Le mercredi 12 décembre prochain à la Halle aux Grains aura lieu un grand concert gratuit en hommage aux Tirailleurs de la Grande guerre : sous la présidence du Préfet et du Maire, en présence des autorités militaires (représentants de l’Armée) et dans le cadre des commémorations du Centenaire de 14/18. Ce moment de musique exceptionnel réunissant l’Orchestre du Capitole et la Musique des Parachutistes est l’occasion de mettre en lumière le rôle de l’association M.A.T., la Maison de l’Afrique à Toulouse. Rencontre avec Yao MODZINOU, le président (l’un de ses membres très actifs).
Quand votre association a-t-elle été créée et avec quels objectifs ?
YM : La Maison de l’Afrique à Toulouse est née en 1992 à Toulouse avec comme principale intention de faire connaître l’Afrique autrement, de la représenter dans sa totalité et dans sa transversalité, de faire entendre plusieurs paroles pour parvenir à un discours commun. Nous avons un local à côté de l’Ecole du Nord (partagé avec d’autres associations). L’association réunit des membres de nombreux pays, pas seulement des africains, des gens qui vivent ici ou qui ont gardé le lien avec l’Afrique. L’idée était de valoriser d’abord la dimension culturelle, les arts, la musique, la peinture, mais nous nous sommes rapidement aperçus qu’en premier lieu, on ne pouvait pas faire l’impasse sur la dimension historique, car ce sont d’abord les historiens qui donnent une image de l’Afrique par leurs récits. De là sont nés de nombreux travaux de recherche, des colloques, des publications de facture universitaire qui ont véritablement fondé l’identité de notre association.
Ces travaux, de longue haleine, sont-ils accessibles ?
Oui, nous avons créé pour ce faire MAT-éditions, avec peu de moyens (d’ailleurs toutes les bonnes volontés pour nous aider à maintenir l’exigence de nos publications sont toujours les bienvenues) mais surtout des thèmes et des intervenants de grande qualité venus de tous les pays. Le catalogue est sur le site de l’association et de nouveaux travaux n’attendent qu’un dernier coup de pouce pour être publiés. L’édition est un axe important de notre activité, car l’assise de toutes nos autres actions c’est la rigueur, le sérieux et la solidité de nos publications : nous sommes partis dans nos recherches de faits historiques reconnus, mais le fait d’être une petite association a longtemps nui à notre visibilité. C’est la qualité de nos ouvrages qui nous a légitimés. Elle sert de support à des expositions, des interventions, etc.
Autour de quels autres volets s’organise votre action associative ?
YM : Il y a quatre thématiques qui structurent nos projets et nos actions, qui entrent toutes dans la volonté de mieux faire connaître certains faits, d’œuvrer pour le devoir de mémoire et d’aider au vivre ensemble en faisant reconnaître la place des Africains : leur présence et leur apport en Europe et en France à travers l’histoire, bien avant la Renaissance, le rôle des tirailleurs morts au combat dans les grands conflits, la traite négrière et l’esclavage et enfin la réhabilitation d’une grande figure de la musique, celle du Chevalier de Saint-George qui est un peu notre bâton de maréchal, si j’ose dire, sur un versant plus culturel.
Parlez-nous des actions les plus représentatives, celle de la valorisation du grand rôle des Tirailleurs notamment, qui préside à la tenue du concert du 12 décembre…
Cette action a débuté il y a une quinzaine d’années avec l’ONAC (l’Office National des Anciens Combattants) à Toulouse et le Souvenir Français à Montauban. On a noué à l’époque des liens qui se resserrent d’année en année en participant ensemble aux cérémonies patriotiques avec d’autres associations. Nous voulions d’une part, faire revivre la mémoire de ces soldats, leur redonner leur place dans l’histoire de France et d’autre part, montrer aux jeunes d’aujourd’hui que symboliquement ils sont les héritiers de ces hommes là. Faire grandir leur reconnaissance. Et ces liens débouchent sur des événements très concrets qui se déploient au plan national : nous sommes en train de mettre en place, par exemple actuellement dans l’Oise, avec 9 communes, sur des lieux de mémoire qui furent les témoins de batailles et de massacres des tirailleurs, un Circuit du Tirailleur de juin 1940. On installe aussi, dans un obejctif pédagogique sur les lieux, dans le Nord et l’Est des panneaux rappelant les faits qui s’y sont déroulés. Nous menons mène aussi depuis de nombreuses années un grand travail de recensement de ces morts enterrés dans l’Hexagone et de leurs lieux de sépulture, dans des nécropoles, des cimetières de village, des carrés militaires, etc.
A-t-on une idée précise du nombre de ces jeunes hommes qui ont péri ici et de leur origine ?
Il faut remonter à 1857, date de création du corps des Tirailleurs sénégalais pour mieux cerner l’histoire des Tirailleurs africains. A partir de là il y a toujours eu des unités de combattants noirs dans l’armée française. En général, les Tirailleurs étaient un corps d’armée chargé de harceler l’armée adverse, en la prenant en étau, par les flancs. Africains noirs et Algériens figuraient par exemple dans les rangs de ceux qui combattirent à la bataille de Reichshoffen perdue contre les Prussiens en août 1870. On parle souvent de tirailleurs « sénégalais » mais ils étaient recrutés dans toute l’Afrique noire et au-delà, aussi bien en Afrique de l’Est qu’en Afrique centrale et occidentale. L’exemple de la grande guerre de 14/18 est flagrant : parmi les 600 000 « coloniaux » enrôlés par la France (dont la fameuse Force noire du général Mangin) il y eut de nombreux morts : 35000 algériens, 12000 marocains, 21 000 tunisiens, 31 000 africains sub-sahariens, 2500 malgaches et 1600 indochinois ont perdu la vie pour libérer la France.
L’action interculturelle, en particulier ce magnifique concert du 12 décembre où l’on jouera Mozart et Saint-George, contribue-t-elle à associer des publics plus jeunes à votre action ?
Nous l’espérons bien entendu. Nous organisons environ un concert par an depuis le premier (8 février 2000) avec l’orchestre du Conservatoire. C’est aussi l’objectif que nous poursuivons avec la mise en lumière de la figure du Chevalier de Saint-George (1745 – 1799) dont nous avons publié l’histoire sous forme d’album illustré pour la jeunesse avec Alain Guédé, journaliste au Canard enchaîné, qui en est le biographe (livre disponible en français et en créole). Né en Guadeloupe sous le nom de Joseph Bologne de Saint-George, il fut un violoniste de talent, un grand compositeur et chef d’orchestre avant que sa musique (pourtant très aimée de ses contemporains) ne sombre dans l’oubli. Egalement militaire _ il fut le premier colonel noir de l’armée française, à la tête des Hussards noirs_ Saint-George a participé à la Révolution française et reste une figure de l’émancipation des esclaves, comme Toussaint Louverture, autre grand héros à la gloire duquel nous avons contribué à faire édifier une stèle au Jardin Compans Caffarelli. Tous les 10 mai, jour anniversaire de l’abolition de l’esclavage, nous nous y recueillons, avec de nombreux enfants et jeunes des écoles.
Orchestre National du Capitole de Toulouse
La Maison de l’Afrique
mercredi 12 décembre 2018 • Halle aux Grains (20h00)
Entrée gratuite • Réservation obligatoire
Mail : concerttirailleurs@gmail.com
Tel : 06 41 92 36 51 / 06 52 05 24 53