Ce ne doit pas être l’un des moindres plaisirs de Christophe Ghristi, directeur artistique du Théâtre du Capitole, que d’entendre non seulement les tonnerres d’applaudissements venant saluer ces reprises de La Flûte mozartienne, mais aussi que de voir à nouveau cette salle archi-comble remplie de spectateurs visiblement aux anges.
C’est dans une nouvelle production que l’avant-dernier chef-d’œuvre de Mozart revient au Capitole après de nombreuses et merveilleuse années passées à la Halle aux grains dans la somptueuse mise en scène de Nicolas Joel. Mais il fallait bien qu’un jour elle réintègre ses terres légitimes. Christophe Ghristi en a confié les clés à un chorégraphe toulousain né à Moissac, Pierre Rigal qui, du coup, faisait ses premiers pas dans cette activité. Le cinéphile qui signe les présentes lignes n’a pu s’empêcher de faire le parallèle entre le travail de Pierre Rigal et celui d’un cinéaste proposant son premier long métrage. Ce qui règne en maître ici c’est la générosité avec ce je ne sais quoi de candeur et d’émerveillement. C’est à ce prisme qu’il convient en toute sincérité de voir ce spectacle ou d’excellentes et truculentes idées côtoient des tableaux qui, nous n’en doutons pas, verront à l’avenir leur esthétique modifiée.
Alors, même si l’on peut rester nuancé à voir Tamino faire le plein d’essence de sa voiture aux pompes… maçonniques, comment ne pas être impressionné par l’apparition de La Reine de la Nuit émergeant d’une Jungfrau fracassée en deux et révélant à cette occasion un magnifique portrait minéral ? Pourquoi ne pas sourire de voir Papageno adepte du delta plane lui qui fait commerce de volatiles ? Comment ne pas admirer les cinq danseurs vêtus de noir ponctuant certaines scènes avec une redoutable efficacité dramatique ? Bien sûr les costumes d’Adelaïde Le Gras transformant Tamino en Petit Prince et Pamina en poupée Barbie peuvent interroger quant à la construction dramatique de ces personnages. Bien sûr aussi peut-on ne pas être convaincu par ces immenses stores-bateau noirs qui vont envelopper toute la seconde partie du spectacle. Souhaitant s’adresser au plus grand nombre en cette période de fête, Pierre Rigal met en scène, et de manière plutôt convaincante, Mozart lui-même (May Hilaire) et son librettiste Schikaneder (Ferdinand Régent-Chappey). Pendant l’ouverture, les deux compères mettent en scène le rapt de Pamina puis vont être les interprètes, en français, des récitatifs, obligeant de facto les chanteurs à mimer ces moments-là. Evitant au passage pour les oreilles germanophones ultra-sensibles quelques désagréments…
Pierre Rigal l’avoue lui-même, il a eu peur lorsque Christophe Ghristi lui a proposé cette Flûte, car l’œuvre, par ses ambigüités est plus que piégeuse. Il y a fort à parier qu’une nouvelle incursion dans l’art lyrique verrait ce metteur en scène profiter au maximum d’une telle et redoutable expérience.
Deux distributions conjuguant jeunesse et… prises de rôle !
Sous la direction de Frank Beermann à la tête de l’Orchestre national du Capitole, ce ne sont pas moins de 24 solistes qui se succèdent pour chanter cet ouvrage. En effet, dans les principaux rôles, Christophe Ghristi donne leur chance à de tout jeunes chanteurs et, parfois, lors de prises de rôle.
La comparaison devient alors inévitable… Le ténor Bror Magnus Todenes a une voix puissante et une émission « helden tenor », il chante un Tamino vaillant dont l’organe trahit certainement d’autres emplois à venir plus larges vocalement. Cela ne devrait pas l’empêcher de nuancer son propos vocal, ce que sait faire admirablement Valentin Thill, Tamino proche de l’idéal malgré son jeune âge, un âge qui lui laisse ouvertes les portes de menus perfectionnements qui devraient l’amener vers une belle carrière. Le timbre est lumineux, la musicalité affirmée et l’interprète plus que convaincant.
Si Anaïs Constans est une Pamina un rien effacée malgré une interprétation vocale de bon aloi, Marie Perbost s’empare de ce personnage avec une voix plus conséquente, même si parfois un peu métallique de timbre dans le haut du registre. Avec elle on comprend pourquoi Tamino n’aura plus qu’à la suivre au pied des épreuves… Deux Reines de la Nuit pour deux airs… infernaux. Mozart leur a confié dix minutes sur un total de… trois heures ! Autant dire qu’elles n’ont pas de droit à l‘erreur car il n’y a pas de seconde chance. Or les deux airs en question sont les plus attendus par le public, tout comme Nessun dorma ou autre Donna e mobile. Ce sont donc deux cantatrices habituées à ce rôle qui sont présentes dans cette production. Toutes deux, que ce soit Serenad Uyar ou Marlène Assayag, franchissent les Himalaya de leur partition sans coup férir.
Côté clé de fa, si les Sarastro de Luigi De Donato et du jeune Christian Zaremba affrontent les profondeurs abyssales de leur rôle avec sinon autorité, du moins probité, c’est incontestablement les deux Papageno qui recueillent les délires d’enthousiasme du public. Il faut dire que ce rôle est taillé pour. Mais tout de même, saluons la très belle tenue vocale de Philippe Estèphe et l’incroyable charisme du jeune Kamil Ben Hsaïn Lachiri. Ce dernier nous propose une véritable incarnation de l’oiseleur, paradigme de l’Humain, avec ses forces et ses faiblesses, ses joies, ses peines, ses rêves. Totalement craquant, il est l’objet d’un triomphe mérité.
Et puis il y a les autres artistes qui, eux, assurent les neuf représentations. Il en est ainsi de Paco Garcia, Monostatos déguisé, tout comme ses esclaves, en livreur uber eats (?), de la sculpturale et irrésistible Papagena de Céline Laborie, des Trois Dames, ici servies magnifiquement par Andrea Soare, Irina Sherazadishvili et Marie-Andrée Bouchard-Lesieur. Sans oublier l’Orateur de Stephan Loges, Pierre-Emmanuel Roubet et Nicolas Brooysmans respectivement Premier et Deuxième Prêtre et Homme d’Armes. Saluons également les six jeunes Solistes de la Maîtrise du Capitole (Les Trois Génies) ainsi que le Chœur du Capitole placé pour l’occasion sous la direction de Patrick Marie Aubert. Toutes et tous ont participé pleinement à la réussite de ce spectacle
En cette période de fête de la Nativité, fête pleine d’espoirs, à chacun de voir son verre, à moitié plein ou…
A l’évidence les mélomanes toulousains ont fait leur choix.
Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse
Photos : Mirco Magliocca