Le 21 octobre, dans le cadre des concerts et récitals de la saison du Théâtre du Capitole, deux grands artistes présentaient un programme musical d’une rafraîchissante originalité. La grande mezzo-soprano Sophie Koch, magnifique Ariane de l’opéra Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas et impressionnante Kundry du Parsifal de Richard Wagner sur la même scène, était associée au piano magique et lumineux de Bertrand Chamayou.
Le public a répondu en nombre et rempli la salle du Théâtre du Capitole pour découvrir le programme exigeant et novateur choisi pour ce récital. Consacré à l’art du lied et de la mélodie au XXème siècle, le premier volet évoque la prosodie française, alors que le second s’intéresse à une partie du répertoire germanique.
Après une intervention de Sophie Koch qui dédie cette soirée à celui qui lui a donné sa chance, Nicolas Joel, le récital s’ouvre sur le cycle Le Faune et la bergère composé par Igor Stravinsky en 1906, pendant sa lune de miel, sur des poèmes érotiques et pastoraux d’Alexandre Pouchkine, en l’occurrence La Bergère, Le Faune et Le Torrent. Sophie Koch en détaille ici avec une belle diction la version française des textes. Le métal du timbre, l’ampleur de la voix rendent pleine justice à cette écriture encore néoromantique et parfois presque debussyste de celui qui va révolutionner le style musical du siècle
C’est précisément à Debussy que la suite est consacrée. Deux des Cinq poèmes de Charles Baudelaire, Le Balcon et Le jet d’eau, sont abordés avec éloquence et poésie par les deux complices. Sophie Koch impose un style à la fois dépouillé et volontaire, alors que le jeu de Bertrand Chamayou traduit toutes mes moirures de l’écriture grâce à un toucher épuré et plein de nuances. Le cycle magique de Maurice Ravel, Shéhérazade, sur les poèmes de Tristan Klingsor trouve tout naturellement sa place après Debussy. La cantatrice anime chaque poème de manière bien différenciée. Au rêve exotique d’Asie, succède la douceur de La Flûte enchantée puis l’érotisme charmant de L’Indifférent. Le pianiste ne se contente évidemment pas d’accompagner la voix. Comme pour évoquer les couleurs de la version orchestrale de l’œuvre, il tisse un commentaire poétique d’une grande beauté.
La seconde partie de cette soirée témoigne de la familiarité de Sophie Koch avec la langue de Goethe. Rien d’étonnant de retrouver tout d’abord Alban Berg au cœur de ce concert, sachant que la cantatrice effectuera bientôt sur cette même scène sa prise de rôle du personnage de Marie de l’opéra du même Alban Berg, Wozzeck. Les Sieben frühe Lieder (Sept Lieder de jeunesse) du compositeur de la Seconde Ecole de Vienne, disciple d’Arnold Schönberg, ont été composés entre 1905 et 1908, alors que leur auteur étudiait encore avec Arnold Schönberg. Ils constituent en quelque sorte une entrée du compositeur dans la modernité des nouvelles techniques d’écriture musicale. Dans une prononciation parfaitement idiomatique, la chanteuse conserve à cette incursion encore partielle dans le monde de l’atonalisme, un sens expressif lié au post-romantisme. La mélodie y joue toujours un rôle essentiel. Le grand élan affectif qui caractérise Die Nachtigall (Le Rossignol) traduit la sensibilité de l’interprète. Les divers auteurs des poèmes, en particulier Nicolas Lenau et Rainer Maria Rilke, bénéficient d’une mise en musique où l’émotion a toute sa place.
La fin de la soirée retourne vers une tonalité plus traditionnelle, mais non moins expressive. De Richard Strauss, les deux interprètes sélectionnent quatre de ses plus beaux lieder. En particulier, Ruhe, meine Seele (Repose-toi, mon âme) et Schlechtes Wetter (Mauvais temps) déploient un sens harmonique caractéristique de l’auteur du Chevalier à la rose, que la voix et le piano traduisent avec ferveur.
Les applaudissements nourris qui accueillent cette double prestation obtiennent un supplément de trois lieder du même Richard Strauss : le chaleureux Habe Dank (Remerciement), Cäcilie et une charmante Berceuse par laquelle les deux complices quittent la scène sous une salve supplémentaire d’applaudissements et avec les fleurs que Christophe Ghristi lui-même est venu leur offrir.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse