Le mois dernier fut mon retour au théâtre, et ma première au Théâtre de la Violette, lieu ô combien chaleureux, pour voir Dans la peau de la panthère, le spectacle d’Anne-Gaëlle Duvochel. Elle y parle de son parcours d’un genre à l’autre, et pas que. Je connais Anne-Gaëlle pour avoir travaillé avec elle dans les établissements scolaires, dans le cadre d’interventions pour lutter contre l’homophobie, et les LGBTphobies. Elle m’a aussi chouchoutée, comme tous les membres du Jury pour le Festival DIAM. Anne-Gaëlle est quelqu’un que j’apprécie, et son seule en scène est à son image : sincère, apaisée, généreuse, drôle. Un sens de la formule et une performance qui font passer les 1h30 super vite. Tous les spectateurs sont restés au bord de scène, qui n’était pourtant pas annoncé, pour prolonger la rencontre. Les 17, 18, 19, 20 novembre à 21h, Dans la peau de la panthère sera au Théâtre du Fil à plomb, dans le cadre du « Mois des cultures transgenre, queer et intersexe » soutenu par la Mairie de Toulouse. Pour cette occasion, elle a bien voulu répondre à mes questions en revenant sur son parcours. Un grand merci à elle !
Peux-tu te présenter ?
J’ai une carrière d’administratrice, la plus grande partie à la télévision où j’ai négocié les premiers Dallas et autres Petite maison dans la prairie, mais aussi où j’ai été DRH de la station de France3. J’ai ensuite créé mon propre cabinet de conseil et donné des cours à l’université après avoir écrit un livre sur le financement des films.
Comment es-tu arrivée dans le monde du spectacle ?
Par hasard. En 2011, j’avais co-écrit un petit roman d’aventures, La pierre noire de Bugarach et c’est en allant le déposer à la librairie de Cucugnan, au pied du château cathare de Queribus, dans les Corbières, que j’ai vu une affichette proposant un stage de contes où je me suis inscrite.
Il était mené par le si talentueux Olivier de Robert, et j’ai été confirmée dans mon envie de monter sur scène raconter des histoires. Bien vite, aiguillonnée par le « concours de sermons » du Festival de Contes de Cucugnan, j’en suis venue à écrire mes textes, qualifiés par une journaliste du Monde « d’Objets Contés Non Identifiés » (OCNI), car à la croisée du conte, du sketch, de la performance.
Comment est né ton premier spectacle Blanche Neige règle ses contes ?
J’ai ainsi gagné ce concours cinq fois de suite et, avec mes OCNIs, j’ai construit mon premier spectacle Blanche Neige règle ses contes. Le but principal était de faire rire avec des séquences très différentes mais riches en jeux de mots. Je fais attention de ne blesser quiconque dans mes évocations, le plus souvent je me moque de moi-même. Quand je glose sur le concept de « Plan B » c’est en hommage à l’inégalable Raymond Devos. Je me moque aussi, gentiment tout de même, des tics et travers des conteurs. Et quand je débarque sur scène habillée en Blanche Neige façon Walt Disney, c’est pour dénoncer le côté très machiste de la plupart des contes de fée traditionnels, si bien que j’arrache ma robe pour me transformer en « super Blanche Neige » avec une cape, pour chasser les machos hors du pays des contes, façon Jeanne d’Arc contre les Anglais. Je termine par Le petit chaperon rouge en rap. J’adore quand ça tourne au fou-rire.
Et maintenant Dans la peau de la panthère !
Dans la peau de la panthère, c’est l’histoire d’un homme qui rêve de se revêtir de la peau de la femme comme le sorcier de la tribu danse autour du feu revêtu de la peau d’une panthère pour s’emparer des pouvoirs de cet animal. Au départ, j’ai improvisé ce spectacle pour répondre à la demande de l’association Le Cri de la Chatte qui voulait un exposé « original » de la part d’une conteuse sur la transidentité. J’ai voulu décrire un des multiples parcours de transidentité, qui ne rentre pas dans le discours dominant exposé dans les médias.
Les personnes transgenres que je connais, dans leur majorité, pour ne pas dire toutes, ne veulent plus parler de leur passé, et toi, tu arrives sur scène en homme.
Le personnage que j’incarne, Philippe, – un prénom banal au siècle dernier -, assume l’entièreté de sa vie, il ne veut pas être coupé en deux, avec une partie de lui-même qu’il renierait, ou même détesterait. Même s’il montre qu’il a souffert d’une grande frustration jusqu’à 60 ans, sa vie n’a pas été horrible, ni vaine. À partir du moment où il a eu des enfants, il a décidé en pleine conscience de mettre toute sa volonté à leur service, de ne pas les perturber par son incroyable désir jusqu’à ce qu’ils soient de jeunes adultes en pleine réussite et en état d’encaisser le choc, qui a quand même été très douloureux pour eux. Sur scène, en remportant la gageure de faire intervenir le personnage qu’il a été, il n’est plus une victime traumatisée, condamnée à renier une partie de sa vie, à qualifier son ancien prénom de « mort », – quel signe d’échec ! -, contraint à vivre sur une seule jambe : il affirme un choix, non pas d’être ou ne pas être trans, mais de maîtriser le processus. Il est réconcilié avec lui-même, entier, ce qui devrait être l’objectif de toute transition. Du coup, il peut décrire le fameux « parcours » de manière très détaillée avec la distance de l’humour. Aucune personne trans ne l’a fait jusqu’à présent, ce qui est une motivation supplémentaire de le faire.
Le choix de la mise en scène ?
La mise en scène initiale, je l’ai dit, a été spontanée, avec juste l’idée de se transformer visuellement sur scène, et d’utiliser une chaîne pour rappeler Ulysse résistant à l’appel des sirènes. Le spectacle ayant été joué une deuxième fois avec un succès grandissant, j’ai travaillé quelques séances avec un metteur en scène chevronné, Yves Marc, créateur de « théâtre du mouvement ». Le plus difficile est de ne pas faire un spectacle trop long…
Quand je suis venue voir ton spectacle, tu as directement enchaîné avec un bord de scène.
C’est un peu dans l’ADN de ce spectacle, créé pour donner des explications, de déboucher sur des échanges avec le public pour réfléchir notamment sur ce qu’on entend par homme ou par femme. Le personnage refuse de se définir comme femme authentique dans la mesure où il n’est pas une femelle. Il se définit comme personne humaine « plaquée femme », à l’image d’un bijou « plaqué or ». Il constate que l’État lui-même, pour modifier l’identité sexuelle sur le registre d’état civil, ne rentre pas dans le débat de savoir si la personne est réellement une femme ou un homme. Les juges et l’État demandent simplement que la personne ait réussi la performance de « se faire passer pour » une femme ou un homme dans son environnement. Comme un migrant du genre qui aurait réussi à franchir la frontière homme-femme et à obtenir le droit d’asile sur le territoire de son choix.
En refusant la facilité de justifier son parcours par l’idée qu’il serait vraiment une femme, et en démontrant qu’il s’est agi d’une performance sociale, le personnage affirme sa lucidité, son intégrité, et remplace le discours victimaire par une épopée d’aventurier du genre.
Ton avis sur la visibilité des personnes transgenres dans les films et séries ? Certaines personnes transgenres, et cisgenres aussi d’ailleurs, affirment qu’un personnage transgenre ne peut être joué que par une personne transgenre, comme un personnage noir ne pourrait pas être joué par un acteur blanc maquillé en noir ; d’autres transgenres, et cisgenres affirment l’exact inverse…
Tout d’abord, comparer une cisgenre qui jouerait le rôle d’une trans à un acteur barbouillé de cirage pour jouer un noir ne sert qu’à déclencher chez l’auditeur un réflexe de bien-pensance. C’est un truc d’activiste. La comparaison avec le cirage est même injurieuse pour les trans puisque le maquillage ne trompe personne, or la plupart des trans affirment qu’elles sont réellement ce qu’elles donnent à voir. Elles devraient donc être contentes d’être représentées par des cisgenres.
Trêve de plaisanterie, la seule chose qui compte c’est le talent et, surtout, la vraisemblance. Or, Claire Nebout dans le téléfilm de TF1 Louise ou Fanny Ardant dans Lola Pater, excellentes actrices, sont bien trop féminines pour qu’on croit une seconde qu’elles aient été des hommes. D’ailleurs, ces films ne sont jamais cités par les trans. Dans un autre registre, Melvil Poupaud dans Laurence Anyways n’est pas crédible à cause du scénario, qui montre un homme figé dans son personnage de départ, simplement dérangeant, pas du tout en transition. Lui non plus n’est pas une référence pour les trans. Romain Duris, dans le film Une nouvelle amie de François Ozon n’est pas mal, mais le scenario est invraisemblable.
Bien plus proches de la réalité sont Bambi de Sébastien Lifshitz, Transamerica de Duncan Tucker, Les Nuits d’été de Mario Fanfan, Normal de Jane Anderson, Danish Girl de Tom Hooper, Girl de Lukas Dhont, Lola vers la mer de Laurent Micheli, où l’actrice Mya Bollaers est trans. TF1 aussi a eu enfin la bonne idée de faire jouer le rôle de la jeune femme trans par Andréa Furet, une actrice trans, dans son récent téléfilm Il est elle de Clément Michel. Dommage que le scénario ne tienne pas debout en ce qui concerne les rapports entre les parents.
Représentations Dans la peau de la panthère, les 17, 18, 19, 20 novembre à 21h
THÉÂTRE DU FIL A PLOMB, 30 rue de la Chaîne, Toulouse.
Dans le cadre du « Mois des cultures transgenre, queer et intersexe », programme PDF ici, soutenu par la Mairie de Toulouse.
Réservations 05 62 30 99 77 ou reservation@theatrelefilaplomb.fr
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