Réflexions futiles, choses vues et souvenirs inspirés par la ville et ceux que l’on y croise.
Prodige des nouvelles tables. Tout le monde veut en être. Pouvoir répondre à l’affirmative à l’incontournable question « Tu es allé au / à… » et donner son avis. Les diagnostics sont péremptoires. Ils tombent comme un couperet. Débiner une nouveauté ou au contraire l’encenser sans réserve donne un petit sentiment de supériorité au « critique » gastronomique qui sommeille en chacun (profession virtuelle la plus partagée avec celle de sélectionneur de l’équipe de France de football). L’Alimentation, un vendredi soir, une petite semaine après son ouverture place de la Bourse, ne dérogeait pas à la règle. Dès vingt heures, la cave à vins / restaurant (concept différent de la première Alimentation de la rue Maurice Fonvielle s’affichant cave à manger et boutique) bouillonnait déjà. On connaît la chanson et le ballet. Cela crépite, les gens entrent, sortent, quémandent une place, se saluent, s’embrassent. Nous sommes quatre, non cinq, finalement six. Pas de réservation ici, mais une table près de l’entrée nous accueille. Sur la carte (concoctée par Grégory Chomette qui a fait ses armes auprès de Jérémy Morin au Metropolitan et à L’Aparté – bon signe, mais on ne mange pas un CV), tout fait des clins d’œil.
Alors, on goûte tout ou presque : rognons de compétition, croque-monsieur et burger gourmands, andouillette vaillante, os à moelle fidèle à sa prestance bistrotière, chou farci un peu en dedans (on est exigeant quand on a pris goût à celui de Laurence Lagarde), lentilles / saucisse impeccable, escargots épatants. C’est bon, voire très bon. Les assiettes sont d’une efficacité désarmante, elles vont droit au but, ne se perdent pas en hypothèses ou en circonvolutions. La simplicité et le classicisme dans ce qu’ils ont de meilleur et qui risquent bien de devenir une nouvelle avant-garde quand ils n’oublient pas, comme ici, le plaisir. Côté vins, deux bouteilles de la cuvée Louis du domaine des Hautes Terres de Gilles Azam ont épanché les premières soifs. Dans les rouges, le cairanne de Marcel Richaud et la Poignée de raisins du domaine de Gramenon étaient déjà aux abonnés absents. Que fait le sommelier ? Il roupille ? Nous nous sommes donc rabattus sur un sympathique rouge espagnol et sa petite sœur. Service évidemment débordé, mais souriant, diligent et finalement au rendez-vous. C’est devenu tellement rare que l’on a envie de dire merci, de serrer des mains, de présenter ses hommages. Le client est si souvent considéré comme un ennemi, une bête à tondre, un mauvais coucheur que le simple fait d’être bien reçu met de bonne humeur. Les plats arrivent en cascade sur notre table avec une rigueur espagnole. Chauds, pas tièdes ou froids comme pouvait le laisser craindre l’affluence des grands soirs. Pour ne rien gâcher, les tarifs sont à l’image des plats : amicaux. Aux beaux jours, la vaste terrasse sera un camp de base pour les gourmands.
Chaque année, les premières journées de soleil me plongent dans une douce et discrète mélancolie. Comme un cadeau tant attendu qui provoque au moment de l’ouverture du paquet une petite déception : finalement, ce n’était que cela… Ce soleil et ces terrasses qui commencent à être envahies sont les promesses de déjeuners joyeux, d’après-midis en forme d’école buissonnière que j’aborde avec une nostalgie par anticipation.
Retour pour une invitation à dîner dans un immeuble tant fréquenté il y a bien longtemps. Sentiment de revenir sur ses pas, mais ces pas là sont des années. J’ai envie de sonner à la porte du premier, mais les êtres que j’y ai connus ne sont plus là. J’entends pourtant leurs voix, leurs rires. Il faut monter un étage, puis un autre. Ne pas trop se retourner.
Lors d’un autre dîner, des conversations professionnelles entre deux commensaux. Ils parlent en français, mais leurs propos sont aussi exotiques à mes oreilles que de l’albanais ou du mandarin. Je découvre des mots – dont l’un de quatre syllabes, déjà oublié puisqu’il m’était totalement étranger. Bonheur du dépaysement à peu de frais, quiétude des conversations qui nous dépassent. Manière de tendre retour en enfance quand on laissait les adultes parler entre eux. Peut-être le secret des dîners réussis : ne pas avoir à parler, à argumenter, à répondre. On peut ainsi s’entretenir silencieusement avec soi-même, plus sûr moyen de ne se fâcher avec personne.
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