Leur exposition MODUS VIVENDI jusqu’au 27/02 à Toulouse / Librairie Ombres Blanches
Deuxième temps fort de cette remarquable exposition, Françoise Nuñez sera présente à la librairie ce samedi 6 février après-midi (voir in fine)
Inde, Japon, Éthiopie, Chili, … seule ou avec Bernard – et les enfants, Françoise sécrète un être-au-monde qu’elle distille là où elle passe, là où elle regarde. Il est question de contacts, de regards aimantés, de corps magnétiques, irradiants sa surface sensible par le seul truchement de la pellicule, si on convient que le fidèle 50mm ne trahit pas l’œil, même au plus près. Et lorsque le champ de vision s’élargit, c’est la même sensibilité à fleur de peau qui trouve la résonance intime et valide l’image sur la foi d’une poétique absolument libre.
A mon sens, une photographie réussie ne l’est pas selon des règles de composition ou par ses qualités picturales mais lorsqu’elle délivre un récit évident. Celui qui se tisse chez le spectateur au fil des images de Françoise Nuñez infuse ou renforce une manière littéralement sensuelle d’être vivant parmi le vivant, qu’il s’agisse d’incident, de surprise, de rencontre, ou de pas de côté contemplatif. A fortiori en époque trouble – et nous en vivons une, ses images sont un réconfort à l’instinct d’équilibre dans le mouvement. Une fluidité qu’elle instille même lorsqu’elle apparaît dans les photos de Bernard. Un « Modus Vivendi » autrement formulé par le grand Nicolas Bouvier : « Comme une eau le monde vous traverse » [in L’usage du monde].
Mention spéciale à Jacques Mataly, concepteur de l’exposition. Ami de longue date des deux artistes et lui-même photographe à Toulouse, il a mené avec succès la tâche délicate d’équilibrer les œuvres et les thématiques en conjuguant les témoignages de Françoise et Bernard ensemble, à des époques et des séjours partagés, avec les travaux et les voyages de chacun sur sa propre trace. Jacques Mataly a composé avec les trois lieux offerts pour déployer la généreuse quantité d’œuvres accrochées et finement construit un parcours d’exposition spécifique à l’ambiance et aux contraintes de chaque espace. Voilà qui rend la visite d’autant plus immersive.
Nous rediffusons à cette occasion le billet initialement publié le 16 janvier dernier:
Voici deux photographes dont on peut apprécier le travail sans porter un regard critique ou d’esthète mais en laissant opérer cette forme d’emprise que décrit finement David Le Breton : laisser leurs photos vous atteindre, essayer de comprendre ce qu’elles transforment en vous, les émotions qu’elles font naître, les rappels de mémoire [David Le Breton in Bernard Plossu, Marcher la photographie Mediapop Editions 2019].
Ils ont fait des enfants, des voyages et des photos. (Alain Monnier).
Tel qu’ils se présentent eux-mêmes, Françoise et Bernard se rencontrent lors d’un pique-nique il y a de cela… des années ! À la campagne chez les Dieuzaide, chez qui Françoise était stagiaire. (…) Plus tard, Françoise et Bernard se retrouvent et voyagent ensemble au Mexique. Au retour définitif des Usa de Bernard, mariage en 1986.
Naissance de leur fils Joaquim la même année, puis de Manuela, leur fille, en 1988. Françoise et Bernard voyagent encore beaucoup ensemble, quelques fois avec les enfants, quelques fois sans (…) Et ils partent avec les enfants dans la région de la famille paternelle de Françoise, à Almeria, où ils s’installent finalement pour de bon 4 ans (…)
Puis c’est le retour à la vie rangée en France. En 1991 ils s’installent dans le sud de la France et commencent une vie plus sédentaire : fini le nomadisme ensemble !… Les voyages continuent, mais séparément.
De retour des USA où il a vécu un vingtaine d’années, Bernard Plossu est saisi d’une idée : comment aller loin tout en restant en Europe avec la nouvelle femme qu’il aime ? Dans une conception commune du partage – entendez dans leurs expositions et publications, ils refusent de céder à l’exotisme facile, à nous faire « voir du pays:
Ramener le monde à nous, à notre humble hauteur d’homme. Comme si la grande affaire de leurs voyages respectifs et en fin de compte toujours communs était d’abolir la frontière entre le proche et le lointain, l’autre et nous, eux et … eux-mêmes. Manière heureuse de nous installer au beau milieu de leur ailleurs : cet autre nom du bonheur. [Roger-Yves Roche in « Ensemble » Editions Libel 2010]
Ce qu’ils donnent à voir est un brassage de traces du vaste monde et de leur petit monde familier, intime parfois, à bonne distance toujours : la distance juste. Ce partage du familier se retrouve dans le travail de Denis Roche ou encore dans le livre récemment publié d’Yves Tremorin [« Monica » Editions La main donne, 2020]. Elles ne transforment pas l’environnement ou l’objet en spectacle, elles plongent en leur sein, elles ne sont pas devant mais dedans. Ce sont des photographies par corps, et non seulement de l’œil. [David Le Breton ibid].
Voudrait-on à tout prix les distinguer qu’on penserait à des images naissantes pour Bernard Plossu, des visions qui se précisent peu à peu (…) ; tandis que les vues de Françoise Nuñez nous apparaissent plus énergiques, comme si on les sentait déjà plus ancrées dans le désordre de la vie. Mais ne s’agit-il pas au fond d’une même poétique ? ([Roger-Yves Roche ibid]
Teintée d’une large palette de gris lumineux chez Bernard, alors que Françoise investit plus franchement les ombres et les contrastes.
Disons qu’il s’agit d’images ouvertes. Pas seulement sur l’autre, mais aussi sur nous. Pour nous. Comme s’il était permis d’y entrer à notre tour. De nous installer et de rêver. Ce serait alors le début d’autres vues. » [Roger-Yves Roche ibid]
Un mot encore concernant Bernard Plossu
Il est certes l’un des plus grands photographes français en activité, en tout cas le plus prolifique car on trouve le nom de Bernard Plossu sur plus de deux cents titres, consacrés à ses images ou accompagnant des publications d’amis, poètes, artistes, écrivains…
Dans une interview confiée à Thierry Valletoux pour la formidable nouvelle revue photo LIKE (n°2 – Automne 2020), il raconte comment, en réponse à une récente demande de CV, il s’est amusé à mettre quelques titres de ses livres les uns à la suite des autres:
Mais pas dans l’ordre. Surtout pas d’ordre ! Donner les titres de mes livres, c’est déjà un itinéraire. C’est dans les livres que je montre les endroits où je suis, les endroits que j’aime ou que je n’aime pas, ce qui m’arrive. Les sentiments aussi, la révolte, la passion, la beauté, tout y est … (…) Je sais que je publie beaucoup. Mais comment arrêter ? (…) Me demander d’arrêter de voir … C’est pas la peine. (…) Faire des livres, c’est ma manière de traduire ce que je vois.
C’est aussi dans cet esprit qu’il a délaissé la vision déformante des longues focales et des objectifs grand-angle, c’est pas son truc. Depuis il s’en tient au 50mm, c’est sa traduction de la notion de proxémie développée par son ami anthropologue Edward T.Hall : la distance juste aux choses et aux gens. Le 50 restitue la vision pure, sans effet. C’est comme l’œil. C’est donc un objectif qui ne peut pas mentir. Le 50mm, c’est l’unité, le ton juste, la poésie qui traverse tout son travail . C’est ma plume dit-il encore.
Plossu s’amuse d’ailleurs parfois à qualifier ses images d’instants non-décisifs, un clin d’œil par opposition aux chefs-d’œuvre absolus d’Henri Cartier-Bresson. Ses photos à lui montrent des petits riens, donnent à voir autre chose, par petites touches. Qu’est-ce qui fait que la photo reste dans la tête, dans la mémoire, alors qu’elle n’a aucune importance ? Voilà qui l’intéresse davantage.
David Le Breton le rejoint sur cette perception fine et intime :
la photographie développe toujours une anthropologie, c’est-à-dire une vision du monde, une représentation, deux métaphores visuelles pour témoigner d’un réel que la vue pourtant n’épuise jamais. Si la photographie est un usage privilégié du regard, elle ne s’y résout pas. Elle sollicite aussi les autres sens au moment de la prise et du tirage, et même l’expérience corporelle toute entière. Elle est toujours immergée dans une ambiance singulière, une relation affective à l’environnement. Elle cristallise tout un monde dans une image. Elle est une porte ouverte, un seuil, mais elle est aussi le tout de cet instant-là. Et les photos de Bernard Plossu donnent ce sentiment que tout un monde est là, non seulement une image, mais des strates sensorielles, une ambiance, une émotion…
L’exposition se tiendra jusqu’au 27 février 2021 dans trois espaces de la librairie : l’Atelier d’Ombres Blanches et la salle de rencontres de la librairie Langues Étrangères (tous deux situés au 3 rue Mirepoix), ainsi qu’au café de la librairie.
Plusieurs des ouvrages des deux photographes et les affiches de l’exposition sont disponibles à la librairie.
Informations pratiques concernant les accès aux espaces de la librairie Ombres Blanches
Horaires à compter du 16 janvier*
Galerie d’Ombres Blanches (L’Atelier)
du mardi au vendredi de 14 h à 17 h 30
le samedi de 10 h à 13 h et de 14 h à 17 h 30
Café Côté Cour
Du mardi au samedi de 14 h à 17 h 30
(accès par la rue des Gestes)
Librairie Langues Étrangères
Le lundi de 13 h à 17 h 30
Du mardi au samedi de 9 h 30 à 17 h 30
*Il est prudent de vérifier ces informations sur le site de la librairie en cas de nouvelles annonces