Un bijou de finesse et de poésie retrouve l’affiche du Capitole, et d’ailleurs quelle belle affiche ! avec un opera buffa de Gaetano Donizetti, compositeur présent la saison dernière avec son magnifique Lucrezia Borgia. Huit représentations vous attendent du 26 février au 6 mars 2020. Feu d’artifice du bon goût et du beau chant en perspective.
Elisir di sì perfetta,
Di sì rara qualità,
Ne sapessi la ricetta,
Conoscessi chi ti fa !
Si Hector Berlioz ne fut guère enthousiaste lors de la découverte de cet opéra au Teatro della Cannobiana, il en avait surtout après le public milanais quant à son comportement durant la représentation, lui paraissant fort indifférent et dissipé. Il n’empêche que, le charme tout particulier, la perfection toute simple de L’elisir d’amore plurent immédiatement. Un critique écrivait alors : « Le style musical de cette partition est vif, brillant, tout à fait bouffe. On voit le passage graduel du bouffe au sérieux s’opérer avec une subtilité étonnante, et les sentiments sont traités avec l’émotion musicale qui a rendu célèbre le compositeur d’Anna Bolena.
L’orchestration constamment bien pensée et brillante, convient toujours parfaitement à chaque situation ; elle est d’un grand maître et accompagne un chant, tantôt vif, tantôt brillant, tantôt passionné. Il serait indigne de cet opéra de se répandre en éloges sur le compositeur ; son œuvre n’a nullement besoin de compliments hyperboliques. »
La partition de cette musique gracieuse et pétrie d’invention, est confiée au chef italien Sesto Quatrini qui fera ses débuts dans la fosse du Théâtre du Capitole. Il est actuellement Directeur artistique du Théâtre National de Vilnius en Lituanie. Il a dirigé il y a peu L’Elixir d’amour dans un Théâtre italien prestigieux, en l’occurrence La Fenice de Venise. À la mise en scène, on retrouve Arnaud Bernard qui signe là, une production pleine de poésie et de fantaisie en l’épurant de toute surcharge et de tout folklore à tout prix. L’ouvrage est transporté avec bonheur à la Belle Époque, grâce aux décors et costumes de William Orlandi. Par le truchement de panneaux mobiles, il nous propose des saynètes où le romantisme et la délicatesse l’emportent.
Invitée au Capitole pour les rôles de Zerlina, de Patricia Baer (Les pigeons d’argile, opéra contemporain de Philippe Hurel), de Hänsel, encensée il y a peu dans le rôle de Violetta au TCE dans une superbe Traviata, c’est la soprano française Vannina Santoni. Elle chante Adina en alternance avec Gabrielle Philiponet, étoile montante du chant français, qui fut il y a quelques années Corinna dans le Voyage à Reims donné sur la scène du Casino Barrière durant une saison Hors les murs.
Adina est une jeune fille déterminée qui se sait, disons, munie d’atouts, et qui fait tourner la tête à tous les prétendants du village. De plus, elle a comme on dit, du bien. S’est aussi éprise d’elle, Nemorino, jeune paysan du village, plutôt introverti, timide à l’excès, gauche à souhait, anti-Don Juan. Le rôle sera tenu tour à tour par le ténor géorgien Otar Jotjikia dont la musicalité et le timbre avaient été fort remarqués dans le rôle de Macduff dans Macbeth en 2018. L’autre ténor est Kevin Amiel, Alfredo fort applaudi au Capitole dans la dernière Traviata. Il est nommé actuellement aux Victoires de la musique classique dans la catégorie Révélation artiste lyrique. C’est pour le 21 février. Adina, Nemorino, Belcore et Giannetta constituent le quadrille marivaudien animé d’une conception romantique reposant sur la croyance en la fidélité et la constance et non pas sur une conception fondée sur la liberté des partenaires , la sexualité et le libertinage assumés. Mais, l’idéologie va être bousculée par le surgissement de l’amour-propre et de la tricherie. Marivaux deviendrait-il Sade ??
Il nous faut un charlatan, un bonimenteur plein de bagout, rôle dans lequel émotion et comédie alternent sans cesse dans la musique comme dans le texte. Deux baryton-basse à l’affiche, Julien Véronèse qui trouve ici u rôle bien plus gai que le dernier qu’il a dû affronter dans Parsifal ces jours derniers, celui de Titurel. Marc Barrard est présent en alternance. Le séducteur de service, le miles gloriosus, le matamore, c’est Belcore, dont la tenue de soldat de garnison gradé, il est sergent, attire ces demoiselles, et en premier Adina. Deux barytons pour jouer les bellâtres, Sergio Vitale et Ilya Silchukov qui feront leurs débuts sur la scène du Capitole. Quant à Giannetta, la jeune paysanne, le rôle est chanté par la mezzo Carolina Ullrich.
Et bien sûr, les musiciens de l’ Orchestre du Capitole, et les Chœurs du Capitole toujours dirigés par Alfonso Caiani ave son talent habituel.
Nous sommes en 1830. C’est aussi le temps d’un Alfred de Musset, le temps de ses Comédies et Proverbes, où le désarroi des cœurs connaît encore l’art béni de la litote et où les rêves des jeunes filles savent encore se chanter en couplets. C’est évidemment de ce côté-là qu’il faut ranger l’ouvrage en question, ce si fragile et subtil melodramma giocoso, et pour reprendre des termes verlainiens, non pas un chef-d’œuvre mineur, mais un chef-d’œuvre du mode mineur.
L’ouvrage fut écrit en quinze jours, à la demande d’Alessandro Linari, directeur du Théâtre de la Cannobiana à Milan, après défection de la livraison d’une autre commande. Alors âgé de trente-quatre ans, ayant déjà écrit trente-six opéras ! Gaetano Donizetti était alors tout auréolé du succès de son Anna Bolena, composé pour la diva assoluta du moment, la Pasta, Giuditta …qui fait connaître l’œuvre aux quatre coins de l’Europe, en calèche ! mais Donizetti venait également de subir l’échec de son opéra Ugo Conte di Parigi à la Scala, malgré la présence sur scène de la même Pasta et d’une autre égérie, Giulia Grisi. Sollicité, le librettiste milanais, le plus grand de l’époque, Felice Romani, collaborateur attitré de Bellini et plus tard de Verdi, propose de reprendre une des dernières collaborations d’Eugène Scribe et de Daniel François Esprit Auber, alors au sommet de leur vogue, et que l’Opéra de Paris du moment, Rue Pelletier, venait de créer avec ses plus grandes gloires. La chose fut rondement menée, en sept jours, et l’adaptation du Philtre devenu L’Élixir d’amour fut créée le 12 mai 1832 avec un grand succès immédiat. La distribution, qualifiée d’irréprochable, était nettement cosmopolite.
1835, l’opéra connaît la scène de La Scala, 1839, c’est Paris avec un quatuor dit de légende. Plus tard, il fut un des rares ouvrages du compositeur à ne pas sombrer dans l’oubli avec deux ou trois autres sur les soixante-quinze écrits ! 1904, il arrive à New-York dans les valises du mythique Caruso. Le fameux air pour ténor Una furtiva lacrima participera des premiers triomphes du phonographe naissant. Au XXème siècle, le succès de l’ouvrage ne s’est pas démenti, la musique étant tellement en osmose parfaite avec la trame du livret. S’il offre avec Belcore et Dulcamara, deux personnages à la caractérisation brillante, les deux rôles d’amoureux sont si délicieusement pensés et écrits, qu’il est trop facile de ne pas songer à s’y retrouver.
La trop coquette Adina, au départ plutôt pimbêche, un brin agaçante, se fait toujours plus tendre, , tout en restant légère au fil de ses duos, mais progressivement d’expression plus soumise au sentiment et ce, jusqu’au vibrant et si émouvant Prendi. Quant à Nemorino, c’est l’amoureux transi, sensible et délicat, tour à tour drôle et touchant, qui vous met dans sa poche tout de suite, et complètement, après son air évoquant la furtive larme sur la joue d’Adina. Comment résister ? Finalement, tout au long de l’opéra, Donizetti revient à une écriture admirable de simplicité : les chanteurs n’y brillent pas par la virtuosité, encore moins par la trop apparente vibration émotionnelle du chant, mais, à l’opposé, par la réserve, la retenue, la délicatesse. On peut penser à Verlaine qui, plus tard, louera à son tour la chanson grise « où l’indécis au précis se joint » et recommandera de fuir « la pointe assassine, l’esprit cruel et le rire impur, qui font pleurer les yeux de l’Azur, et tout cet ail de basse cuisine. »
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
Théâtre du Capitole