Jeudi 14 octobre 2021 20h45.
Quel plaisir de retrouver cette chère Salle Nougaro après longue cette période de jeûne culturel!
Le concert de ce soir est présenté dans le cadre du festival Jazz sur son 31, je remarque qu’il y a peu de « jeunes », le public est largement quinquagénaire, même si je suis certainement le plus âgé.
Les ceintures noires, « quel drôle de nom pour un groupe » me dis-je; mais pas pour longtemps: dès qu’ils attaquent, ils maitrisent cette musique Soul annoncée, comme les professionnels des arts martiaux dont la vieille ceinture noircie symbolise l’expérience supérieure dans ce domaine. D’entrée les musiciens de Black Belts chauffent la salle sur le mode Soul-funky avec une intro instrumentale à la Booker T & The MG, et des allusions aux Stax Revues des années 1960, tissant un tapis rouge pour JP Bimeni.
Ce londonien originaire du Burundi, chemise blanche, pantalon et bretelles noires,, chaussures en daim marron, pantalon impeccablement repassé, haute taille et élégance féline, n’a rien perdu de son port royal héritée de sa mère, malgré les épreuves qu’il a traversées pour fuir la guerre civile qui a ravagé son pays.
Il occupe tout le devant de la scène avec des pas de danse chaloupés, utilisant peu son pied de micro de rocker à l’ancienne.
En fait, il mixe la Soul avec le Jazz funk et le Rhythm and Blues, toujours avec ce swing inimitable des artistes blacks, même si par moment, il a des intonations d’Otis Redding et même de James Brown; et à d’autres, de Marvin Gaye (mais je ne lui souhaite pas le destin tragique de celui-ci).
Qu’a t’il mis dans sa bouteille blanche pour tenir ce rythme d’enfer?
La voix est parfois un peu mixée sous l’orchestre, mais il reprend vite les rênes et met tout de suite le public dans sa poche, imposant un rythme de feu. Quand il calme un peu le jeu, il nous la joue naturellement crooner. Son répertoire composé de chansons d’amour et de perte, d’espoir et de peurs (Pain is the name, Souffrance est le nom, Fade Away, Dépérissant, ou Missing You, Te perdant etc.) est porté par la conviction de celui qui revient de très loin et apprécie sa vie d’aujourd’hui à sa juste valeur.
Free Me, chanson titre de leur premier album, résume bien comment l’amour l’a libéré.
Il construit progressivement ses morceaux jusqu’à des crescendos enflammés, qui font vite chanter toute la salle, ou plutôt scander les refrains, comme dans cette ode à une mystérieuse Madalaine, madeleine qui pourrait être la sienne de Proust, et dont l’amour semble lui être interdit.
Ces morceaux sont courts mais tout en puissance et en efficacité. N’étant pas un spécialiste de cette musique, je ne reconnais que My baby likes the Boogaloode Don Gardner popularisée par Robert Cray (que j’avoue avoir écoutée à cause de son titre évocateur), mais sans problème Keep on running,seul tube du Spencer Davis Group en 1965 mais qui a fait le tour du monde, dans une version très Rhythm and Blues, et I can get no satisfaction (de 1965 aussi) version funky: ça marche toujours, merci les Stones (un petit salut à Charlie Watts, le gentleman batteur).
C’est Fernando Vasco “Dos pistolas”, dont les riffsde guitare sont parfaitement calibrés, qui drive le groupe. Rodrigo Díaz “El niño”: batterie, et Pablo Cano “Bass man” (pas besoin de traduction), pulsent rondement, Alex Larraga “Subtle Man” aux claviers a des accents d’orgue hammond, Ricardo Martinez “Richy: trompette, et Rafael Díaz “Salsofon” (pas besoin de traduction non plus), soufflent façon Muscle Shoal Horn (1); et chaque musicien prend son petit solo virtuose.
Le public adore, et s’il ne peut pas se lever pour danser, il participe en tapant dans ses mains et de ses pieds, les rangées de sièges bougent et menacent de se décrocher.
L’ensemble est propre, peut-être un peu trop à mon goût, c’est une bonne machine FM bien rodée, bien huilée. Mais même si je préfère le groove de Big Daddy Wilson ou Otis Taylor, dans un autre style bien sûr, qui sont passés deux fois ici, je ne boude pas l’ambiance. Et je me laisse entrainer dans le tourbillon.
Après une petite heure de concert, mais d’une grande intensité, tout le public est debout (sauf moi coincé par mon iPad et mon iPen, continuant à prendre des notes, et les régisseurs derrière leurs consoles bien sûr) pour les trois rappels dont un Can’t get Enough bien inspiré, même si celui (rock) de Bad Company reste mon préféré.
Une soirée de plus à inscrire au Livre d’or de la Salle Nougaro qui pourtant en a vu d’autres. Après une date à Limoges, J.P. Bimeni & The Black Belts reviendront à Paris au début de l’année prochaine pour enregistrer leur nouveau disque: je ne doute pas un seul instant qu’il faire un malheur; et ce sera bien mérité.
Bravo Mister Bimeni pour cette résilience parfaitement orchestrée qui en facilite d’autres, j’en suis sûr, à la manière de ces musiques de guérison qui agissent en profondeur « en rétablissant la liaison avec le monde extérieur », on le sait depuis l’Antiquité.
Pour en savoir plus :
1) The Muscle Shoals Horns est une section de cuivre américaine composée de musiciens de session qui ont joué sur de nombreux disques de Rhythm and Blues et de Rock entre la fin des années 1960 et nos jours, ainsi que leurs propres enregistrements, dont le hit R&B de 1976 « Born To Get Down ».
2) Je vous recommande un livre qui n’a rien à voir avec cette chronique, si ce n’est la conclusion de cette chronique:
Luchon thermal, une histoire des Bains, par Alice de la Taille, avec des photographies d’Amélie Boyer et de Philippe Poitou, édité par la Région Occitanie, dans le cadre de l’inventaire général de son patrimoine culturel.
Luchon, ou plus exactement Bagnères-de-Luchon, surnommée la « Reine des Pyrénées », a été chantée par de très nombreux auteurs et photographes, en particulier par Edmond Rostand dans ses Musardises, ses poèmes de jeunesse:
Quelle terre ne serait pas sèche
Auprès de cette terre? Ah! si
L’on vivait d’amour et d’eau fraîche,
Ce ne pourrait être qu’ici !
Outre ses charmes indéniables, architecturaux autant que naturels, Luchon est aussi un endroit où l’on soigne fort bien des maux rhumatologiques et pneumologiques, grâce à des sources d’eaux sulfurées, depuis l’époque romaine. Ce livre érudit richement illustré nous fait vivre sa belle histoire depuis le règne d’Auguste à l’époque actuelle en passant par celui de Napoléon III celle d’un cadeau de notre patrimoine bien valorisé par les générations passées.
Il tombe à pic, c’est le cas de le dire, alors que les Thermes connaissent une période de turbulences que la pandémie n’a pas arrangée, bien au contraire.