses qui me frappent, m’intéressent ou me fascinent : une peinture, une photographie, une bande dessinée, une publicité dans un vieux magazine américain de la première moitié du XXe siècle… Il y a tout de même des références immuables, comme Mœbius. Mais je pense aussi aux illustrateurs américains des années 1930 comme Antonio Petruccelli, dont la découverte a été déterminante pour forger mon style.
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Qu’est-ce qui vous fait accepter une commande ?
Il faut qu’elle m’intéresse et que je trouve quelque chose à en dire. Plus précisément, à partir d’un sujet qui ne m’appartient pas, il faut que je puisse trouver matière à raconter une histoire qui serait complètement la mienne. Par exemple, même si les éléments représentés sont issus d’un film, il est nécessaire pour moi de pouvoir les réorganiser, les mettre en scène et les éclairer d’une façon particulière. Au final, je cherche à obtenir autre chose, ou du moins quelque chose de plus qu’une simple illustration du film.
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Combien de temps prend la création d’une affiche ?
Souvent, je passe un mois, voire davantage, à travailler sur une affiche. Forbidden Planet constitue mon record : 3 mois. Il s’agit d’une image dans laquelle je me suis beaucoup engagé car je trouve le film formidable. À tous les niveaux, il m’apparaît d’une modernité absolue. Mais c’est l’exécution qui prend du temps, car en fait, l’idée de départ vient presque immédiatement. Si ce n’est pas le cas, c’est très mauvais signe.
Il faut que ce soit directement lisible, sinon cela signifie que l’idée n’est pas bonne. L’étape de la recherche du concept se fait d’abord sur le papier et avec un crayon. Dans un deuxième temps, je scanne et fais une rapide mise en couleurs digitale. Et puis, quand le concept est validé par mes éditeurs, je passe à un travail d’élaboration dans le détail intégralement digital. Le dessin pur n’est jamais loin. En tout cas, j’ai besoin du dessin pour que l’idée existe.
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Qu’est-ce qui guide le choix des couleurs ?
Les couleurs participent d’une élaboration esthétique. Si leur nombre est limité, l’image possède tout de suite beaucoup plus d’impact et de force. Cela est bien sûr lié à la sérigraphie, qui oblige à choisir un nombre très restreint de couleurs. Les contraintes de cette technique d’impression ont aidé à définir mon style. Les peignes que j’utilise pour tramer mes images ont pour vocation à récupérer de la subtilité dans mes couleurs, grâce à des dégradés qui rendent ainsi compte de la finesse des lumières, y compris au sein des aplats.
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Vos affiches ont une telle richesse dans les détails, comment savez-vous quand elles sont finies ?
Quand il me paraît que tous les éléments sont à leur place et que plus rien ne cloche. Je m’appuie aussi beaucoup sur le regard de mes proches, comme le dessinateur François Schuiten, qui me guide parfois ; ou David Merveille et mes frères Jack et Thomas, qui tous les trois partagent le même atelier que moi.
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Avez-vous encore le temps de créer des affiches pour votre plaisir ?
De plus en plus, c’est un besoin qui s’impose à moi. Je n’ai pas tout le temps de m’y consacrer, mais quand je le peux, c’est une véritable récréation : l’occasion de me ressourcer et me recentrer sur mon propre travail.
Trois films ont marqué le public toulousain du Fifigrot ont des affiches conçues par vous : Music Hole, Adoration et La Dernière tentation des Belges…
J’ai beaucoup aimé collaborer avec les réalisateurs Gaëtan Lekens et David Mutzenmacher, Fabrice du Welz et Jan Bucquoy. D’abord, parce qu’à ces occasions-là, je travaille sur un film d’actualité, pour proposer une affiche qui rompt avec les canons esthétiques actuels en la matière, lesquels ne donnent que très rarement lieu à des réussites – si ce n’est jamais. Et puis, ce sont des films belges qui défendent un parti pris fort, là encore en rupture avec les conventions du cinéma actuel. Je ne pouvais qu’y être sensible, étant belge moi-même, et ayant connu beaucoup de difficultés pour imposer ma démarche. Et enfin, les réalisateurs connaissaient à chaque fois très bien mon travail et y trouvaient matière à collaborer ensemble. Ce genre de choses ne doit pas se faire au hasard, mais au contraire s’inscrire dans une approche qui détermine l’ensemble du projet. En somme, ces réalisateurs ont eu pour leur œuvre cette exigence que je m’impose toujours aussi à moi-même. Nous parlons le même langage. D’ailleurs, ces trois affiches ont quelque chose de surréaliste qui nous relie à un autre de nos compatriotes : René Magritte.
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Pouvez-vous me parler votre travail pour la couverture du roman L’Anachronopète d’Enrique Gaspar, publié par les Éditions Musidora ?
C’est Nicolas Tellop (son interview au sujet du hors-série de La Septième Obsession consacré à Dario Argento à lire ici) qui m’a proposé ce projet. Il a écrit pour moi les textes de ma monographie Mirages chez Huginn & Muninn et ceux du hors-série des Arts Dessinés paru l’été dernier.
Nous échangeons régulièrement, et un jour il m’a parlé de son idée de publier un roman espagnol de la fin du XIXe, inconnu en France puisque jamais traduit : L’Anachronopète. Pour l’occasion, il voulait créer une maison d’édition avec un de ses camarades, Yann Serizel. C’était les prémices des Éditions Musidora. Pour soutenir le projet à l’occasion d’une campagne Ulule de préventes, Nicolas m’a demandé de réaliser une affiche qui rende hommage aux différentes machines temporelles de la pop culture.
En effet, il s’avère que L’Anachronopète est le tout premier récit à mettre en scène une machine de ce genre. Dans cette affiche, je montre les différents engins remisés dans un laboratoire ou un musée, avec au centre le fameux Anachronopète. Ce détail de l’affiche, je l’ai adapté à la couverture du livre.
Dans les deux cas, je voulais signifier qu’il s’agissait de la remise en lumière d’un objet littéraire fondateur. Je suis très content de cette image. Elle m’a permis d’exercer mon goût pour les atmosphères mystérieuses et d’adresser un clin d’œil à la science-fiction dans la lignée de Métal Hurlant, qui m’a tant nourri, enfant.
Pour participer à la campagne Ulule des préventes de L’Anachronopète des Éditions Musidora, c’est par ici : https://fr.ulule.com/anachronopete/ !
Pour découvrir l’univers fabuleux de Laurent Durieux, c’est par là : http://www.laurentdurieux.com/
Merci à Nicolas Tellop pour les visuels.
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