Le hasard fait parfois bien les choses, dit-on. Ici, plus que de hasard, parlons d’obligations. Ce sont celles imposées par la pandémie qui sévit sur notre planète depuis bientôt une année entière. L’ouverture de la saison lyrique capitoline 20/21, prévue de longue date avec une reprise des Pêcheurs de perles de Bizet était, de l’avis parfaitement argumenté de Christophe Ghristi, impossible à tenir dans une configuration normale, cet ouvrage réclamant trop de musiciens, de choristes et de danseurs. Ne voulant pas donner une version édulcorée de cet opéra, et comme il a raison, le directeur artistique du Capitole a carrément changé son fusil d’épaule et s’est tourné vers un ouvrage beaucoup plus « modeste » en termes de moyens à déployer : Cosi fan tutte de Mozart. Pratiquement pas de chœur, pas de ballet et 35 musiciens dans la fosse. L’idéal bienvenu !
Così fan tutte © Mats Bäcker
Un peu d’histoire capitoline
Si la création au Capitole de ce Cosi mozartien se perd dans la nuit des temps, du moins trouve-t-on une première trace de représentation de cet opéra lors de la saison 1945-1946 par la troupe de l’Opéra de Genève sous la direction d’Otto Ackermann. Il faut ensuite attendre dix ans avant de revoir ce Cosi, en français et avec la fine fleur du chant hexagonal des années 50/60 : Jacqueline Brumaire, Jean Giraudeau, Louis Noguera, Pierre Froumenty, le tout dirigé par Georges Sébastian dans une mise en scène de Georges Hirsch. En somme, l’Opéra de Paris au Capitole de Toulouse. A nouveau dix années s’écouleront, nous sommes déjà en 1966, avant la réapparition de ce chef d’œuvre. Ce sera dans une production de Michel Crochot venue tout droit du Festival d’Aix en Provence avec l’immense ténor suisse Eric Tappy. C’est en 1978 que Jacques Doucet nous propose ensuite sa mise en scène d’un nouveau Cosi dans les décors et costumes des Wakhewitch avec la superbe Fiordiligi d’une jeune soprano gersoise d’à peine trente printemps : Michèle Command.
Puis les choses vont s’accélérer… en langue originale
Cette production retrouvera les planches du Capitole trois ans après, en 1981, avec à peu près la même distribution mis à part l’apparition du somptueux baryton norvégien Knut Skram (Guglielmo) et du non moins splendide baryton-basse britannique Richard van Allan (Don Alfonso) ! Avril 1986, revoici Cosi avec l’inusable Don Alfonso du vétéran Gabriel Bacquier, comédien hors pair qui emballe le spectacle aux côtés de la lumineuse Despina de Danielle Borst. 1990, une jeune mezzo-soprano italienne de 24 ans fait ses débuts capitolins dans Dorabella. Le public toulousain ne le sait pas encore mais il entend celle qui va devenir peu de temps après une méga-star internationale : Cecilia Bartoli. Elle est formidablement entourée, en particulier par le magnifique ténor américain Donald Kaasch (Ferrando) et la soprano anglaise Lillian Watson (Despina).
Anne-Catherine Gillet © Fabrice Hauwel
Dernières en date
Ensuite, Cosi disparaît de l’affiche pour… 16 ans ! Il faut donc attendre janvier 2006 pour savourer comme il se doit cet immense chef-d’œuvre. A vrai dire, l’attente ne fut pas déçue car Nicolas Joel nous propose alors ce qui demeure comme la plus belle reprise de cet ouvrage in loco. Une reprise en forme d’hommage à un génie de la mise en scène : Giorgio Strehler. C’est la production qu’il avait imaginée pour le Piccolo Teatro di Milano. Il est décédé le 25 décembre 1997, peu de temps avant la première. C’est donc dans une mise en scène de Carlo Batistoni réglée par Gianpaolo Corti, dans les décors d’Ezio Frigerio et les costumes de Franca Squarciapino que ce spectacle « signé » Giorgio Strehler nous a été montré. Le chef d’orchestre allemand Claus Peter Flor dirigeait ces représentations incluant dans l’instrumentarium de l’Orchestre du Capitole, timbales baroques, flûte en bois, etc. Sur scène et malgré toutes ses qualités, le trio masculin (Brett Polegato, Tomislav Muzek et Carlos Chausson) devait s’incliner respectueusement devant un trio féminin totalement irrésistible : Tamar Iveri (Fiordiligi), Sophie Koch (Dorabella) et… Anne-Catherine Gillet (Despina). Juin 2011 voit la dernière reprise en date de cet ouvrage dans une production magnifique d’intelligence de l’Atelier lyrique de Tourcoing mise en scène par le Toulousain Pierre Constant. Dans la fosse œuvre un maître en la matière, Attilio Cremonesi. Sur scène, le trio féminin est largement devancé par un trio de « mâles » superlatifs : Alex Esposito, Saimir Pirgu et Bruno Taddia. Excusez du peu !
La cheffe italienne Speranza Scappucci
Cosi millésime 2020
Christophe Ghristi fait venir à Toulouse une coproduction entre le Slottsteater de Drottningholm et Le Château de Versailles Spectacles, créée en 2017 en Suède. C’est l’occasion inespérée de revoir à Toulouse le metteur en scène parisien Ivan Alexandre, celui-là même qui a signé in situ en 2009 un formidable Hippolyte et Aricie de Rameau. La distribution n’aura plus les reflets de l’Orient vers lesquels initialement elle était destinée. La soprano belge Anne-Catherine Gillet, une habituée du temple lyrique toulousain, abandonne le sari de Leïla pour aborder du coup sa première Fiordiligi. Un sacré challenge ! Le Nadir du haute-contre Mathias Vidal, le Zurga du baryton Alexandre Duhamel et le Nourabad de la basse Jean-Fernand Setti n’ont plus qu’à troquer leur sarouel pour les pantalons plus ajustés de Ferrando, Guglielmo et Don Alfonso. Mais vous avez raison, le compte n’y est pas. En effet, manquent Despina et Dorabella. La distribution des Pêcheurs ne comprenant que quatre rôles, Christophe Ghristi a dû trouver ailleurs. L’occasion de réentendre, et avec quel plaisir, la mezzo québécoise Julie Boulianne, longuement applaudie ici même en 2016 dans Béatrice et Bénédict et en 2018 dans La Clémence de Titus. Pour sa première venue au Capitole, la soprano Sandrine Buendia sera Despina.
Un autre événement attend le public toulousain, c’est la montée au pupitre de direction de la fosse capitoline d’une cheffe, en l’occurrence l’Italienne Speranza Scappucci, actuellement directrice musicale de l’Opéra royal de Wallonie-Liège. Ces dames sont trop rares, pour ne pas dire rarissimes en ce lieu, pour que le fait ne soit pas souligné.
Mesures sanitaires
Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse
Billetterie en ligne du Théâtre du Capitole