La Basilique Saint-Sernin est à l’honneur cette année avec l’inauguration récente de son parvis restauré et de sa prochaine exposition consacrée à la Passion du Christ vu par Antoine Gamard, accompagnée des textes de Marion Muller-Colard.
Invité à réinterpréter les derniers jours de la vie du prophète, sa mort et sa mise au tombeau, l’artiste propose une lecture nouvelle et très contemporaine du mystère de la Passion qui précède la célébration de Pâques, vécue par les Catholiques comme la plus importante de l’année.
Voilà dix ans déjà que la Basilique Saint-Sernin met des artistes toulousains à l’honneur pour illustrer le temps de la Passion du Christ.
Tous se sont pliés avec grâce à cet exercice périlleux, souvent de manière abstraite, pour figurer la souffrance d’un homme dans ces derniers instants et tenter de percer le mystère qui sous-tend que Jésus, fils de Dieu, ait voulu porter la souffrance des hommes à travers la sienne, avant de ressusciter d’entre les morts.
Antoine Gamard voit cette commande comme une rencontre qui l’a remis debout parmi les hommes : « J’étais à terre, après une épreuve douloureuse et cette collaboration inattendue avec le Père Vincent Gallois a pris un sens très important dans ma vie parce qu’elle s’est faite dans une ouverture à l’autre et à ses différences, dans la curiosité et dans la joie. Bien que non croyant, j’ai réalisé que ce chemin de croix était un peu le mien et que chacun de nous individuellement, avait ses propres souffrances à porter. Cela m’a permis de mieux comprendre le contexte pour mieux interpréter la Passion du Christ telle que je la voyais. »
Se plongeant pendant plusieurs mois dans les quatre évangiles, fouillant parmi les oeuvres de philosophes tels Homère ou Socrate, Antoine Gamard en a retiré certes une connaissance accrue des saintes écritures, mais surtout la conviction d’un « langage universel, d’amour et de tolérance », très loin du dogmatisme supposé. Comme le souligne l’artiste: « Ce projet est une oeuvre collective en ce sens où sans le père Gallois, rien n’aurait été possible. Aujourd’hui tout fait sens. Cela relève du sublime parce que ces oeuvres vont servir aussi la lithurgie de l’Eglise. ».
La Basilique du XIe siècle considérée comme un chef d’oeuvre de l’art roman, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO au titre des « Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France » depuis 1998, incarne le passé patrimonial et historique de La Ville rose.
Lieu d’accueil pour de nombreux artistes comme le sculpteur Sébastien Langlois (Buste de Jean-Paul II), elle organise des concerts réguliers grâce aux Grandes-orgues réputées dans le monde entier. La Basilique Saint-Sernin abrite surtout le sépulcre de Saint Saturnin, premier évêque de Toulouse, martyrisé en l’an 250. En pénétrant par la porte occidentale, le spectateur découvre quatorze toiles, conçues pour fonctionner ensemble et raconter l’histoire du prophète, ses derniers pas sous le poids de la croix, sa crucifixion et sa mise au tombeau. Et cette souffrance dont il est chaque fois question dans les quatorze stations est évoquée par des coulures, des graffitis, des inscriptions tirées des évangiles, qui peu à peu disparaissent, comme tombées dans l’oubli au fur et à mesure que l’on avance dans la Nef. Si l’on distingue les silhouettes, c’est à coup sûr les écritures qui marquent et interpellent le spectateur. « Le graffiti déclare Antoine Gamard, est pour moi inséparable de l’Art. Il ne figure pas seulement la parole mais aussi la réalité du monde. J’aime l’univers du graffiti et dans le graffiti, ce qui s’exprime, c’est la condition humaine. Le graffiti est le cri de ceux qui n’ont pas d’écoute et d’attention. Il se créé dans le contexte de la cité, il véhicule les idées, les utopies, les misères, la souffrance de notre condition d’homme. J’aime son rapport à l’écriture. Utiliser le graffiti comme trame de fond m’est apparu évident ! ».
C’est pourtant le mystère de la foi et le silence qui résonnent en creux dans la représentation de ce Chemin de croix, comme un effacement de la Parole, un effacement devant la souffrance.
De la Parole au silence
Vincent Gallois, le curé de la Basilique à l’origine du projet cherchait un graffeur pour interpréter « avec son langage » ce temps lithurgique. « Antoine Gamard dit-il, avait une technique d’écriture très identifiée et a su par son travail très fouillé exprimer les quatorze stations du chemin de croix traditionnel. Je ne me voyais pas le brider. Les artistes vivants doivent pouvoir s’approprier ces thèmes vus par le plus grand nombre. Son approche semble oppressante mais en réalité, elle met en lumière la souffrance du Christ. Marion Muller-Colard qui est pasteur de l’Eglise réformée et qui a écrit les méditations pour cette exposition – a été frappée par son travail car il faisait écho à ses propres réflexions, sans qu’aucun des deux ne se soient rencontrés dans le cadre de l’exposition. » Fasciné par Le Greco et par Munch, le Père Gallois évoque « ces artistes qui travaillent avec leurs tripes ». Quoi de plus assourdissant qu’une souffrance muette et dont l’infinie douleur serait révélée par l’effacement du corps, de sa voix et de ses cris ?
Alors entre l’image et la Parole, entre les coulures et l’appropriation du réel telle que les propose le peintre, rien n’est à prendre au premier degré. Là où l’abstraction prédomine, où la peinture se lit presque « sans émotions » sinon celles que le spectateur y projette, elle révèle une vérité plus complexe, nimbée de codes à décrypter. La peinture nous questionne sur notre perception même de la réalité du monde et de nos croyances.
Cette Passion du Christ revisitée est en la matière un tour de force au plan technique puisque l’artiste – diplômé de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris – a choisi de réaliser le fond des toiles avec une bombe aérosol avant d’utiliser les graffitis sous forme d’écriture automatique. « j’ai travaillé en décomposant la représentation de chaque station du Chemin de Croix, en déstructurant quelques éléments et en les simplifiant pour en arriver à l’essence de l’image. L’évolution structurelle de chaque scène fonctionne comme un archétype. Pour être plus clair, c’est comme une décalcomanie qui se superpose sur les deux fonds. Cette phase est travaillée sur ordinateur, comme s’il s’agissait d’un carnet d’esquisses ; enfin l’usineur procède à l’impression en imprimant sur la toile travaillée à la main cette étape finale qui se superpose en troisième couche. Cette manière d’exécution par impression U-V (ultra violet) s’est avérée être le procédé le plus en adéquation pour ce travail, j’aurai pu aussi le réaliser au pochoir, en découpage, au pinceau mais cela m’a permis de concrétiser rapidement ma pensée et d’aller à l’essentiel. J’ai combiné un procédé mécanique à usage unique associé à un travail manuel, il en ressort une image forte. »
La mise au tombeau nous oblige à emprunter le chemin de la mémoire, la mémoire vive de moments disparus, d’amours désincarnés, de corps évanouis. Cette mémoire symbolisée par l’invisible jusqu’au trépas est le leitmotiv du peintre à travers ses toiles. Station 15, la dernière station, celle de la mort et de la résurrection du Christ est symbolisée par une couronne d’épines de trois mètres sur deux, qui trône majestueusement suspendue dans le vide au niveau du Transept. Une couronne pour signifier qu’au-delà du vide, il y a un après.
Chez Antoine Gamard, la disparition, l’invisible sont le signe de l’absolution. Son travail tend vers un monde plus instinctif, peuplé de glyphes évocateurs et cependant habité par une grande humanité. Une peinture où la vie s’exprime à travers la disparition progressive des mots, pour laisser place à l’imaginaire, à l’Art dans ce qu’il a de plus poétique, intemporel et salvateur.
Inauguration Jeudi 27 février à 18h30 en présence de Mgr Le Gall
Site Internet d’Antoine Gamard
Basilique Saint-Sernin © Tanguy Chausson