Il a été le théâtre de bien des théâtres, du sévèrement classique au ténébreux en rouge et noir, en passant par le populaire plus léger, mais le Sorano a trouvé depuis trois ans un nouveau credo : les mots qui habillent ses affiches essaiment dans la ville et dans les têtes. Inconscience, engagement, bonheur sont les trois qui illuminent la saison.
En faisant le choix de doter son théâtre d’une pluie renouvelée de mots, Sébastien Bournac qui le dirige va plus loin que de confier la tâche à un communiquant inspiré (Benoît Bonnemaison-Fitte). Comme s’il pensait tout haut les questionnements qui l’agitent, lui metteur en scène, lui découvreur et montreur du travail des autres, il avoue cette saison-ci une certaine audace et même une certaine inconscience. Une prise de risque et une joie en tout cas, qui célèbrent d’abord la jeunesse via le festival Supernova, et mettent toute l’année ensuite la focale sur l’émergence des interprètes, le mélange des générations et la valeur de l’engagement. Un théâtre sans peur et sans reproche qui mise généreusement sur la confiance du spectateur.
Ouverture
Avant Supernova, c’est avec l’intarissable mâcheur de mots et génial Sébastien Barrier que le Sorano donne le coup d’envoi le 26 septembre. Après Savoir enfin qui nous buvons où il nous a tenus huit heures assis sur nos chaises sans nous lasser, puis Chunky Charcoal, il nous invite à rencontrer Gus, un chat éclopé et grincheux avec lequel philosopher sur l’existence. Dans la foulée, le collectif belge NIMIS Groupe signe une fresque théâtrale à la frontière du théâtre et du documentaire sur la question migratoire, Ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu. Entendre aujourd’hui au théâtre la parole des demandeurs d’asile est une nécessité. Transcender leur réalité et la partager au plateau est une des clés pour vivre ensemble.
Ensuite on (re)verra avec plaisir la création de la compagnie Microsystème, La mort est une maladie dont nos enfants guériront qui avait clôturé la saison dernière début juillet. Fable théâtrale épique sur la question de l’immortalité et du devenir de l’humanité, la pièce s’organise comme un récit haletant où nous apparaît notre futur, non sans humour mais également avec beaucoup d’intelligence.
Festival boulimique
Très vite donc ensuite la comète Supernova fend l’automne avec une quinzaine de spectacles sur un rythme endiablé : premier et seul festival de cette nature en Occitanie, il valorise autant des chantiers de création fragiles que des propositions plus aguerries et s’inscrit dans des partenariats nationaux autour de la jeune création émergente que Sébastien Bournac a su aller débusquer jusqu’à Paris. Jeunesse et création sont les maîtres mots de ce festival qui s’ouvre sur un Eveil du printemps qu’il a lui-même mis en scène avec la dernière promotion de l’AtelierCité, les jeunes comédiens du Théâtredelacité qui coproduit. Wedekind l’auteur avait 26 ans lorsqu’il écrivit la pièce en 1891, sa vision de ce groupe d’adolescents n’a pas pris une ride. On les découvre dans l’âge des possibles, des désirs, aux prises avec leurs questionnements et ce que leur renvoient la société et le monde des adultes.
Dans les pas de ces adolescents-là se greffent ensuite ceux des personnages pleins de vie de Shakespeare interprétés par les jeunes comédiens tout frais sortis de la classe LABO du Conservatoire et mis en scène par le bouillant Laurent Brethome. D’autres auteurs en prise avec le tumulte du monde, de jeunes collectifs affutés comme le collectif Colette, le Group NABLA ou le collectif Marthe mettent en jeu Le monde renversé où s’affrontent des sorcières incarnant la cause des femmes, ou l’histoire d’un jeune nageur de haut niveau dans Cent mètres papillon incarné par Maxime Taffanel qui a réellement vécu l’expérience ou encore J’abandonne une partie de moi que j’adapte où se pose avec acuité la question de notre bonheur. Ecriture de plateau en collectif et regard critique sur le monde sont deux constantes de ces passionnantes propositions. Le festival Supernova se clôt sur le chant d’exil de L’avenir, poème en musique qu’interprète le jeune Clément Bondu sur l’exil de Nouveaux Tziganes, réfugiés d’une catastrophe forcés de prendre la route vers un ailleurs meilleur. De quoi nous rappeler en douceur et en lyrisme à la réalité.
Quelques temps forts
Au delà de Supernova, c’est la saison toute entière qui palpite et brasse les interrogations, les sexes et les âges, des jeunes pousses féminines comme Marion Siéfert ou Sara Llorca à des statures plus installées comme Thomas Ostermeier, Georges Lavaudant ou Stuart Seide. Si la jeunesse pose la question de l’engagement, elle est aussi le vecteur de spectacles coups de cœur qui font vibrer la salle. Ceux de Marion Siéfert sont de ceux-là. Elle écrit, elle performe et elle met en scène en véritable femme-orchestre. 2 ou 3 choses que je sais de vous et Le Grand sommeil, des solos pour créatures hybrides, sont à découvrir absolument.
Sara Llorca aussi est une jeune créatrice et metteuse en scène qui a choisi de réinterroger Les Bacchantes, texte d’Euripide daté de 2000 ans, pour remettre en perspective la folie des hommes, la guerre au nom de Dieu et la place des femmes dans la cité. Des thèmes évidemment en complète résonnance avec notre aujourd’hui. On retrouvera ensuite au fil de cette saison très très dense la même acuité du regard mais sur des thèmes différents, les relations humaines, la tentation du repli, chez les jeunes troupes que sont le Raoul Collectif ou la Compagnie Moon palace sur La Truite un texte de Baptiste Amann souvent accueilli au Sorano. Le signal du promeneur explore cinq figures d’hommes en rupture avec la vie sociale ou défricheurs de nouveaux chemins sur le modèle de Walden ou la vie dans les bois comme ont pu l’être à leur manière Jean-Claude Romand, Fritz Angst ou encore l’explorateur Mike Horn.
Régional pas banal
L’autre axe fort qui traverse la saison est celui de la création. Elle s’illustre notamment par le travail des compagnies qui nous sont proches, celle de Laurent Pérez, celle d’Alima Hamel ou celle de la Compagnie des Limbes en forme de Témoignage… En adaptant Eschyle, Laurent Pérez revisite la malédiction qui a frappé les Atrides sur plusieurs générations. A nos Atrides réunit des comédiens de talent qui lui sont fidèles, Sylvie Maury, Mathieu Hornain, Régis Goudot, etc : ils nous emmènent dans la noirceur et la violence du mythe pour une réflexion salutaire sur notre propre violence et nos modernes fanatismes.
Profonde aussi, sensible également, s’avère la magnifique proposition d’Alima Hamel : Medea mountains est un périple en mots et en musique, un voyage à l’envers aux sources de son histoire familiale qui s’entremêle avec le mythe de Médée, meurtrière de ses propres enfants et l’histoire récente de l’Algérie. Entre la France et ce pays des origines, entre le trauma enfoui et les mots qui veulent jaillir naît une mélopée lancinante d’où s’échappe enfin la possible résilience. Aurélien Bory prête à l’ensemble son regard et une scénographie qui cerne sans pathos les contours de l’émotion.
Enfin, puisqu’on ne peut bien sûr pas tout citer tant la profusion invite à aller sur le site du théâtre, on mettra un post it sur le frigo pour être sûr de ne pas rater la folie réjouissante des Trois Mousquetaires menée tambour battant par une clique de jeunes comédiens déchaînés dans la nouvelle édition de Out au mois de mai. Le feuilleton dans toute sa splendeur, avec six épisodes à suivre haletants ou en intégrale, c’est au choix. Co-accueillis avec l’Usine la joyeuse bande prendra la ville toute entière comme terrain de jeu alors à vos agendas !
Cécile Brochard
Théâtre Sorano
Saison 2018 / 2019 • Toulouse
Ceux que j’ai rencontrés © Hervé Comité • L’Eveil du Printemps © Alain Laboile • 100 mètres papillon © Romain Capelle • Le Grand Sommeil © Marion Siéfert • Le signal du promeneur © Cici Olsson • Les Trois Mousquetaires © Gabriel Cohen • Théâtre Sorano © François Passerini • Sébastien Bournac © François Passerini