Elpmas revisité concert par l’Ensemble O – Salle Nougaro, ce 10 janvier 2018
Des arguments et des accroches pour se distinguer dans la cacophonique des signaux culturels, disons que la saison musicale que Toulouse consacre au compositeur Moondog n’en manque pas ! Le look singulier du gaillard, le travail de fou du collecteur et conférencier Amaury Cornut, et l’engagement inédit de la Direction des musiques à construire un hommage aussi nourri ont été abondamment remarqués et salués, du Télérama national à notre Intramuros local, sans oublier les spécialistes et afficionados internationaux. Mais aussi grandiose ou inédit soit-il, tout événement ne fait-il pas pschittt une fois les projecteurs éteints ? Certes, mais la Saison Moondog, elle, restera inoubliable. Car l’inédit – l’inouï ? – de cet événement réside dans une démarche de découvreur à portée de chacun, celle de tout auditeur ayant saisi cette opportunité unique d’aborder LA musique. Pas moins …
Aborder TOUTE la musique … ?
On peut pourtant soutenir pareille énormité sans être un inconditionnel de toute l’œuvre de Moondog ou de ce / ceux qu’il a inspirés. Car ce fou de rythme qu’était Moondog a produit une œuvre remarquable en ce qu’elle demeure cohérente, intègre et exigeante, tout en offrant quantité de portes d’entrée différentes pour aborder la musique : célébré par les classiques (exégètes, interprètes) pour la partie de son œuvre inspirée par JS Bach, inséminateur des musiques minimalistes et autres Phil Glass ou Steve Reich, amis du bopper Charlie « Bird » Parker, recherché et joué par les grands orchestres symphoniques, graal des percussionnistes occidentaux (les africains et les indiens restent tout de même les boss !), influent majeur de Frank Zappa, admiré par Janis Joplin, … n’est-il pas en effet « le père de tous les musiciens » comme le dit notre cher Nosfell (2)?
Cette saison de folie est décrite, commentée, chroniquée par quantités d’articles plus ou moins spécialisés, détaillés, exhaustifs, synthétiques (voir quelques références en fin de post). On ne va donc pas la refaire, sauf à en remettre une couche pour l’ouvrage de référence écrit par Amaury Cornut lui-même. Un must de biographie intelligente, riche et très digeste, incroyablement documentée et – ô bonheur des amateurs ! – pourvu d’une discographie fort complète des œuvres enregistrées de Moondog. (lien en fin d’article)
A l’image de l’œuvre prodigieuse de cet « inconnu légendaire » comme le surnomme Amaury Cornut, la Saison orchestrée par ce dernier en collaboration sensible avec Hervé Bordier et son équipe à la Direction des Musiques donne, à chaque événement, une clé pour une approche toute personnelle de la musique du compositeur. On peut être sensible à l’épure des canons inspirés de Bach, hermétique aux déclinaisons hasardeuses « punk-à-chien », troublé par les madrigaux, soufflé par les grandes orgues, perplexe ou excité, bref c’est – sans doute – chacun son truc. Mais le plus troublant est d’entendre comment tous ces chemins, par autant d’auditeurs, convergent pour saluer un très grand compositeur.
Septembre. Piano aux Jacobins. Nicolas Horvath offre une ouverture essentielle à cette saison. Ne fallait-il pas en effet parler du cœur en premier ? Du cœur de l’élan et de la conclusion du chemin de Moondog en musique. Hommage à JS Bach, avec « The Art of the Canon », books 2 & 3, et surtout ce “Great Canon”, en création mondiale, dans lequel Horvath souligne un vibrant hommage de l’élève Moondog à l’esprit de l’œuvre du maître. Un peu – confie-t-il après le récital – comme le fit naguère Ferrucio Busoni autour du Contrepoint 14 de L’Art de la Fugue (2). Voir Nicolas Horvath, tout de même un peu tendu par la responsabilité de ces créations, se libérer aux rappels en interprétant son cher Philip Glass. Envolées …
Octobre. Toulouse les Orgues. L’intégralité de l’album « New Music for an Old Instrument », plusieurs extraits de « Sax for Pax », et autres pièces du répertoire classique en miroir. Excitation palpable au sein du public de ce très respecté festival, dont le caractère a priori vénérable de son instrument fétiche est ici challengé et se révèle doublement révélateur : de ses propres registres, aux limites encore repoussées d’une part, de la richesse rythmique et polyphonique des compositions de Moondog d’autre part, libérées dans un écrin à leur mesure, les grandes orgues de la chapelle des Augustins.
La jubilation contagieuse du directeur, Y. Rechsteiner, au sortir d’un « Bird’s lament » conclusif et brillant. Alors que le public s’effiloche à la fin du concert, l’impression fugace d’une intimité improbable avec Moondog lui-même lorsque Amaury Cornut, apporte la Trimba, percussion en bois emblématique conçue par Moondog, et en joue quelques impros à même le sol.
Janvier. L’actualité de cette Saison Moondog, c’est bien sûr la très prochaine re-création en live de l’album « Elpmas » à la Salle Nougaro par l’Ensemble O. Un défi comme seuls peuvent en concevoir – et les réaliser ! – de véritables passionnés. Une démonstration de l’incroyable modernité d’une œuvre de canons composés (en 1991) avec un ordinateur au départ du sampling intégral du clavier d’un marimba (inversé, « elpmas » donne « sample ») et recréé ici en acoustique par les musiciens de l’Ensemble O.
L’incroyable vision d’un compositeur en ligne avec ses maîtres est ici célébrée et prolongée dans une entreprise audacieuse qui fait crépiter, une fois de plus, les potentiels insoupçonnés du langage musical. Porté par les héraults de cette Saison Moondog Amaury Cornut et Hervé Bordier, ce credo décrit tout autant la programmation inspirée de la Salle Nougaro de TOULOUSE.
LINE-UP :
Julien Garin : bombo, marimba, glockenspiel
Stéphane Garin : bombo, field-recordings, marimba, xylophone
Amélie Grould : marimba, xylophone
Vincent Malassis : électronique
Joël Mérah : banjo, cithare
Julien Pontvianne : saxophone ténor, clarinette
Avec les voix de Tomoko Sauvage, Vanille Fiaux, Jonathan Seilman, le Macadam Ensemble.
(1) J’aime beaucoup les pièces courtes de Moondog. C’est Trees against the sky qui m’a donné envie de travailler les boucles parce qu’on sent que c’est lui qui s’enregistre sur lui-même. Sur mon premier album, avec le titre Slakaz Bløhøzim, je rends modestement hommage à la pièce Frog bog de Moondog [Nosfell]
(2) Dans L’Art de la Fugue, le Contrepoint 14 est demeuré inachevé (en l’état, cette fugue fait même l’objet d’une polémique quant à son rattachement à l’œuvre). Au 19e, des éditeurs demandent au compositeur et pianiste Ferrucio Busoni – grand admirateur de Bach et auteur de nombreuses adaptations et arrangements de son œuvre – de conclure cette pièce inachevée. Busoni refusera, préférant composer une Fantaisie pour en évoquer l’esprit.
Réserver à la Salle Nougaro, c’est par ici
Le programme de la Saison Moondog sur la page Facebook de l’événement.
Le site francophone de référence sur Moondog: www.fr-moondog.com
Commander le livre d’Amaury Cornut chez l’éditeur
L’album Elpmas revisité (double vinyle 10″ et livre d’art) sera disponible sur le lieu du concert.
Ouvrage exceptionnel et d’un prix logiquement représentatif de la réalisation (40€), il est décrit sur le site de l’éditeur.
Presse:
L’ouverture de la saison : présentation générale
Intramuros (p.11)
Moondog aux Transmusicales de Rennes (1988)