Personne n’a pu véritablement dresser le scénario de ce film-catastrophe qui se déroule actuellement, inexorablement. Et personne n’a pu envisager non plus que la culture au sens le plus large du mot pourrait subir une telle atteinte dévastatrice. Aussi, faire front si ardemment, rageusement, pour signifier qu’on est bien là et toujours là, chapeau ! le 41è Festival Piano aux Jacobins sera, point.
Voilà quatre décennies que ce festival s’est imposé dans le Midi toulousain et bien au-delà, comme le rendez-vous incontournable du monde pianistique où se sont produits les plus grands interprètes internationaux. Et même si l’affiche est moins conséquente que pour ces dernières années, il n’a pas attendu aujourd’hui pour clamer sa forte identité. Il la conforte tout de même en rassemblant un éventail hélas, beaucoup plus réduit, de jeunes talents en devenir, Jérémie Moreau, Sunwood Kim, Thomas Enhco, autour d’artistes que l’ensemble de leurs qualités a déjà placés au faîte de leur carrière, les Stephen Kovacevitch, Bertrand Chamayou, Pierre-Laurent Aimard, Ivo Pogorelich.
Une fois de plus, et malgré les féroces impératifs incontournables, Piano aux Jacobins ose, innove et sait prendre des risques pour que s’exprime au mieux tout le génie de la musique pianistique.
Au Cloître, ce lieu empreint de spiritualité, alliant une acoustique remarquable aux merveilles de l’art gothique languedocien, c’est un fidèle parmi les fidèles qui ouvre le Festival avec Jean-Sébastien Bach, le 8 septembre, j’ai nommé Stephen Kovacevich. Le lendemain, Bertrand Chamayou retrouve le chemin de la Salle Capitulaire qu’il connaît si bien avec un programme qu’il a eu peut-être du mal à construire au vu de l’étendue de son répertoire. Il a pioché dedans et entre autres pépites, nous citerons Miroirs de Ravel.
Le benjamin de cette cuvée est Jérémie Moreau qui, du haut de ces tout juste 21 ans participe à l’événement. Après Raphaëlle, David et plus connu sur Toulouse, Edgar et son violoncelle, les enfants Moreau sont musiciens. Jérémie a choisi le piano. Trois œuvres majeures du répertoire sont inscrites à son programme avec Mozart, Schubert et la Sonate n°3 en fa mineur de Brahms, véritable morceau de bravoure de près de quarante minutes en cinq mouvements.
Autre jeune à l’affiche, Jorge González Buajasan fut l’un des trois finalistes du Concours Clara Haskil de l’an dernier, Concours prestigieux dont un des lauréats à 22 ans fut, ne l’oublions pas, Adam Laloum. Jorge reçoit le prix « Coup de cœur de la Jeune Critique » à ce Concours. Son programme est un régal avec des pièces de Chopin, la Pathétique de Beethoven, et de Mozart, les fameuses Variations sur « Ah ! vous dirai-je, maman ».
C’est le toujours jeune trentenaire David Kadouch qui clôture, le 23 septembre, avec un programme fourni dans lequel on retrouve des pièces moins connues de Clara Schumann ou de sa contemporaine et amie Louise Farrenc. La veille, c’est Ivo Pogorelich qui sera à la Halle aux Grains avec Chopin et Gaspard de la nuit soit Maurice Ravel. Ses débuts fracassants dans le sillage d’un certain Concours Chopin à Varsovie en 1980 sont connus de tout pianiste. Si ma mémoire est bonne, sa dernière venue à la Halle remonte à 21-22 ans. Il nous avait délivrés une hallucinante Sonate n°2 de Chopin avec une “marche funèbre“ dont les murs se souviennent encore. Ce 22 septembre, ce sera la n°3. Au sujet de son art, ne disait-il pas : « Il faut fuir les compromissions, rester soi-même et repousser toujours plus loin les limites du niveau artistique que l’on peut atteindre pour le donner aux autres, musicalement et techniquement. »
Tout Bach, avec le Clavier bien tempéré Livre II, ce sera sous les doigts de Pierre-Laurent Aimard qui excelle dans les œuvres de ce compositeur. Rendez-vous le lundi 21.
Le 16, c’est un pianiste suisse, de 36 ans, au nom à consonances italiennes, Francesco Piemontesi, et vivant à Berlin, qui nous offre, entre autres, la Sonate en si mineur de Franz Liszt mais aussi celle en ut mineur de Franz Schubert.
De Piemontesi, on a écrit qu’il : « a le sens de l’architecture, de la conduite des phrases, de l’étagement des plans sonores, de la clarté et des clair-obscur ; il sait créer le silence…… ». Il nous tarde d’applaudir à l’énoncé de toutes ces qualités.
Quant à Thomas Enhco, c’est à se demander quel est le membre de la famille, vaste au demeurant, qui a pu échapper aux flèches innombrables porteuses de musique. Il n’y a que le chat qui ne joue pas, ne chante pas, il miaule, peut-être sur une mélodie. Thomas compose dès l’âge de 6 ans, est violoniste, pianiste de musique classique mais aussi de jazz. Keith Jarett est son idole, de même que Miles Davis, et encore John Coltrane mais aussi Brad Mehldau. De toutes les façons, toutes les musiques le passionnent. Sacrée personnalité !
De ces générations et de ces musiques mêlées, classique, romantique, jazz et contemporaine, naît la magie de ces récitals nocturnes, qui est ainsi renouvelée et perpétuée en ces lieux grandioses et intimes, magiques et définitifs.
Des facilités permettent d’étoffer encore la programmation du Festival comme la venue le vendredi 18 du jeune Sunwood Kim au palmarès élogieux. Un programme culotté nous attend avec les trois dernières sonates de Beethoven, le même qu’avait donné il y a quelques années un autre invité de ce 41ème festival, Stephen Kovacevich.
Autre excellente nouvelle, le benjamin de ce Festival n’est plus Jérémie Moreau, mais le voilà battu par Yoav Levanon, seize ans, qui a pris ses marques sur le tabouret devant le piano, à 3 ans, au même âge qu’un certain Nelson Freire. À 15 ans, il a déjà un palmarès impressionnant, et il est présenté comme le plus jeune pianiste dans l’histoire des festivals réputés de Verbier. Il aura fait ses débuts en tant que soliste à…7 ans !! le 10, après les Variations sérieuses de Mendelssohn, ce sera Schumann et sa Fantaisie, op17, puis un Prélude de Chopin et pour clore, ni plus, ni moins que la Sonate en si mineur de Franz Liszt.
Billetterie en Ligne de Piano aux Jacobins
Crédit Photos : Ivo Pogorelich © Bernard Martinez / Bertrand Chamayou @ Marco Borggreve / Stephen Kovacevich @ David Thompson / Jérémie Moreau @ Carl Vanassche / David Kadouch @ Marco Borggreve / Pierre-Laurent Aimard © Julia Wesely / Francesco Piemontesi @ Marco Borggreve / Thomas Enhco @ Frank Loriou / Sunwood Kim © Frederik Froument / Yoav Levanon © Nir Slakman