Après le portrait d’anto, Culture 31, en partenariat avec Toner d’Encre, poursuit sa série de portraits sur les affichistes avec aujourd’hui Johan Borg.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Johan, j’ai 36 ans et je vis à Toulouse. J’ai passé mon enfance ici, avant de pas mal vadrouiller en France et un peu à l’étranger. J’ai joué dans quelques obscurs groupes de punk hardcore et de noise qui m’ont fait voir du pays, même si aujourd’hui, je suis rangé des bagnoles. Concernant mes occupations quotidiennes du moment, je travaille en tant qu’administrateur de production à La Petite, je co-dirige le festival de cinéma Grindhouse Paradise, je co-gère l’atelier de sérigraphie Barbastella et je fais de l’illustration pour des groupes, festivals et autres joyeuseries musicales ou cinématographiques.
Sinon de manière plus sérieuse, j’aime beaucoup les chiens, les carottes rappées et les films de la Troma.
Quel est votre parcours ?
À mon image bizarrement : plutôt chaotique, bordélique, totalement empirique. Concernant le dessin, ce n’est arrivé que très tardivement. Dès mes 17 ans, j’ai commencé à jouer dans des groupes de punk et j’ai organisé des concerts. C’était à Mâcon, et c’était extrêmement prolifique en terme de musique et de musicien.nes, et c’est le point de départ d’à peu près tout en ce qui me concerne. C’est la découverte du DIY au sens le plus littéral du terme et surtout, c’était juste avant que la start-up nation et les banques s’emparent du mot. Pour le contexte, on est tout juste début 2000 et FUGAZI vient à peine de se mettre en pause, Jacques Chirac est Président, Myspace n’existe pas, on télécharge sur eMule et on communique via MSN. Là, je réalise que si je veux jouer de la musique, avoir des chroniques dans des magazines, faire des tournées, il n’y aura pas de miracle, personne ne s’en occupera pour moi. Donc, on est quelques copains et on fait tout nous-mêmes de A à Z : dessin des pochettes, organisation de concerts, label, festival, fanzines, tournée etc. À côté de ça, je pars pour des études en audiovisuel, et de fil en aiguille, j’atterris dans le label Jarring Effects à Lyon où je bosse quelques années. Après un séjour à Rennes, je décide de quitter le monde de la musique et de revenir à mon premier amour : le cinéma.
Je rentre à Toulouse et je monte avec deux autres associés un cinéma éphémère dans les Halles de la Cartoucherie. En parallèle, depuis Rennes, je me suis remis à dessiner pour des groupes, des salles de concerts, notamment le Marché Gare à Lyon. En 2018, je rencontre Maëva qui m’initie à la sérigraphie et avec qui nous créons l’atelier Barbastella. En même temps, je monte le festival Grindhouse Paradise avec deux autres amis, Guilhem et Yoann, et je rencontre la formidable équipe de La Petite avec qui je travaille aujourd’hui. Finalement, je ne sais pas si tout ça est très cohérent, mais pour moi, cela me semble assez logique : tout ce que j’avais fait jusqu’à présent était tourné vers le collectif. J’avais besoin de revenir à une pratique solitaire pour me retrouver. Pour résumer, avant je passais ma vie dans une bagnole ou dans un local de répet ; maintenant je suis à mon bureau avec une tasse de déca et un plaid sur les genoux.
Pourquoi ce choix de travailler le dessin sur le papier, puis de passer sur ordinateur, avant de finir par la sérigraphie ?
Mon approche du dessin, c’est avant tout le besoin de revenir à un truc sans écran, sans pollution numérique : rien qu’un crayon et du papier. Que ce soit la sensation de dessin ou même l’encrage, il y a une forme de sincérité que je retrouve uniquement en abordant ainsi la pratique de l’illustration. J’aime le dessin quand il n’est pas parfait. Les logiciels d’illustration sont de formidables outils, mais voir un dessin « parfait », totalement numérique ne m’intéresse pas. Il y a des trucs que je trouve chouettes et beaux, mais dans ma pratique, je trouve que dessiner sur ordinateur est d’un chiant profond. La sérigraphie boucle un peu ça parce que c’est un travail artisanal d’impression. On touche le papier, on prépare les encres et on imprime. Malgré ce que j’ai dit plus haut sur mon parcours qui semble être bien rempli, je ne suis absolument pas prolifique en dessin. Je fais même l’inverse. J’aime à imaginer que je pratique une forme de décroissance de création. À l’image de Instagram et des autres réseaux ou chacun-chacune produit tous les jours des contenus, je m’autorise à ne créer que quelques illustrations par an : pour des projets qui m’intéressent ou bien parce que j’ai de l’inspiration.
Pour revenir à ma manière de créer, il y a une étape nécessaire : la colorisation. C’est la seule étape que je fais numériquement et sur laquelle je passe beaucoup de temps à râler. Ça permet de séparer les couches pour la sérigraphie. Sinon, quand il n’y a pas de projet de sérigraphie derrière, c’est souvent que mes illustrations sont les œuvres finales « sans retouches ». Dans tous les cas, j’aime l’encre, le crayon et le papier, j’aime les erreurs, quand ça bave et que ce n’est pas tout à fait droit.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Toute la Fantasy et la bande dessiné des années 80. Les dessins sont totalement incroyables, sans parler des couleurs. Pour certaines BD et illus, il faut aujourd’hui mettre de côté la représentation ultra sexysée et ultra genrée des personnages de cette époque car cela a notamment très mal vieilli, et est totalement en décalage avec notre époque, et c’est tant mieux ! Ceci dit, en étant conscient de cela, et en termes de dessin pur, on n’a pas fait mieux. Les illustrateur.trices de Fantasy (les livres de D&D, Ravenloft, tous les bouquins de Warhammer), la bande dessinée (Jodorowsky, Mœbius et surtout surtout surtout Druillet, globalement toute l’époque Métal Hurlant). Se rajoutent des trucs plus old-school parce que le noir et blanc, c’est la base de tout (les pulp Eerie, Tales from the Crypt etc). Plus contemporain, mais qui reste ma plus grande influence : Florian Bertmer. C’est le dessinateur ultime, qui a le trait de Zoran Janjetov (Technopères etc) et Mucha, – une autre de mes grandes influences. Après, un peu tout m’inspire. Autant la musique que le cinéma, la BD ou le tatouage. Mais ce qui me plaît le plus a toujours un goût de « rétro ». Je suis peut-être trop attaché aux images de mon enfance, de mes Mighty Max à mon HeroQuest.
Comment trouvez-vous un équilibre entre la commande qu’on vous propose et votre univers ?
Il faut vraiment que le projet me plaise. Je fais de l’illustration et pas du graphisme. Je ne suis absolument pas graphiste. Mes illustrations sont le fruit de mon univers, et surtout de mes capacités de création. Comme tout, j’ai des limites : si on me demande de faire un dessin d’éléphant, je n’y arriverais probablement pas. La commande doit s’inscrire d’elle-même dans un univers qui est le mien ou à minima connexe : l’équilibre se trouve tout seul.
Une anecdote sur une de vos créations ?
J’ai fait une sérigraphie de Mr. Pickles bien évidement totalement non-officielle. J’ai reçu un message de Will Carsola, le créateur de la série, pour me féliciter, et me dire qu’il l’avait trouvée très chouette. Ce sont des petits moments comme celui-ci qui sont cool.
Sinon, j’ai renversé de la confiture sur l’affiche originale en cours d’encrage de la prochaine édition de Grindhouse Paradise. J’avoue avoir eu un moment de grande détresse, mais aussi surprenant que cela puisse paraître, la confiture se gomme bien. En vrai, je n’ai pas grand-chose à raconter sur mes illustrations. J’écoute de la musique et je suis assis sur une chaise à mon bureau. Niveau aventure, c’est plus intense de faire une sortie caca à son chien que de dessiner.
Pouvez-vous me parler des affiches de tes dernières créations ?
J’ai deux affiches que je viens de finir. La première est pour le festival Grindhouse Paradise. Elle vient compléter la série déjà commencée ayant pour thématique des éléments ou créatures massifs dans des univers fictifs. J’ai choisi cette fois-ci une une icône incontournable de la pop culture : le kaiju. Ce terme désigne des gigantesques créatures capables, selon leur humeur, soit de ravager des villes entières comme s’il s’agissait de constructions Lego, soit de protéger l’humanité des monstres géants les plus malveillants. Le plus connu, car popularisé par la célèbre saga japonaise est probablement Godzilla. Pour Grindhouse, j’ai aussi fait quelques trucs cool comme un T-shirt en édition limitée.
La seconde concerne un festival de musique rock : j’ai créé l’identité du festival Levitation à Angers, qui se tiendra du 3 au 5 juin prochain. Un autre chouette projet.
J’ai aussi fait une étiquette de bière pour les copains de la brasserie Ellipse.
Voilà ce qui arrive. Bref, une rentrée bien chargée. J’avais dit quoi déjà ? que je ne sortais pas grand-chose par an ? BULLSHIT ARTIST !
Toutes les infos sur le festival Grindhouse Paradise sur leur site.
Avant la 3e édition se tiendra du 14 au 17 avril à l’American Cosmograph, Grindhouse Paradise aura une carte blanche chez son grand cousin, l’Extrême Festival, pour une carte blanche, avec l’avant-première du film Bull de Paul Andrew Williams, le 22 février 2022.
Toutes les infos sur l’atelier de sérigraphie Barbastella sur leur site.
Edit 2023 : l’affiche de l’édition IV est en dessous, et la programmation des films du 13 a 16 avril 2023 à l’American Cosmograph est ici.
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