Ecrite il y a trois siècles pour divertir le Roi-Soleil au Château de Chambord, cette comédie-ballet endiablée n’a pas pris une ride. Parfait dosage de jeu, de danse et de musique, Monsieur de Pourceaugnac s’avère un modèle d’interdisciplinarité, éclairé par la mise en scène enlevée de Clément Hervieu-Léger.
Vous êtes à la fois comédien à la Comédie française, dramaturge, metteur en scène : y a-t-il des échos entre vos rôles et le choix des textes que vous mettez en scène ?
En fait j’ai la chance de pouvoir faire des mises en scène à la fois au théâtre et à l’opéra. A l’opéra le choix de l’œuvre incombe au directeur du lieu. Au théâtre c’est différent, le choix du texte vous appartient. Pour ma part, j’ai toujours fait des choix « nécessaires ». Je n’ai pas envie de mettre en scène pour mettre en scène ; je le fais parce que j’ai le sentiment de devoir raconter une histoire, qui s’impose à moi en quelque sorte. Car tout cela est surtout fait d’intuition et de passion.
Avez-vous des thèmes de prédilection ?
C’est a posteriori qu’on se rend compte que de spectacles en spectacles on s’interroge sur les mêmes questions. Je réalise que j’ai monté beaucoup d’œuvres qui interrogeaient la question du désir et la manière dont l’expression de ce désir va parfois à l’encontre des normes sociales dans lesquelles on vit. C’est une chose qui m’apparaît après coup. Je viens de monter Le pays lointain de Largarce et comme dans L’épreuve de Marivaux et Monsieur de Pourceaugnac je m’aperçois aussi que la question du mariage, la façon dont on vit en société, dont les liens se tissent au sein des groupes humains, m’intéresse énormément.
Et des domaines de prédilection ? La danse notamment occupe une place particulière dans votre parcours.
En effet, j’ai commencé par la danse quand j’étais enfant. J’ai finalement renoncé mais je reste très proche de ce milieu, parce que j’y ai beaucoup d’amis et surtout parce que la danse est constitutive de mon rapport à l’art et à la musique. De ce point de vue Monsieur de Pourceaugnac c’était une formidable occasion pour moi de réunir toutes ces interrogations, et toutes les passions qu’on vient d’évoquer. C’était d’ailleurs le projet de Molière de faire un spectacle complet, qui réunisse théâtre, musique et danse mais dans lequel le théâtre primerait.
Est-ce que cela fait de la comédie ballet le genre idéal pour vous ?
Oui, même si je n’entends pas monter évidemment que des comédies ballets (rires). Au fond, tout ceci c’est aussi beaucoup des histoires de rencontres. J’avais monté un opéra avec William Christie, La Didone de Cavalli, on s’est très bien entendus et on a tout simplement eu envie de continuer à travailler ensemble. Il se trouve qu’il avait aussi très envie de retravailler sur des comédies ballets, ce qu’il avait fait de nombreuses années avec Jean-Marie Villégier, en me laissant là le choix du texte. J’ai donc relu le corpus des tragédies et des comédies ballets, il n’y en a pas tant que ça : en tout avec Georges Dandin ou le mari confondu, Psyché et Le malade imaginaire il y en a onze. Et Monsieur de Pourceaugnac s’est imposé.
Qu’a donc de spécial cette pièce-là ?
Pour moi c’est la comédie-ballet la plus aboutie du genre : si on lui enlève du chant ou de la musique, on lui ôte du sens. Alors que dans d’autres pièces comme Le Bourgeois gentilhomme, la plus connue, on peut monter le texte sans sa partie musicale et malgré tout, la pièce tient debout. Si on fait la même chose avec Monsieur de Pourceaugnac on se retrouve avec une pièce un peu bancale. C’est certainement pourquoi cette pièce est moins choisie : elle exige une production lourde. Il faut tout : la musique, les chanteurs, il danse, sinon on perd le sens de l’histoire. La musique de Lully fait partie intégrante de la dramaturgie, elle n’est pas un simple ornement, ni un prétexte, elle y a un rôle central et tout autour est interdépendant. C’est une pièce totale. Ce qui pourrait en être le plus proche aujourd’hui c’est sûrement la comédie musicale.
Vous aimez la comédie musicale ?
Oui, je prends beaucoup de plaisir à aller voir des comédies musicales, c’est un genre très réjouissant, très optimiste. Pour moi Monsieur de Pourceaugnac est un spectacle où la joie est communicative, où Molière a mis énormément de choses drôles, cruelles, des accents, des travestissements : tout ce que le théâtre peut offrir comme moyens pour raconter une histoire par la voix et par le rire il l’utilise. Par le rire on a me semble-t-il le plus beau moyen de faire l’expérience de notre humanité commune. Et cette pièce est une manière formidable d’amener les publics à se mélanger : des jeunes qui ne seraient pas forcément venus écouter de la musique de Lully et qui au final trouvent ça très moderne, et des gens plus âgés, amateurs d’opéra, qui viennent pour les musiciens des Arts florissants et qui finalement constatent combien le théâtre de Molière est puissant.
Molière on l’a compris, vous est très familier : en quoi cette écriture est-elle si moderne ?
C’est vrai que le fait de jouer du répertoire classique et d’avoir un goût, une vraie passion pour cette langue, m’incite à aller beaucoup y puiser. Je suis entré à la Comédie française jeune, je travaille dans une troupe qui est l’héritière de celle de Molière et j’ai souvent joué les jeunes premiers puis d’autres rôles. J’ai lu d’autres œuvres de Molière, plus théoriques, en particulier la Critique de l’école des femmes que j’adore, car c’est une pièce où il dit tout, sur le jeu, sur le naturel, sur le théâtre et c’est la première pièce que j’ai montée, avant le Misanthrope et Monsieur de Pourceaugnac. Je me suis très vite rendu compte combien Molière me parlait. De moi, de nous : je suis fasciné par son acuité et la façon dont il nous oblige à réfléchir sur nous, sur le monde dans lequel on vit. Son théâtre est joyeux mais aussi d’un grand pessimisme.
Y voyez-vous des liens avec la société dans laquelle que l’on vit ?
Pour moi c’est évident. Molière est un sociologue extraordinaire, il s’intéresse à la manière dont les groupes sociaux s’organisent entre eux, quelquefois sur le plan d’une certaine lutte des classes (les valets vis-à-vis des nobles ou d’une bourgeoisie aisée), d’autres fois sur le conflit des générations. Dans Monsieur de Pourceaugnac la jeunesse revendique ses droits et c’est tout à fait en écho avec une certaine actualité : on comprend aisément de nos jours que Julie n’ait pas du tout envie de se marier avec ce vieux monsieur qu’elle n’a jamais vu ! J’en profite d’ailleurs pour revenir sur l’idée parfois émise que le théâtre de Molière serait un peu misogyne, je ne le crois pas. Molière écrit des personnages féminins qui sont souvent plus courageux que les jeunes hommes. Et dans ses pièces le bon sens en action passe souvent par les femmes.
Et puis ce Pourceaugnac venu du Limousin est un étranger…
Tout à fait, c’est un provincial qui arrive à Paris, dans un groupe qui décide qu’il est différent, il représente l’Autre, l’homme à abattre. Cela fait aussi partie des phénomènes qui m’intéressent dans les rapports de groupe, ce quelque chose de grégaire qui fait l’homme, et à quel point un groupe constitué qui décide qu’un individu n’entrera pas dans le cercle peut agir avec une violence effroyable. Là, les protagonistes décident de faire échouer ce mariage, puis d’avoir sa peau carrément, leur plan devient une machine qu’on n’arrête plus. A moins avis il faut relire Molière avec attention et fidélité car il rejoint nombre de préoccupations qui sont les nôtres aujourd’hui.
Pour finir, un aperçu de vos choix de mise en scène ?
On voulait une distribution où les chanteurs jouent la comédie, où les acteurs chantent, et où l’on ne sache plus au final qui est chanteur, acteur ou danseur. Trop souvent dans les comédies ballets avec orchestre, on a l’impression qu’il y a d’un côté la musique, de l’autre le théâtre, la danse et que ces choses alternent, se juxtaposent sans être liées. On avait au contraire le souhait, encore une fois comme dans les comédies musicales, de trouver des gens qui savent tout faire, chanter, danser, faire des claquettes, jouer la comédie. C’est très important ici de faire danser tout le monde ensemble, car c’est une pièce carnavalesque, traversée de danses populaires, folkloriques, de sarabandes, de danses de mariage, etc. Les danses créent le groupe, il n’y a rien de mieux que de chanter et danser ensemble pour se sentir en cohésion. Et la chorégraphie de Bruno Bouché le rend très bien.
La partition jouée en live est bien sûr de Lully, mais les comédiens jouent-ils en costumes d’époque ?
Non, je tenais vraiment à sortir de l’esthétique baroque : à chaque fois qu’on voit une comédie ballet il y a les perruques, les rubans, le talon rouge, ce sont des costumes magnifiques mais dans lesquels le corps de l’acteur n’est pas libre. Or là ça ne cesse de courir, de changer de costumes, de se travestir, il fallait que les corps soient libres, soient en jeu. J’ai choisi de transposer l’action après-guerre, à la fin des années 50, ça m’a paru très juste car il y a de vraies équivalences avec le propos du texte : le provincial qui monte à Paris, les mariages convenus, l’immigration. J’ai resitué l’action dans la communauté des italiens et dans l’image d’Epinal du Paris noir et blanc de Doisneau…
30 ans d’Odyssud – Souvenirs…
Odyssud pour moi, c’est un souvenir très fort : c’était en 2006, ma première tournée avec la Comédie française. Je jouais Valère dans le Tartuffe mis en scène par Marcel Bozonnet et j’ai gardé en mémoire que je courais sans cesse, je galopais dans les travées lors des répétitions l’après-midi, pour les derniers calages avant le soir. La salle immense, ces escaliers qui montent si haut et ce public extrêmement fervent, très attentif, qui m’a marqué.
Propos recueillis par Cécile Brochard
Odyssud
vendredi 26 janvier 2018 à 20h30
samedi 27 janvier 2018 à 15h00 et 20h30
Clement Hervieu-Leger © Sebastien Dolidon
Monsieur de Pourceaugnac © Brigitte Enguerand
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Monsieur de Pourceaugnac | Molière / Lully | Odyssud Blagnac
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