Tourné vers l’horizon international, le théâtre Garonne ne dément pas cette saison sa fibre sans barrières : d’Israël au Japon en passant par la Belgique ou l’Australie le lieu affirme toujours plus son ouverture aux créateurs d’ailleurs…et surtout aux créatrices.
“La xénophobie, la peur et le rejet de l’autre s’enracinent dans l’enfance. Aussi c’est dès l’enfance qu’il faut commencer à lutter contre eux” : on connaît le travail artistique de la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin et la ténacité de ses engagements. Elle fait partie des femmes qui traversent avec force cette nouvelle saison, en habituée du théâtre Garonne elle revient avec Twice, en compagnie d’Emmanuel Eggermont qui présente avec elle un duo de pièces très dissemblables. Ces mots de Robyn Orlin, dont les problématiques fétiches s’attachent toujours à dénoncer le racisme et la discrimination sous toutes ces formes, pourraient être l’un des fils conducteurs de la saison qui s’ouvre. En effet, le Garonne peaufine là ces compagnonnages étrangers, de plus en plus présents au fil des années et ouvre grand les fenêtres vers l’autre et vers l’ailleurs sur un registre volontairement très engagé et politique.
L’ouverture de saison se fera comme on en a désormais l’habitude avec les propositions du Printemps de septembre : à noter parmi elles l’originalité de Flyway de Lz Dunn qui nous invite à déambuler des bords de Garonne jusqu’au centre ville, pour pister le vol des oiseux migrateurs, équipés de casques audio et jumelles, à la tombée du jour. Parmi les stars de la programmation, Steven Cohen, performer hors normes, revient ensuite avec Put your heart under your feet and walk! Un moment très fort, hommage coup de poing à son compagnon disparu, son âme sœur. Quand l’amour se fait radical pour dépasser la douleur du deuil et transfigurer les émotions en spectacle total.
La saison s’inscrit donc sous les auspices du multilinguisme et de l’ouverture aux sensibilités différentes : le mois d’octobre embraye ensuite sur Five days in march du créateur japonais Toshiki Okada, qui met en scène la jeunesse japonaise aux prises avec certaines périodes marquantes de l’histoire du Japon, les débuts de la guerre en Irak notamment. Cette (re)création dix ans après la première version de la pièce s’est encore étoffée de l’onde de choc provoquée par les catastrophes plus récentes que le pays a connu après Fukushima. Un spectacle visuel et stylisé, proche de la danse et présenté dans le cadre de « Japonismes 2018, les âmes en résonnance » en japonais surtitré.
En octobre toujours le Japon sera suivi de près par l’américain Richard Maxwell et son Paradiso. Artiste associé au Théâtre Garonne pour deux ans il présente là le troisième volet d’une trilogie inspirée de la Divine Comédie de Dante et s’attache comme à son habitude à traquer l’humain dans ses failles avec une grande tendresse et beaucoup d’humour. Installé à New York il tourne dans le monde entier et s’est vu qualifier par le New York Times de « metteur en scène parmi les plus doués de sa génération ». Mazette !
Vive la parité
Autre axe fort dans cette saison remarquable, la présence des femmes qui occupent décidément le terrain et c’est tant mieux : Julie Berès, accueillie en partenariat avec le Théâtredelacité témoigne dans son travail de la force de la désobéissance qu’ont des petites filles et filles d’immigrés pour vivre selon leurs envies et devenir qui elles ont envie d’être. Née de la collecte des paroles de ces femmes Désobéir, pièce d’actualité n°9 prend place dans un cycle initié par Marie-José Malis qui dirige le Centre dramatique d’Aubervilliers et qui pose chaque année la question à un artiste : « La vie des gens d’ici, qu’est-ce qu’elle inspire à votre art ? ».
Des femmes aussi, nombreuses, dans la manifestation Tel Aviv express un regard sur la scène indépendante israélienne, qui court du 14 au 24 novembre. Parmi elles Yasmeen Godder, performeuse, rejoint ce thème de la révolte féminine contre le machisme et le nationalisme, en se mettant en scène dans une performance avec la compositrice Tomer Damsky. Ensemble elles brassent les notions d’identité politique et de révolte, tout en les reliant à des questionnements universels plus intimes.
Sa compatriote Nava Frenkel lutte elle-aussi à sa manière contre les ferments des nationalismes en donnant à voir I look after, sorte de puzzle de sensations et de fragments, traversé par la question du temps et de la nostalgie. Frenkel appuie son travail poétique sur des jeux de langage et sur une chorégraphie ludique où transparaît son imaginaire.
S’il y a une figure incontournable de la saison 2018/2019 tous grands théâtres confondus à Toulouse c’est bien celle de la grande chorégraphe Maguy Marin qui irradie avec le cultissime May B accueilli en partenariat avec le Théâtredelacité et la Place de la danse (et joué au Théâtredelacité). Le spectacle, mythique, a fait le tour des plus grandes scènes et Maguy Marin a été artiste associée au Garonne de 2011 à 2014 où elle a présenté une quinzaine de spectacles. Un deuxième opus, Ligne de crête sera d’ailleurs visible au Garonne à nouveau, en mai prochain.
La liste des femmes à suivre en cours de saison serait trop longue mais il faut souligner tout de même qu’elle s’accompagne d’un grand dynamisme et d’un théâtre pétri d’engagements : dans Nous sommes repus mais pas repentis Séverine Chavrier fait sonner un Thomas Bernhard plus corrosif que jamais; la voix de la grande écrivaine Agota Kristof résonne dans The notebook, joué par un formidable duo d’acteurs so british du collectif Forced Entertainement. La jeune Azusa Takeuchi qu’on avait pu découvrir sous le regard du metteur en scène Mladen Materic distille sa variation sur les états du corps dans Kara-Da-Kara. Camille Decourtye voltigeuse circassienne, donne un Là fait de cirque et de mélange animal/humain dans la dernière création de Baro d’Evel.
Lia Rodrigues chorégraphe brésilienne en furie (Furia) défend sa danse militante et le caractère éminemment politique de son art. Olivia Grandville, ancienne danseuse de l’opéra de Paris, mettra le cap A l’ouest en février à la rencontre des danses et musiques amérindiennes. Une invitation à « frapper le sol avec ses pieds, frapper la terre sacrée, communiquer avec les esprits, faire résonner le corps et la terre pour dire son existence au monde ».
Après elle, Julie Deliquet mettra en scène plusieurs fois Tchekhov à la manière des nouveaux collectifs : avec beaucoup de liberté, une grande dose d’improvisation et un sens aigu du personnage et du rapport au spectateur. Tchekhov dans la ville est une proposition immersive où les comédiens vont hanter les rues du quartier St Cyprien et croiser votre chemin pendant une semaine. A la fin de la semaine les habitants sont invités à découvrir les épisodes de la pièce dans les lieux où ils se sont créés. En parallèle sur scène du 13 au 16 février, Mélancolie(s) met en scène la confrontation de deux pièces de l’auteur, les Trois Sœurs et Ivanov.
Ensuite, jusqu’aux beaux jours de mai, se suivront la fantasque Marlene Monteiro Freitas, Kaori Ito, Gaëlle Bourges et ses marionnettes, et toutes jalonneront de leur talent cette saison kaléidoscope.
Cécile Brochard
Théâtre Garonne
Saison 2018 / 2019 • Toulouse
Steve Cohen © Pierre Planchenault • Five days in march © Hideto Maezawa • Paradiso © Sascha van Riel • © Willy Vainqueur Désobéir Julie Beres • May B © Herve Deroo • Baro d’Evel / Là © Francois Passerini • A l’Ouest © Stanislav Dobák • Mélancolie(s) © Simon Gosselin