Cher Georges,
T’étais pas un enfant perdu,
T’as pourtant fait les 400 coups,
T’as eu de la chance d’avoir
Une Mère en odeur de sainteté
Et un père d’un sacré tonneau.
Certes t’as connu un temps de chien,
Le temps de tes 20 ans morts à la guerre.
C’est peut-être pour ça que tu lançais le Cri des gueux
À la venvole, pour le Parti préhistorique;
Et tout le monde en prenait pour son grade;
Mais tu n’attaquais jamais les personnes
Toujours les institutions.
Tu aimais partager la pasta
Avec Lino Ventura
Que tu aidais à cultiver son Perce-Neige,
Et les bonbonnes au ventre replet
Remplis du bon lait de l’automne
Avec les copains de Cette ou du stalag.
Tu aimais beaucoup les petites poupées
Qui font maman quand on les couche,
Qu’on bécote sur les bancs publics,
Les braves Margots ou les Jeannes Martin,
Les Passante sou les Nymphomanes;
Tu avais même de la compassion
Pour les filles dites de joie
Et pour les Tondues de l’An 45.
Comme disait ton ami Roger Fallet,
Tu avais une voix en forme de drapeau noir,
De robe qui sèche au soleil,
De coup de poing sur le képi,
Une voix qui va aux fraises, à la bagarre et…
A la chasse aux papillons…
Tes coups d’épées dans l’eau,
T’en a fait du rythme pour tes chansons
Mariant Jazz cabossé et Blues désossé.
Tu tutoyais Francis Jammes qui est au Paradis avec les ânes:
LA PRIÈRE
par Gilbert Clamens (guitare), Bénédicte Clermont-Pezous (chant soprano) et E.F-M (voix)
in Clairières dans le ciel de Francis Jammes
Ou Paul Fort qui disait « un poème c’est une chanson qui se parle »:
LE PETIT CHEVAL
par E.F-M (voix)
in Anthologie de la Poésie de langue française du XIIeau XXesiècle
Ou encore François Villon qui se rima doux papillon:
Dites moy ou, n’en quel pays
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, née Thaïs
Qui fut sa cousine germaine,
Echo parlant quand bruyt on maine
Dessus rivière ou sus estan
Qui beaulté eut trop plus qu’humaine.
Mais ou sont les neiges d’antan?
Qui beaulté eut trop plus qu’humaine.
Mais ou sont les neiges d’antan?
Quand j’étais ado,
J’étais plutôt Léo,
Ferré, bien sûr!
Tendance Pacific Blues, La Marseillaise ou L’affiche rouge,
Que je chantonnais tout le temps,
Dans la douche ou dans la rue,
Surtout Les Anarchistes.
Alors je t’en chante le refrain,
Ça ne devrait pas te déplaire,
aujourd’hui comme dans les années 60:
Y en a pas un sur cent et pourtant ils existent…
Et s’il faut commencer par les coups de pieds au cul,
Faudrait pas oublier que ça descend dans la rue,
Les Anarchistes !
Moi qui ne connais pas la musique,
Y a plein de tes chansons
Que je fredonne par cœur.
Certaines sont toujours d’actualité,
Comme celle-ci
pour les intégristes de l’art contemporain:
Que jamais l’art abstrait, qui sévit maintenant
N’enlève à vos attraits ce volume étonnant
Au temps où les faux-culs sont la majorité
Gloire à celui qui dit toute la vérité…
Ou celle-là
Avec les patriotes des émissions télévisées,
À la recherche de boucs-émissaires,
Qui font la chasse aux sans-papiers et aux immigrés:
Elle est à toi cette chanson
Toi l’étranger qui sans façon
D’un air malheureux m’as souri
Lorsque les gendarmes m’ont pris
Toi qui n’as pas applaudi quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
Riaient de me voir emmener
Ce n’était rien qu’un peu de miel
Mais il m’avait chauffé le corps
Et dans mon âme il brûle encore
A la manièr’ d’un grand soleil…
Et puis y en a d’autres qui sont intemporelles:
Un’ jolie fleur dans une peau d’vache
Un’ jolie vach’ déguisée en fleur
Qui fait la belle et qui vous attache
Puis, qui vous mèn’ par le bout du cœur.
Mysoginie à part,
Tu savais fort bien qu’y a plein de bonshommes
Qui sont aussi de fieffées peaux de vaches!
Même si t’as refusé de rentrer à l’Académie
Qui te faisait du pied,
De porter l’habit vert comme un paon,
Tu serais heureux de savoir
Qu’y a plein de lycées qui portent ton nom
Et qu’à Normale Sup on planche sur tes textes!
T’étais vraiment
Le petit joueur de flûteau
Qui fit la révérence au château
Sans armoiries, sans parchemin,
Sans médaille, se mit en chemin ;
Et nul ne dit dans le pays
Le joueur de flûte a trahi.
Tu disais: « Je ne suis pas poète.
Même si j’aurais aimé l’être comme Verlaine ou Tristan Corbière ».
Mais je suis sûr que tu navigues avec eux
Sur la voie lactée ô soeur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts vous suivez d’ahan
Son cours vers d’autres nébuleuses;
Et que vous chantez en chœur
Les Copains d’abord
Tututudududu…
Des bateaux j’en ai pris beaucoup
Mais le seul qu’ait tenu le coup
Qui n’ai jamais viré de bord
Mais viré de bord
Naviguait en père peinard
Sur la grand-mare des canards
Et s’appelait les Copains d’abord
Les Copains d’abord.
Bon anniversaire, cher Georges: tu portes fort bien tes 100 ans!
Pour en savoir plus :
Brassens est sans doute un de nos plus grands poètes de la chanson, dont on reconnaît tout de suite le rythme, très inspiré du blues et du jazz (mais oui), et la diction, parfaite. Contrairement à de nombreux artistes de variétés, il n’a jamais couru après la célébrité, même s’il a chanté Les Trompettes De La Renommée; il lui a fallu trente ans pour être reconnu, comme Ferré d’ailleurs, sans l’aide d’une maison de disque qui fabriquent aujourd’hui un ou une « artiste » en 6 mois, avec l’aide des radios dites libres.
Dans ses chansons gentiment provocatrices où l’amour est très souvent le sujet, la tendresse est toujours présente, même si cela peut choquer les hypocrites de chanter les amours adolescentes; c’est un thème qu’on retrouve chez de nombreux poètes à toutes les époques. Même s’il chantait l’amour de l’amour, souvent volage en paroles, même s’il refusa toujours de se marier, partisan de l’union libre, et d’avoir des enfants, ce n’est pas un hasard s’il a dédié plusieurs chansons à Pupchen (poupée en allemand), qui restera sa compagne pendant toute sa vie et repose auprès de lui au Cimetière des pauvres à Sète.
Le fumeur de pipe invétéré a toujours été sportif, haltérophile même, qui exhibait sa volontiers sa musculature. Même célèbre, il restera une parfaite incarnation de la Bohême chantée par Aznavour, son seul luxe étant l’eau courante et l’électricité.
S’il était autodidacte, s’exerçant pendant des heures, il pratiqua néanmoins, la batterie, percussions et cymbales, le banjo, le piano en plus de la guitare; et il avait de bonnes notions de solfège.
Chanté aujourd’hui dans les écoles par des gamins qui adorent sa coquinerie sans en saisir toute la malignité, transmis comme un trésor du patrimoine poétique et populaire français, il fut voué aux gémonies par tous les pisse-froids et les moralisateurs du style « faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais », et le plus censuré de nos trois plus grands poètes de la chanson (Brel, Brassens, Ferré).
Fiché par les Renseignements Généraux pour « complicité d’adultères dans ses chansons » (!!!), il l’était surtout pour ses idées libertaires; sans doute à cause de son anticonformisme, certains diraient son anarchisme: Mourir pour des idées, où il développe son propos antimilitariste et l’argumente est une réponse à ceux (« multitude accablante ») qui avaient vivement critiqué sa chanson de 1964, Les deux oncles. Elle a été traduite dans de nombreuses langues, ce qui prouve son universalité, notamment en italien par le grand cantautore Fabrizio de André.
Tout anticlérical qu’il fut, il connaissait le latin et s’y perfectionna même, ainsi que l’l’Evangile selon Matthieu (25, 35-36), qui rapporte les propos du Christ : « J’avais faim. Vous m’avez nourri. J’avais soif. Vous m’avez donné à boire. J’étais un étranger. Vous m’avez ouvert votre porte. J’étais sans vêtements. Vous m’avez vêtu… ». Dans une de ses plus célèbres chansons, il a remplacé le Christ par un « marginal », mis au ban de la société; c’est un simple Auvergnat, lui-même exclu de la majorité bien pensante, qui vient à son secours, avec ses maigres moyens. Et il n’oubliait jamais ses chers disparus, pour lesquels il mit en musique, avec une superbe mélodie, Pensée des morts, de François-René de Chateaubriand:
Profondément amoureux de la Mer auprès de laquelle il passa son enfance, Georges Brassens, même s’il vécut la majorité de sa vie dans la grande ville, ne supportait pas que l’on souille celle-ci (à Sète, il était bien placé pour voir les égouts déguelant dans la Grande Bleue, comme sur tout le littoral), et n’avait pas de mots trop durs contres les fauteurs de marées noires, ni que l’on saccage la nature, en particulier les arbres dont il savait que la compagnie est vitale pour l’Homme, et le l’affirma haut et fort.
Ne serait-ce que pour cela, il nous reset très cher.
Encore merci Monsieur Georges.
Né le 22 octobre 1921 à Sète, dans l’Hérault, le poète aurait eu cent ans le 29 octobre de cette année. Sa ville natale et l’Occitanie saluent l’homme et le chanteur. La Région lui rend hommage pour ses 100 ans, en ces termes:
« Toute sa vie, il resta attaché à sa ville de Sète et à la plage de la Corniche. Sa mauvaise réputation fait désormais honneur à sa ville natale et à l’Occitanie ».
https://www.laregion.fr/Georges-Brassens-le-virtuose-des-mots
Par ailleurs, FR3 diffuse en replay une Journée avec Brassens, avec de nombreux artistes dans les rues de Sète et au Théâtre de la Mer: sans surprise, les prestations sont très inégales, en particulier celles des « vedettes ». Mais nous avons apprécié celles de Gauvain Sers, Jeanne Cheral, Sanseverino, Angélique Kidjo (trop courte), Imany, et des « accompagnateurs » (créditées et crédités trop rapidement dans le générique de fin), en particulier la violoncelliste Elsa Fourlon (remarquée dans le groupe Circus), le batteur Fabien Haimovci et le guitariste Bertrand Commère. Une absence remarquée aussi, c’est celle de Maxime Le Forestier qui a tant oeuvré pour faire perdurer les chansons du Grand Georges…