L’ensemble fondé en 2020 par Clément Lanfranchi vient de franchir une nouvelle étape dans la diversité de ses moyens d’expression musicale. Jusqu’à ce 8 novembre dernier, le Consort Apollon se présentait au public sous la forme d’un groupe d’une quinzaine de musiciens que dirigeait son fondateur, parfois depuis le clavier de son clavecin. Au cours de cette soirée du 8 novembre, l’ensemble a choisi une formation de musique de chambre en adoptant le format plus intime du trio.
La maxime originale de « rencontre en tête à tête » caractérise ce nouveau format de concert. Autour du clavecin de Clément Lanfranchi, la violoniste Sophie Castaing et la violoncelliste Sophie Castellat, toutes deux membres du Consort Apollon, composent ainsi un trio original, animé d’une cohésion, d’une complicité totales. Le programme imaginé ce soir-là s’établit autour de cinq compositeurs italiens et français qui ont marqué leur époque et leur lieu d’activité. D’où le titre de cette rencontre « De Venise à Paris ». Dans cette belle église Saint-Nicolas, confirmation et découverte(s) sont au rendez-vous.
La première partie de la soirée est consacrée à l’Italie (Venise donc en particulier), avec deux compositeurs célèbres en leur temps. Giuseppe Tartini (1692-1770), contemporain de J. S. Bach, connut la gloire grâce à ses talents de violoniste. Sa Sonate pour violon et basse continue n° 10, qui ouvre le concert, est sous-titrée « Didone abbandonata ». La soliste Sophie Castaing, accompagnée de ses deux complices, en exprime la nostalgie initiale, la souffrance même, tout en pratiquant une admirable pureté de son et de style, ainsi qu’une ornementation subtile.
L’éloquence caractérise la très belle sonate pour violoncelle en sol majeur de Domenico Gabrielli (1659-1690), ici accompagnée du seul clavecin. Ce presque homonyme (à un l près) de la dynastie des Gabrieli, a bâti sa réputation sur ses grands talents de violoncelliste. Sophie Castellat place sa très belle sonorité ambrée au service d’un phrasé raffiné. Méditation et virtuosité se succèdent, se combinent harmonieusement.
Trois compositeurs français occupent toute la seconde partie. Présence féminine rare dans les programmes de concert, celle d’Elisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729) témoigne d’un impressionnant talent de compositrice et de violoniste.
Adepte de la « réunion des goûts », comme l’évoque Clément Lanfranchi dans sa présentation toujours bienvenue des œuvres, cette grande musicienne alterne les affects avec une imagination impressionnante dans sa Sonate pour violon et basse continue n° 1 en ré mineur. Sophie Castaing en exploite avec finesse la diversité des caractères de chaque mouvement : le rêve, l’éloquence des récitatifs, les références à la danse, puis au chant (très belle aria), dans une audace des styles parfaitement assumée.
De Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755), la Sonate en trio op. 50 n° 6 témoigne d’une sorte de grâce insouciante dans l’alternance de ses quatre mouvements contrastés. De charmants dialogues entre les trois musiciens concluent cette partition « heureuse ».
C’est avec un compositeur passablement oublié que se conclut ce concert. Jean-Baptiste Barrière (1707-1747), fut en son temps un très célèbre gambiste qui s’orienta vers le violoncelle, suivant en cela l’évolution de l’instrument. Devenu une référence, il conserve une certaine notoriété auprès des violoncellistes baroques. Parmi les nombreuses partitions qu’il consacra à son instrument, la Sonate en trio n° 2 en ré mineur mérite amplement la découverte. Ses quatre mouvements explorent des modes d’expression très divers que les interprètes s’attachent à caractériser avec un sens profond du style. Débutant comme un lamento, l’œuvre se conclut sur une gigue dans laquelle on observe d’audacieuses dissonances expressives habilement soulignées.
Le grand succès auprès du public de ce programme original amène les interprètes à reprendre avec bonheur le final de la Sonate d‘Elisabeth Jacquet de la Guerre. Comme pour rendre un hommage nécessaire aux compositrices de l’histoire de la musique, trop longtemps négligées…
Cette première incursion du Consort Apollon dans le domaine encore rarement exploité de la musique de chambre baroque est une réussite qui doit beaucoup au talent et à la curiosité des interprètes. Souhaitons qu’elle soit suivie de nouvelles et fertiles découvertes.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse