Quel contraste avec la précédente production capitoline de Wozzeck parfaite sur tous les plans. Devenu Opéra National le capitole ne nous a pas semblé être à la hauteur cette fois sur la plan scénique mais musicalement tout à fait !
Comme la musique de la flûte est belle ainsi !
Un Théâtre du Capitole plein à craquer, un orchestre magnifique, des chœurs somptueux et des solistes parfaits : toute la magie de la musique de Mozart a pu se déployer pour le plus grand bonheur de tous. La Flûte Enchantée est bien le succès populaire qui convient pour les fêtes de fin d’année. Salle pleine et enthousiaste qui applaudit souvent après les airs et les ensembles. Il faut bien souligner que l’Orchestre du Capitole sous la baguette experte de Franck Beermann sait jouer un Mozart élégant, virevoltant et informé. Cordes en boyaux, instruments en bois, s’allient dans une jubilation de chaque instant. Quel orchestre ! Tempi vifs, phrasés magnifiques, précision de tous les plans, solide connivence fosse-scène, il naît de ce superbe écrin sonore une émotion que les chanteurs peuvent développer tant en douleurs qu’en humour, en terreur qu’en joie pleine. La direction de Franck Beeermann est dramatique et précise, du grand art.
Le Tamino de Bror Magnus Todenes est admirable, voix belle et facile, il se joue des difficultés du rôle. Jamais de mièvrerie, une ardeur maîtrisée et une émotion à fleur de voix. Un beau timbre qui évoque les ténors d’Europe centrale avec cette pointe de mélancolie si typique. La tenue en scène est naturelle et agréable. Un artiste à suivre assurément.
La Pamina d’Anaïs Constans est pleine de qualités vocales avec beaucoup d’émotions. Le timbre est riche et irisé de belles harmoniques, les phrasés sont élégants et son « Ach ich fuhl’s » dégage une émotion sincère. Voici une très belle prise de rôle pour notre Toulousaine qui a tout pour s’envoler dans les plus grandes maisons d’opéra.
La Reine de la Nuit de Serenad Uyar ne démérite pas vocalement mais ne trouve pas, dans son costume macabre, à vraiment s’imposer.C’est du gâchis, car le tempérament dramatique est là. De même le Sarastro de Luigi di Donato est vocalement impeccable mais sacrifié par une scénographie absconde. Le Papageno de Philippe Estèphe bénéficie de plus de liberté dans son costume pourtant terne mais pas guindé. Le couple avec la Papagena de Céline Laborie fonctionne bien et leur petit duo final apporte toute la tendresse et l’humour aimable attendus.
Les trois dames arrivent à s’imposer malgré leurs costumes ingrats. Grandes voix à l’autorité indiscutable elles sont toutes trois magnifiques. Les trois Garçons sont des solistes de la Maîtrise du Capitole, ils excellent à homogénéiser leurs voix pures et ont une présence « bons enfants », gratifiés de beaux costumes de magiciens mais ne sont pas autorisés à utiliser leur baguette magique… Pierre-Emmanuel Roubet et Nicolas Brooyman en prêtres et hommes d’armes sont bien assortis vocalement avec une belle présence. Le duo des hommes d’armes a la solidité attendue. Les quelques danseurs en noir omniprésents sont des entités au mieux élégantes mais le plus souvent superflues. Que dire de ce qui nous est donné à voir durant cette superbe interprétation musicale ? Le capharnaüm qui envahit la scène embrouille l’action. Les deux comédiens qui en français lisent les dialogues, les « texto » simplistes mis sur des petits tableaux, les affreux costumes des héros, les éléments de décors insensés, rien ne correspond à la subtilité musicale entendue. Il y a comme un divorce entre l’œil et l’oreille : Il ne s’agit pas d’humour ou de modernisation, surtout pas de simplification, mais bien de manque de respect. Le pari de confier la mise en scène à Pierre Rigal tombe à plat. Le danseur pour sa première mise en scène d’opéra embrouille l’action et encombre la scène, l’équipe autour de lui (4 à 5 aides) semble empiler les idées et propositions sans dégager une direction. Jamais il n’a été proposé une Reine de la Nuit si terne, un Sarastro si distant. Et enfermer les jeunes héros, qui pourtant passent avec succès des épreuves, dans un simulacre d’enfance est un non- sens. Les quelques huées pour Pierre Rigal au salut final de la première étaient bien compréhensibles…
Ce qui restera c’est la superbe musique de Mozart qui grâce à des interprètes tous bien chantants et un orchestre somptueux habitera nos mémoires dans notre musée du beau. Une distribution de rang international. Nous revient en mémoire la mise en scène de Nicolas Joël à la Halle aux Grains au début des années 2000 reprise 3 fois en 8 ans (ma dernière flûte en 2010). Cette mise en scène habilement insérée dans la Halle-aux-Grains, restera un modèle d’inventivité. De même cette mise en scène par Jean-Pierre Ponnelle à Strasbourg dans les années 70 (alors enfant, c’était ma première Flûte en 1975), restera scéniquement la plus vibrante. Oublions vite cet essai scénique toulousain de 2021, essai non transformé.
CRITIQUE. Opéra. Théâtre du Capitole, le 19 Décembre 2021. Wolfgang Amadeus Mozart (1556-1791) : Die Zauberflöte, Singspiel en deux actes sur un livret d’Emmanuel Schikaneder. Mise en scène et dramaturgie : Pierre Rigal, Dorian Astor, Frédéric Stoll et Agathe Vidal ; Costumes : Roy Genty et Adélaïde Legras ; Lumières : Christophe Bergon ; Danse : Mélanie Chartreux ; Distribution : Tamino, Bror Magnus Todenes ; Pamina, Anaïs Constans ; Papageno, Philippe Estèphe ; La Reine de la Nuit , Serened Uyar ; Sarastro, Luigi De Donato ; Papagena, Céline Laborie ; Première Dame, Andreea Soare ; Deuxième Dame, Irina Sherazadishvili ; Troisième Dame, Marie-André Bouchard-Lesieur ; Premier prêtre et premier homme d’armes, Pierre-Emmanuel Roubet ; Deuxième prêtre et deuxième homme d’armes, Nicolas Brooyman ; Trois garçons, Solistes de la maîtrise du Capitole ; Orchestre National du Capitole ; Chœur du Capitole (chef de chœur, Patrick Marie-Aubert) ; Direction musicale : Franck Beermann.
Photos : Mirco Magliocca
LE GRAND CAPHARNAÜM de Rigal et Cie photo Mirco Magliocca
PS: Je n’ai pas eu le courage d’aller entendre une deuxième fois cette Flûte alors que la deuxième distribution paraissait prometteuse. Un autre chroniqueur y a été : bravo la deuxième distribution était de la même eau!
Le dégout par rapport à la non mise en scène est dit plus crument par celui là , l’indigestion est totalement partagée ….
https://operagazet.com/la-flute-enchantee-a-toulouse-le-desenchantement/?lang=fr