Sur le fond carminé de la brochure se découpe une sphère lunaire en effervescence. A l’intérieur, la priorité va toujours aux textes et aux photos pleine page : fidèle à sa manière de questionner sans relâche le geste artistique, le Théâtre Garonne y interpelle les artistes invités sur le rôle qu’ils confient à l’art. Les réponses, des mots comme un avant-goût des spectacles, allument l’envie.
Faire bouger les lignes
Prendre le risque d’être subjectif est une force, surtout quand il s’agit d’offrir l’opportunité à des spectacles de rencontrer leur public. Même si cela comporte nécessairement une part de risque. Le théâtre Garonne participe à la grande Biennale des arts vivants qui ouvre la saison en collaboration avec plus de trente structures culturelles : un panorama très éclectique de la création contemporaine où chaque choix porte en lui la possibilité d’un choc esthétique qui « déplace » le regard. C’est l’histoire d’un de ces chocs qu’offre Je me souviens. Le ciel est loin la terre aussi : réunissant Aurélien Bory et Mladen Materic, cette création revient sur leur rencontre il y a vingt-cinq ans et l’impact fondateur qu’a eu le travail du metteur en scène Mladen Materic, alors artiste en exil accueilli au Théâtre Garonne, sur le jeune Aurélien Bory qui n’était encore que simple spectateur. A partir de cette trace du souvenir et des vestiges intacts du décor d’origine restés vingt ans dans un entrepôt, les deux complices brodent ensemble une variation sur la mémoire et sur les forces souterraines à l’œuvre dans l’élan artistique et dans la vie.
Rendre familière l’étrangeté
La dimension internationale de la programmation, sa diversité et sa pluridisciplinarité revendiquées de longue date, témoigne comme le souligne l’équipe, de la volonté d’éduquer à l’étrangeté, à ce que l’on ne connaît pas, à ce qui nous montre que les certitudes que l’on a et le réel lui-même, sont transformables. Et nous invite à sonder le rapport que l’on entretient avec cet inconnu. Le théâtre Garonne nous met donc là encore face à des créations venues d’ailleurs. Bel exemple cette année, le tout nouveau festival Australia Express fait résonner des voix inédites, venues d’un continent que l’on connaît mal et d’horizons qui balaient un spectre allant du théâtre à la performance ou encore au cinéma fantastique… Parmi ces découvertes, Leah Shelton est une performeuse paroxystique, sorte de Barbarella native qui n’aurait fait qu’une bouchée de Crocodile Dundee. Elle nous embarque manu militari pour Terror Australis, un roadtrip où elle dynamite tous les clichés qu’elle trouve sur sa route.
Bousculer les codes
Mais l’étrangeté se cache parfois moins loin qu’aux antipodes, dans la singularité extrême d’une forme, l’exigence d’un rapport au public vraiment original ou dans la rareté d’un univers intime : sont de cette famille sans nul doute l’autoportrait trash de Samira Elagoz dans Cock Cock who’s there ? présenté avec le Théâtredelacité et la logorrhée jouissive de Bryan Campbell dans son filibuster Janitor of Lunacy (une perle de poésie verbale et de provoc’ présentée avec le Vent des Signes et la Place de la Danse). Remarquable aussi l’androgyne mystère des figures qu’incarne le danseur et chorégraphe François Chaignaud dans Romances inciertos sur fond de tableaux, de danses et chants du monde. Inattendue aussi la mixité des collaborations qu’incarnent la danse de la marocaine Bouchra Ouizguen Nahla et celle du burkinabé Salia Sanou avec le Ballet du Capitole dans L’au-delà de là.
Cultiver la fidélité
Jonathan Capdevielle, Jeanne Candel ou encore tg STAN sont artistes associés bien sûr pour la fidélité de leur lien au Théâtre Garonne mais aussi pour la façon dont ils continuent de refuser la conformité et se réinventent. Deux d’entre eux prennent pour base un roman : Capdevielle remet sous les projecteurs Rémi l’enfant sans famille d’Hector Malot dans un spectacle en deux épisodes, une première partie au plateau et une pièce radiophonique à écouter ensuite chez soi. Jeanne Candel et Samuel Achache eux prennent appui sur une nouvelle d’Edgar Poe (La Chute de la maison) pour en extraire une sorte d’intrigue policière jouée-chantée par des comédiens musiciens. Quant à tg STAN, c’est un mix de l’exigence au scalpel de Jon Fosse et de l’humour de Marius Von Mayenburg qu’ils ont secoué cette fois dans leur shaker : Quoi / Maintenant, un titre parfait pour susciter les questionnements existentiels. Associés à la compagnie Discordia, ils nous parleront aussi tout près dans l’oreille avec Je suis le vent.
Fin de ce petit tour d’horizon subjectif : on retiendra donc de cette belle saison l’occasion qui nous est encore une fois offerte de sortir de nos petits sentiers rebattus et de nous laisser guider sur les chemins de traverse internationaux. On restera follement open aux expériences c’est promis, au moment du festival in-extremis au printemps (le solo de Maxime Kurvers avec Julien Ge roy sur la Naissance de la tragédie met clairement en appétit !). Et on s’offrira des revivals doudous avec quelques compagnies compagnonnes chères à nos cœurs : le Théâtre du Radeau de François Tanguy et ses odyssées poétiques et les humains ultra-sensibles de De Koe aux prises avec la vie et le grand Samuel Beckett…
Billetterie en Ligne du Théâtre Garonne
Crédit photos
Terror Australis_© Anthony Rex • Cock Cock who’s there ? © Samira Elagoz • Romances inciertos © Nino Laisné • Bouchra Ouizguen © Jean-François Robert • De KOE © Koenbroos • Théâtre du Radeau © François Tanguy • Jonathan Capdevielle © Vanessa Court • Quoi Maintenant © Koenbroos