Ça bouge, ça s’excite Place du Capitole. Le Théâtre est en ébullition avec son nouveau Directeur artistique, Christophe Ghristi. Qui n’est pas un inconnu sur la place puisqu’il fut dramaturge en ces murs de 1995 à 2009. Cette saison est sa véritable première dont il assume tous les choix.
Son projet est bien tourné vers le renouveau, celui d’abord du répertoire proposé comme celui des invités en ce lieu si plein de références. La scène du Capitole peut s’enorgueillir d’avoir accueilli moult ouvrages, le meilleur comme le pire mais, bizarrement, d’avoir laissé de côté des chefs-d’œuvre. Ainsi, Die tote Stadt, la Ville morte d’Erich Korngold (1920), ou encore Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas (1907) ou Lucrèce Borgia de Gaetano Donizetti (1840 à Paris) et plus récent, Kopernikus de Claude Vivier (1980). Voilà bien quatre entrées au répertoire sur une saison comportant huit productions. Le pari est fort téméraire mais il est permis de s’en réjouir à l’avance.
Ce sera aussi une ouverture de saison fracassante avec le retour de La Traviata de Verdi après une absence prolongée de plus de quinze ans. Une façon de rendre un vibrant hommage au public fidèle. Quant à Mam’zelle Nitouche d’Hervé, la bonne humeur date de son dernier passage en mars… 1965. Halte chez Richard Strauss avec Ariane à Naxos dont les pôles d’attraction pourraient bien se révéler comme étant la mise en scène de Michel Fau et la direction musicale d’Evan Rogister, repéré ici dans la fosse dans sa direction d’Ernani. Sans oublier en fin de saison, le très romantique Werther de Jules Massenet dans la production tant admirée alors de Nicolas Joël.
Avant toutes choses, on se doit de citer la fosse avec les musiciens de l’Orchestre du Capitole dont l’effectif varie d’une production à l’autre, fosse qui vient encore de se faire applaudir plus que chaleureusement par le public pour chaque représentation de La Clémence de Titus, et qui vient ainsi de clore une très belle saison. Pourtant, les conditions peuvent être parfois peu commodes, et l’on pense à eux pour La Walkyrie par exemple. On signale dans la foulée le Chœur et la Maîtrise du Capitole et leur Directeur Alfonso Caiani, et on ne citera que leur dernière performance dans Macbeth. Musiciens et choristes font bien partie, à ce niveau, des piliers du Théâtre du Capitole.
Nouvelle mise en scène pour cette Traviata signée Pierre Rambert qui ne devrait pas engendrer le classicisme au vu de son parcours jusque là ! avec des décors d’Antoine Fontaine et des costumes de Frank Sorbier, le choc est au rendez-vous. Si on ajoute la direction de Georges Petrou, venu en voisin du baroque, et le jeu de la double distribution qui va permettre d’entendre aussi bien Anita Hartig que Polina Pastirchak, Kevin Amiel que Airam Hernandez en Alfredo, Nicola Alaimo qu’il est inutile de présenter en papa Germont en alternance avec André Heyboer, fort remarqué à Paris dans La Nonne sanglante de Gounod, les représentations ne souffriront pas pour afficher complet. Mon petit doigt me signale même qu’une supplémentaire serait déjà en vue !!
Pour suivre donc, Die tote Stadt. Après plusieurs années d’éclipse, l’opéra d’Erich Wolfgang Korngold, écrit à 23 ans, effectue depuis quelques années maintenant un come-back fulgurant, rappelant l’époque glorieuse où, au lendemain de sa double création à Cologne et Hambourg, fin 1920, il était parti à l’assaut de Vienne et du Met à New-York. L’heure de la réparation a enfin sonné et ce n’est que justice, en regard de la force théâtrale et des beautés musicales d’une œuvre qui possède tous les atouts pour s’inscrire durablement au répertoire d’un théâtre. On ne doute pas une seconde que le public ne partage pas l’enthousiasme du directeur dans cette mise à l’affiche. N’oublions pas le triomphe qu’il a pu faire à Tiefland la saison dernière. D’autant plus que le héros, Paul, c’est Torsten Kerl qui a enchanté nos oreilles dans Rienzi ici-même, et Marietta, Evgenia Muraveva. Gage supplémentaire, c’est le chef britannique Leo Hussain qui tient la baguette et la production est celle de Philipp Himmelmann, acclamée par tous, dont il a été dit que la lecture enthousiasmante de l’ouvrage était d’une grande intelligence et d’une grande finesse.
Et voilà, Kopernikus du compositeur canadien Claude Vivier, également auteur du livret, rare et fascinant opéra en deux actes de 1980, opéra tout entier placé sous le signe du feu et de l’eau, sous-titré “Un rituel de mort“. Sa mise en scène est confiée à un certain Peter Sellars, grande figure du théâtre, que tout le monde connaît, mais dont c’est la première venue à Toulouse. Cette “féerie mystique“ dixit son compositeur, sans rôle, est une proposition de rituel initiatique, qui jongle entre rêve et réalité, conte philosophique et poème cosmique, qui fait se croiser plusieurs personnages et bien sûr, Copernic. L’auteur écrivait: « Trouver l’âme de l’humanité, la remettre en face d’elle-même, remettre l’individu face à lui-même et à l’infini, face au mystère total qu’est l’Univers, le contempler, pouvoir enfin s’y trouver ». Quant à Sellars, il confie au sujet de cet ouvrage contemporain : « des mondes de la vie, de la mort, à une vie nouvelle, la musique de Vivier trouve la paix au-delà de la paix, le repos sacré dans l’action métaphysique. Les visionnaires sont là. Nous n’avons plus à avoir peur. »
D’une durée de 1h10, ce sera au Théâtre Garonne pour 3 représentations. L’ensemble instrumental L’Instant donné participe au spectacle ainsi que l’Ensemble Vocal Roomful of teeth avec ses sept interprètes.
Normalement, ce n’est pas une rareté, et pourtant c’en est une au Capitole. Lucrezia Borgia de ce cher Donizetti ne semble pas avoir franchi le portail depuis plus de cent trente ans. C’est sûrement une entrée au répertoire encore. Ce qui va nous permettre de retrouver sur scène une des plus belles Lucia applaudie il y a une vingtaine d’années, Annick Massis, qui fut aussi une irrésistible Philine dans la foulée. En Duchesse de Ferrare c’est, de plus, une prise de rôle, d’où notre impatience. Dans le rôle d’Alfonso d’Este, Duc de Ferrare, quatrième époux de la dame, la basse Roberto Scanduzzi est de retour au Capitole, artiste qu’on ne présente plus car ses prestations ont été nombreuses ici. Il faut une mezzo, Eléonore Pancrazi pour Maffio Orsini, le jeune noble ami de Gennaro, ce jeune soldat de naissance inconnue, rôle pour ténor dont s’empare Mert Süngü. En réalité, Gennaro est un fils caché de sa mère Lucrèce, qu’elle va empoisonner lui aussi, par mégarde. Quant à Eleonore Pancrazi, sa prestation à Paris dans, à la fois, Trouble in Tahiti et Manga-Café a été fort goûté de tous. La mise en scène est confiée à Emilio Sagi dont nous avions pu apprécier le travail dans Dona Francisquita puis dans Le Turc en Italie. Dans la fosse, le chef italien Giacomo Sagripanti, 36 ans, nommé Jeune Chef de l’année en 2016, fait ses débuts au Capitole. Certains ont toujours dans l’oreille le Stabat Mater de Rossini qu’il dirigea à la Halle courant décembre passé. Et on sait que l’Opéra de Paris où il est loin d’être un inconnu l’accueille encore en novembre pour diriger une Traviata qui sera suivie de L’Elisir d’amore Nous sommes habitués au slogan : la valeur n’attend pas le nombre des années. Rossini, Donizetti n’ont plus de secrets pour lui.
Autre entrée au répertoire d’un autre chef-d’œuvre encore avec de Paul Dukas, Ariane et Barbe-Bleue, son unique opéra. On se demande bien pourquoi cette partition n’a jamais inspiré les directeurs successifs du Théâtre. Le livret est assez fracassant avec cette grande question posée : peut-on vouloir la liberté pour autrui quand celui-ci ne la désire pas ? !! car ici ces femmes enfermées ne sont pas mortes mais bien vivantes. Un tel livret de Maeterlinck pouvait faire envisager des décors et costumes impressionnants tout comme une mise en scène plutôt délirante. Las, ce n’était pas obligatoirement les éléments les plus motivants. Ils le seront davantage pour Stefano Poda qui l’a bien compris et d’ailleurs se charge de tout, comme à son habitude, la mise en scène, les décors et costumes et lumières et ce, afin de rendre aux opéras toute leur rigoureuse unité esthétique et conceptuelle. Il a ainsi travaillé de la sorte sur plus d’une centaine d’ouvrages sur les scènes lyriques.
Pour des débuts toulousains, le sac est plein. Pascal Rophé va diriger tout ce spectacle, avec une fosse qui ne va pas s’ennuyer car la partition est flamboyante. Enfin, il faut une Ariane et là, Christophe Ghristi ne pouvait que signer avec la mezzo capable d’assumer un tel rôle, avec des passages aussi difficiles, j’ai nommé Sophie Koch. Qui a pu oublier ses prestations ne serait-ce que dans Le Chevalier à la rose et Le Roi d’Ys ? Nous apprenons à l’instant que Dominique Sanda sera de la production……C’est du lourd, du lourd, répèterait un certain Luchini !!
Une autre Ariane avec l’Ariane à Naxos de Richard Strauss. Inutile d’épiloguer sur la musique de ce chef-d’œuvre écrite par l’auteur du Chevalier à la rose, comme du Salomé ou Elektra, et autres merveilles, son Daphné récemment donné ici même. Ce qui nous interpelle, c’est que la mise en scène a été confiée à un certain Michel Fau, qui n’est pas le plus timide des saltimbanques. Que nous réserve-t-il comme surprise ? Théâtre dans le théâtre, cette œuvre mêle avec une fausse désinvolture le sérieux de la tragédie lyrique et le comique de la commedia dell’ arte. Chantre de la voix féminine dans tous ses registres, le compositeur ne se lasse pas de glorifier la femme, Catherine Hunold en Prima Donna /Ariane, le Compositeur chanté par Stephanie d’Oustrac, Zerbinetta par Jessica Pratt. On est sûr que dans la fosse, Evan Rogister, couvert d’éloges, ici, dans sa direction d’Ernani, saura traiter l’orchestre comme il se doit, avec toute la souplesse et la brillance mozartiennes suggérées par le compositeur. Et qu’il veillera aussi à ce que le texte soit débité sur le mode fluide et intimiste d’une simple “conversation en musique“. Tous voudront être au plus près de cette « comédie réaliste avec des êtres humains intéressants » dixit Richard Strauss.
Un peu de légèreté complètement assumé avec Mam’zelle Nitouche du compositeur Hervé. Une façon de faire revenir ce type de spectacle sur la scène du Capitole qui en a vu passer tant et tant, car nous sommes en pleine opérette, où toute vulgarité est absente, où l’on joue, danse et chante et fort bien, mais une opérette totalement loufoque. Résumer l’histoire est un pari voué à l’échec, les rebondissements étant fort nombreux, concoctés par les deux librettistes. Il faut une mise en scène qui “emballe“ le tout. Pierre-André Weitz s’occupe aussi des décors et des costumes et, très importants, des maquillages, plutôt hauts en couleurs, comme les costumes. Plus connu pour ses mises en scène d’opéras, Olivier Py a décidé d’apparaître ici, sur scène, et jouera même plusieurs rôles. Il sera le soldat absolument rayonnant de bêtise mais aussi la Mère supérieure avec un bon maquillage aidant, et enfin la primadonna Corinne. Ça le reposera du Festival d’Avignon et de sa dernière création. Théâtre, chant et danse, voilà un cocktail qui saura être détonnant mené par la baguette impérieuse de Christophe Grapperon.
Fin de saison avec Werther de Jules Massenet. C’est la production de Nicolas Joël de 1997, reprise en novembre 2000. Une mise en scène participant alors de façon efficace à toute l’émotion de cet opéra d’un romantisme brûlant. “Opéra des larmes“ ont même écrit certains, pas des larmes furtives, ni de violents sanglots, mais des larmes qui coulent lentement et inexorablement, une à une, « patientes gouttes » dit même Charlotte, ici Karine Deshayes, des larmes qui coulent tout au long des quatre actes et que la chanteuse saura amener sur nombre joues dans la salle, n’en doutons pas. De même que son Werther, Jean-François Borras qui l’a déjà chanté, à New-York et à Vienne mais, bizarrement, pas encore en France. Erreur réparée. C’est bien sur la scène du Capitole qu’il demandera à Charlotte, pour la première fois sur une scène française, de venir le bénir sur sa tombe « d’une douce larme en son ombre tombée » : sanglots assurés de l’Orchestre au Paradis. Pour mener à bien ce long requiem, lacrimosa dies illa, c’est Jean-François Verdier que l’on trouve à la baguette. Deux noms peu connus encore pour interpréter Albert et Sophie et que nous accueillons avec bonheur, ceux de Philippe Estèphe et Florie Valiquette. Vous avez le temps de repasser vos mouchoirs en fil avec application, c’est pour fin juin.
Dans un prochain article, sera détaillée la saison pour les Ballets mais aussi pour Concerts et Récitals et soirées avec les Chœurs, dans la maison Théâtre, Place du Capitole, sans oublier les Midis du Capitole et les nouveaux rendez-vous intitulés “Heure exquise“.
Mais, on se doit de signaler sans attendre le tour de force du nouveau Directeur qui consiste à assurer le retour des récitals au Théâtre et pas avec une soirée, mais sept !! avec des places au tarif jamais supérieurs à 30€, mais oui. Quand vous commencez avec un récital et orchestre avec Max Emanuel Cencic et Georges Pétrou à la baguette, que suit Marie-Nicole Lemieux accompagnée au piano par Roger Vignoles, puis Christian Gerhaher, ce magnifique marquis de Posa du dernier Don Carlo et Gerold Huber au piano, puis Matthias Goerne, eh oui, et Alexander Schmalez au piano suivi d’un de nos plus grands barytons français Stephan Degout avec pas moins que Alain Planès au piano, ouf, mais ce n’est pas terminé, Stéphanie d’Oustrac et Pascal Jourdan, et enfin notre Lady Macbeth, Béatrice Uria-Monzon dans des mélodies espagnoles accompagnée par le petit prodige à la guitare Thibaut Garcia et Marcelo Amaral au piano. Jamais eu une telle affiche à Toulouse, digne des plus grandes salles. Le Théâtre du Capitole se devra d’être complet.
Michel Grialou
Théâtre du Capitole
Saison 2018 / 2019
Christophe Ghristi © Pierre Beteille • Choeur du Capitole © Patrice Nin • Anita Hartig © Shirley Suarez • Airam Hernandez © Coke Riera • La Ville morte © Opera National de Lorraine • Lucrèce Borgia © Tato Baeza • Sophie Koch © Vincent Pontet • Evan Rogister © Simon Pauly • Michel Fau © Bruno Perroud • Mam’zelle Nitouche © Frédéric Stéphan • Werther © Patrick Riou