Parsifal n’est pas un opéra c’est autre chose . Wagner le définissait comme un Festival scénique sacré en trois actes.
C’est un voyage en terre étrange qui attend le spectateur hors du temps et de l’espace. Le critique doit aussi faire un effort pour sortir de ses zones de confort et dépasser la simple analyse des voix et du visuel. Il doit dire si les niveaux variées ont été suggérés voir atteints. Hélas trop nombreux sont ceux qui croient avoir la science infuse et ne cherchant pas vraiment à comprendre sont passés à coté de cette géniale production dans laquelle musique et image sont au même niveau de perfection. Le travail excellent du chef allemand Franck Beermann et du metteur en scène français Aurélien Bory dépasse la simple représentation d’opéra. Les symboles sont forts, il n’y a pas de surcharge et l’intelligence est partout. Il s’agit d’un véritable grand voyage qui pour moi s’est renouvelé chaque fois. Et les voix sont toutes superlatives!
COMPTE-RENDU, opéra. TOULOUSE. CAPITOLE. Les 31/1, 2 et 4 /2/2020. R. WAGNER. PARSIFAL. A. BORY. F. BEERMANN. S. KOCH. N. SCHUKOFF.
Parsifal en majesté à Toulouse
Peut on rêver plus extraordinaire production de l’œuvre si «hors normes» de Richard Wagner ? Les comparaisons avec Strasbourg qui monte sa production au même moment seront certainement intéressantes tant tout semble les différencier. Je dois pourtant reconnaitre que je resterai à Toulouse afin d’assister à plusieurs représentations de ce Parsifal si réussi. Il sera difficile de développer tout ce que j’ai à dire sur ce spectacle total tant il est riche. Je serai moins long sur les voix car ailleurs elles ont été bien analysées. C’est tout simplement le quatuor vocal le plus abouti actuel qui puisse se rassembler pour une version parfaitement cohérente de Parsifal. Voix sublimes de jeunesse, de puissance, de timbres rares et de phrasés absolument somptueux. Chanteurs-acteurs beaux et convaincants. La prise de rôle de Sophie Koch en Kundry est magistrale, de voix, de timbre, de jeux et de style. Tout y est : de la quasi animalité à la plus élégante séduction et surtout toute la souffrance contenue dans ce rôle complexe.
Sophie Koch est une Kundry qui va conquérir le monde tant elle est déjà accomplie. La réussite est totale d’autant que son Parsifal, Nikolai Schukoff, est un des plus grands spécialistes actuels du rôle. Je l’avais vu et entendu à Lyon en 2011 déjà magnifique dans ce rôle et nous le connaissons bien à Toulouse dans divers opéras. A présent pour lui il n’est plus seulement question de rôle, de voix parfaite ou de chant souverain : Nikolai Schukoff EST Parsifal. Il assume la jeunesse du rôle et met en lumière son charisme naissant sous nos yeux dans un jeu fin et émouvant. Et quelle parfaite voix de helden-ténor est la sienne ! Idéalement assortie à celle de Sophie Koch, ainsi leur duo est vocalement parfaitement équilibré.
L’Amfortas de Matthias Goerne est mondialement célèbre, dans l’extraordinaire mise en scène d’Aurélien Bory il atteint des sommets de spiritualité toujours avec une voix somptueuse. Peter Rose en Gurnemanz est un puits d’humanité dans une voix de toute beauté. Il est peut être possible actuellement de trouver d’autres chanteurs de ce rang pour ces quatre rôles, mais pas un quatuor plus assorti. Tous les autres artiste sont d’un extraordinaire niveau.
L’ élégant Klingsor de Pierre-Yves Pruvot donne beaucoup d’ampleur au rôle. Le Titurel de Julien Véronèse est très impressionnant. Les filles fleurs sont délicieuses et les écuyers virils et bien présents. Les chœurs associés entre Toulouse et Montpellier font honneur à la partition si extraordinaire de Wagner. La spatialisation des chœurs si fondamentale est totalement réussie. Un beau travail d’harmonisation des voix a été fait cela sonne puissant avec de belles couleurs et de formidables nuances. Nous savons combien l’orchestre du Capitole excelle dans la vaste répertoire symphonique comme dans la fosse de l’opéra ; ce soir il est symphonique dans la fosse et absolument incroyable de beauté. Même au disque il est exceptionnel d’entendre de si belles choses. Il faut reconnaitre que l’alchimie avec le chef Franck Beermann est totale. La perfection instrumentale est toute mise aux service du drame. Franck Beermann tend des arcs musicaux envoutants. Le tempo semble naturel tout du long, ni rapide ni lent, juste exact. Cela devient le personnage central : Un torrent de beauté et d’intelligence dramatique. Il est certain que la diffusion sur France Musique le 29 février 2020 permettra d’approfondir la somptuosité musicale et vocale de ce Parsifal.
Mais ce qui est le plus extraordinaire dans cette production est la mise en scène d’ Aurélien Bory qui magnifie la dimension symbolique et dramatique du Festival Scénique Sacré wagnérien. Car ce n’est pas un opéra comme les autres, le sens philosophique est partout présent et les personnages sont presque des problématiques humaines incarnées. Aurélien Bory travaille sur l’espace depuis longtemps, il comprend cette dimension fondamentale dans cet ouvrage comme personne. Il lie cela au temps d’une manière si magistrale que les cinq heures de l’ouvrage passent bien trop vite. L’intelligence du spectateur est réveillée autant que son sens esthétique. La beauté offerte aux yeux, la richesse des symboles et la beauté de ce que les oreilles recueillent s’associent dans un tout métaphysique. Je devine que le travail entre le chef et le metteur en scène a été fait en profondeur. Dès le prélude les écritures lumineuses sont en phase avec la musique comme un ballet parfaitement réglé. Tout sera ensuite dans ce respect mutuel permettant à la mise en scène d’épouser la partition et inversement. Quand tant de metteurs en scène rajoutent en lui nuisant des « idées » à la partition Aurélien Bory épouse les idées wagnériennes en utilisant son propre vocabulaire. La rigueur des déplacements des éléments de décors est fantastique.
La subtilité des ombres tient du génie. La mise en scène développe à l’infini la notion de dichotomie qui construit le monde et l’homme. Les couples d’opposés fonctionnent à merveille, blanc/noir, ombre/lumière, nature/culture, orient/occident, horizontal/vertical, lignes droites/lignes courbes, etc…. Cette mise en scène parfaitement huilée faisant un tout avec les décors et les lumières, ainsi que de très beaux costumes, offre des images de grande beauté et riches de sens qui resteront dans les mémoires. Ainsi les branches de feuillages enveloppant les hommes, les protégeant ou les gênant représente notre ambivalence par rapport à la nature.
L’image d’Amfortas infirme qui doit mettre toute l’intensité dans sa plainte rend son chant déchirant. Le quadrillage qui de ligne va se projeter en courbes représente à la fois l’enfermement et la libération. Le triangle noir qui interdit à Kundry et Pasifal de se toucher renforce l’érotisme de leur chant puis lorsque la lumière portée par Kundry envoute Parsifal la révélation maturante résulte d’un choc terrible entre les corps par le baiser.
Toute la retenue du duo première, toute la séduction centrée dans le chant, toute cette tension explose avec une puissance magistrale lors de la pénétration dans le triangle interdit. Au dernier acte le retour à Montsalvat de Parsifal en costume japonais et la lenteur de ses gestes tient de la magie pure. Les lumières en forme de sabre sont tellement intelligentes et belles qu’elle renouvellent l’effet des tubes néons !
Et le Graal dévoilé sous forme de volutes de lumières et d’ombres qui s’épousent est tellement musical en fin de premier acte !
Aurélien Bory a fait un travail d’orfèvre sur scène comme Franck Beermann dans la fosse. Tous les artistes sont engagés totalement dans ce spectacle parfait. Le résultat est tout simplement magnifique et cette production somptueuse musicalement et scéniquement deviendra inoubliable, tant le respect et l’intelligence s’y rencontrent.
Compte-rendu Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 2 février 2020. Richard Wagner (1813-1883) : Parsifal ; Festival scénique sacré en trois actes ; Livret de Richard Wagner ; Création le 26 juillet 1882 au Festival de Bayreuth; Nouvelle production ; Aurélien Bory : mise en scène ; Aurélien Bory, Pierre Dequivre : scénographie ; Manuela Agnesini : costumes ; Arno Veyrat : lumières ; Nikolai Schukoff : Parsifal ; Sophie Koch : Kundry ; Peter Rose : Gurnemanz ; Matthias Goerne : Amfortas ; Pierre-Yves Pruvot : Klingsor ; Julien Véronèse : Titurel ; Andreea Soare : Première Fille-Fleur; Marion Tassou : Deuxième Fille-Fleur / Premier Écuyer; Adèle Charvet : Troisième Fille-Fleur; Elena Poesina : Quatrième Fille-Fleur; Céline Laborie : Cinquième Fille-Fleur ; Juliette Mars : Sixième Fille-Fleur / Deuxième Écuyer / Voix d’en Haut ; Kristofer Lundin : Premier Chevalier du Graal; Yuri Kissin : Deuxième Chevalier du Graal; Enguerrand de Hys : Troisième Écuyer; François Almuzara : Quatrième Écuyer; Chœur et Maîtrise du Capitole ; Chœur de l’Opéra national de Montpellier-Occitanie ; Alfonso Caiani : chef de chœur ; Orchestre National du Capitole ; Direction musicale : Franck Beermann.
Toutes les photos sont de : Cosimo Mirco Magliocca
Chronique publiée sur Classiquenews.com