Le 23 octobre dernier, la saison Grands Interprètes retrouvait l’un des plus prestigieux orchestres du monde symphonique avec lequel elle a lié des relations étroites, le Budapest Festival Orchestra (BFO), placé sous la direction de son fondateur Iván Fischer. Le soliste de cette soirée très attendue n’était autre que le jeune et grand pianiste français Alexandre Kantorow. Une rencontre qui n’a pas manqué de briller de mille feux et de susciter un enthousiasme légitime de tout le public.
Le Budapest Festival Orchestra et son directeur Iván Fischer dans la formation pour la Simple Symphony, de Benjamin Britten
Grâce à l’association Grands Interprètes, le public toulousain a découvert et ne cesse d’admirer les qualités spécifiques rares et admirables de cette formation symphonique venue de l’Est. Chaque concert du Budapest Festival Orchestra est l’occasion de découvrir de nouvelles particularités, de nouvelles approches des partitions, de nouvelles raisons de s’émerveiller. En fait cette formation symphonique possède une personnalité spécifique et des couleurs propres, à l’instar d’un grand soliste.
Ce soir-là, les circonstances sanitaires motivent le fait que l’ensemble des musiciens, le chef et même le soliste, apparaissent masqués et le restent tout au long du concert. A la seule exception, bien évidemment, des instrumentistes à vent ! La disposition des différents pupitres sur le plateau de la Halle aux Grains obéit à la spécificité des orchestres d’Europe de l’Est. Les premiers et second violons sont disposés de part et d’autre du podium du chef et les contrebasses occupent le fond de la scène.
Le programme de cette soirée s’ouvre sur une œuvre singulière de Benjamin Britten, sa Simple Symphony pour cordes. Ecrite en 1933-34, elle utilise des bribes de partition que le compositeur avait conçues pour piano lorsqu’il était un jeune adolescent, entre 1923 et 1926. Dès les premières mesures de l’œuvre, la perfection du jeu de l’ensemble des cordes a de quoi stupéfier. La précision, la cohésion de l’ensemble confèrent à cette exécution une intensité impressionnante. Les doigtés des violons, parfaitement coordonnés, le choix des phrasés s’avèrent des facteurs déterminants. Si le caractère « terrien » des mouvements extrêmes se manifeste avec force, le douce nostalgie du Sentimental Saraband charme immédiatement. Mais comment ne pas admirer la sublime horlogerie du Playful Pizzicato. La perfection dans l’exécution des pizzicati est telle que le public ne peut s’empêcher d’applaudir sans attendre la fin de l’œuvre.
Alexandre Kantorow, soliste du Concerto n° 2 de Liszt, sous la direction d’Iván Fischer
Le concerto n° 2 en la majeur de Franz Liszt amène sur scène un interprète hors norme qui, à moins de vingt-trois ans, a conquis la planète du piano. Alexandre Kantorow, premier Français vainqueur du prestigieux Concours Tchaïkovski de Moscou (ce fut en 2019), gagne à chaque apparition en maturité, en profondeur, sans rien perdre de sa spontanéité. Ce soir-là, il trouve dans la partition de Liszt matière à exercer sa maîtrise, la fluidité de son jeu, sons sens des contrastes expressifs. Avec la sauvagerie percussive, mais aussi la finesse de ses phrasés de félin, il fait souffler sur ce concerto, longuement élaboré par Liszt, un vent de jeunesse et de vitalité. Alexandre Kantorow est ici aidé, soutenu, accompagné avec ferveur par l’orchestre idéal pour ce répertoire. Un orchestre qui, à l’évidence, parle la langue magyar du compositeur. A son côté, le soliste parvient à conduire en même temps analyse et synthèse, détail et grande ligne, d’une partition éclatée et multiple. Inutile de préciser que la perfection technique de son toucher lui permet de s’affranchir de toute difficulté pour atteindre l’essentiel, l’expression musicale. Ainsi, les nombreux moments de pyrotechnie digitale ne donnent que plus de poids aux silences suspendus sur un infini qui donne le vertige.
De retour après de multiples rappels enthousiastes d’un public chauffé à blanc, le pianiste aborde en bis un monde bien différent, celui de la Ballade n° 2 opus 10 du jeune Johannes Brahms. Profondeur, introspection et un final sur un profond silence que toute la salle prolonge avec recueillement.
Le Budapest Festival Orchestra et son directeur Iván Fischer dans la formation pour la 4ème Symphonie de Beethoven
Le concert s’achève sur un nouvel hommage à Beethoven que le BFO et Iván Fischer offrent généreusement. Ils choisissent l’une des symphonies « paires », réputées « heureuses » par rapport aux symphonies « impaires », considérées comme dramatiques ou héroïques. La Symphonie n° 4 n si bémol majeur, il est vrai, contraste avec l’Héroïque 3ème symphonie et la célèbre 5ème. Considérée par Schumann comme « Une menue dame grecque prise entre deux dieux nordiques… » cette joyeuse 4ème est néanmoins prise très au sérieux par les interprètes. La direction d’Iván Fischer introduit la premier volet avec un sens aigu de la progression. L’ample dynamique de la riche sonorité orchestrale se déploie dans un sorte d’exaltation de la lumière. Le chef suscite de très originales nuances, n’hésitant pas à aviver les arêtes de certains phrasés. Il en est ainsi du Trio du troisième volet aux accents originalement soulignés. L’Allegro ma non troppo final s’épanouit dans une fébrilité joyeuse qui conclut l’œuvre et la soirée dans une envolée d’optimisme ô combien bienvenue !
Gageons que l’on reverra prochainement à Toulouse cette magnifique phalange.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Le Cercle des Grands Interprètes