Ce 21 septembre, les briques de Saint Pierre des Cuisines sont roussies par les premiers feux de l’automne ; à l’intérieur de ce lieu emblématique de notre chère Tolosa, les éclairages chauds amplifient cette atmosphère. C’est l’écrin idéal pour une soirée conviviale entre le Portugal et le Béarn, entre les langues romanes, entre le fado et le blues occitan, organisée par le Festival Occitània (1).
Après une introduction musicale à l’ambiance lusophone tout de suite reconnaissable par ses deux guitaristes (guitare portugaise et guitare espagnole), Henriquinha Maria entre en scène comme une diva, robe en lamé noir très décolletée, crinière noire de jais et bouche sanglante. J’ai l’impression qu’elle a l’habitude de chanter sans microphone dans des lieux enfumés et alcoolisés, de se faire respecter par un public majoritairement mâle. Sa voix puissante a cependant des accents nostalgiques, blessés, et même tristes, échappés de ruelles mal famées du vieux Lisbonne au clair de lune ; mais peut-être n’est-ce qu’un cliché.
De son vrai nom Hendriktje Ruiter, née et formée professionnellement en Hollande, c’est une chanteuse très talentueuse vivant à Lisbonne. Maintenant devenue célèbre au Portugal en raison de sa victoire à un concours de chansons de Fado sur la télévision portugaise, on sent qu’elle aime profondément le chanter.
Elle sort de sa pochette de théâtre des cartes postales, où sont écrites des traductions de poèmes de chanteuses lusophones, qu’elle lit dans un français hésitant mais charmant, avant de les laisser s’envoler comme des feuilles d’automne :
Je suis fado, c’est dans le chant que je me donne…
Mes saudades sont des feuilles mortes dans le vent mais tu ne me feras plus pleurer…
Dommage qu’il y ait trop de cartes postales ; et de feuilles mortes.
Malgré une certaine monotonie dans les arrangements, c’est une agréable découverte ; et un bonheur pour une partie du public certainement en exil de Lusitanie, Toulouse étant, tout le monde le sait, une ville d’accueil enrichie par des vagues successives, italiennes et espagnoles en particulier.
La Béarnaise Marilis Orionaa a commencé par chanter seule a cappella des chansons traditionnelles et des poèmes. Pour elle, la musique est au service de la voix, la voix est au service de la langue et la langue est au service de la poésie : le but c’est la Poésie. Voilà une devise que nombre de chanteurs français actuels devraient méditer ! (Et adopter : ce n’est pas les langues régionales qui menacent le français, mais bien l’anglais, langue mondiale du commerce…).
Elle chante dans un style qui lui est bien personnel, avec des envols méditerranéens entre Grèce et Maghreb (par instants, elle m’évoque Irène Papas ou Maria Farantouri, dont elle a la stature vocale), avec de intonations bluesy dans la légèreté et des ornementations toutes pyrénéennes, comme les bergères de sa Gascogne d’une colline à l’autre pendant des siècles j’imagine ; et je vois sa voix voler comme un oiseau par-dessus les montagnes, les lacs et les ravines peints par les peintres du XIXème siècle.
Avec ses musiciens, elle a trouvé une véritable alchimie : escortée de ses compagnons de longue route, le guitariste Olivier Kléber-Lavigne dont le jeu subtil combine technique classique et influences flamencas, blues mais pas seulement, et le percussionniste, tout en finesse, comme devaient l’être ceux du Moyen-Age, Nicolas Martin-Sagarra, le vent des Pyrénées sans frontières souffle sur ce trio magique.
Faisant fi des idéologies quelles qu’elles soient, elle a beaucoup voyagé en Europe et même au-delà, avec ses chansons envoûtantes comme sa voix, sa personne, et ses ballades, en dehors des modes (qui, tout le monde le sait, ne sont que des maladies mentales inoculées par le commerce).
Elle n’a pas eu besoin de suivre le conseil de Jeanne Moreau : « Je l’ai rencontrée à Paris en 1997, à la remise du Grand Prix de l’Académie Charles Cros. Elle était récompensée pour son livre Les plus belles chansons d’amour (Albin Michel), moi pour mon premier album. J’avais chanté une chanson a cappella. Après la cérémonie elle signait des autographes à tour de bras. Elle m’a félicitée avec beaucoup de gentillesse et de fantaisie : comme j’avais les cheveux très longs, elle m’a dit que je n’avais pas besoin de vêtements pour monter sur scène ! Je l’ai remerciée mais je n’ai jamais osé mettre son conseil en pratique ».
Qu’elle interprète des chansons traditionnelles ou ses propres compositions, elle en donne toujours les clés au public avec gentillesse et humour, si bien que chacun a le sentiment de parler couramment gascon.
Ce soir, ce sont des histoires de femmes et d’amour qu’elle nous conte : celle de Jana-Maria, Jeanne-Marie, amoureuse à en perdre le sommeil, mais qui a fini par obtenir gain de cause parce qu’elle a respecté « la voix hiérarchique » (son père et sa mère) ; celle de cette femme amoureuse qui boit du vin de Galice (Marilis précise qu’elle préfère le jurançon et le Pacherenc; je partage ce penchant bien que j’aime aussi le chianti de Marie Ferré) et entend passer le Roi Arthus qui aimait tellement chasser qu’il a quitté la messe en plein milieu et a été condamné à chasser éternellement ; celle de la malheureuse Aysabé que son père a tellement battue qu’elle en est morte parce qu’elle lui a désobéi en rejoignant son chevrier amoureux, un trop petit parti, et que les bonnes petites fées pyrénéennes ont réveillé et placée dans le ciel parmi les Pléiades…
Nul doute qu’au Moyen Age, Marilis Orionaa aurait été cataloguée comme sorcière et brûlée vive ; aujourd’hui, à part certains intégristes, son public nombreux et ses admirateurs fervents préfèrent la voir brûler de passion sur scène.
Rien d’étonnant à ce qu’elle aime poser devant le pic d’Anie, proverbialement considéré en Béarn comme un repaire de sorciers, sorcières et démons…
Quand elle évoque un cher disparu trop tôt parti, comme on le fait en Béarn quand on dit« adishatz monde e la companhia », elle nous émeut jusqu’aux larmes, mes voisins et moi.
En rappel, elle nous conte encore l’histoire de ce berger du XVIIIème siècle qui continue à chanter même après avoir perdu son troupeau, et dont les brebis continuent à lui parler, en le vouvoyant bien sûr, pour lui reprocher sa négligence, non pas pour elles : s’il avait été plus prudent, il aurait les poches pleines de louis d’or.
Elle cisèle ses textes comme ses mélodies, en orfèvre mais aussi en artisan (pourquoi ce mot n’a-t-il pas de féminin, alors que les femmes pendant des siècles ont exercé tant de petits métiers indispensables à la famille et à la communauté ; et continuent ?)
« Si l’existence qui nous est accordée est un trésor,
S’il faut amasser la peine comme la joie,
Si aujourd’hui comme hier ne seront bientôt qu’un souvenir,
Quelle est la destinée qui viendra de loin sur la route ou le pré pour m’ouvrir les yeux ? »
La Trobadora du Béarn présente sur son site (2) son quatrième album, La Destinada, où elle a signé neuf des onze titres et interprète deux textes écrits à son intention par deux grandes figures littéraires du Béarn, Alexis Arette et Roger Lapassade (il y a déjà 3800 vues sur sa page Facebook pour son premier clip (3).
Et elle nous annonce le cinquième !
D’aucuns la comparent à Barbara, à Joan Baez, ou à Fairuz, la diva libanaise ; c’est flatteur, mais Marilis n’en a pas besoin, car elle est unique.
Si l’on ne connaît pas de troubadours béarnais au moyen âge, Marilis Orionaa est assurément une remarquable trobairiz contemporaine.
E.Fabre-Maigné
24-IX-2017
PS1 : Bonne nouvelle sur les fonds baptismaux du spectacle vivant : la naissance d’une nouvelle salle à Cornebarrieu, l’Aria. Pensée jusqu’au site, celui d’une ancienne ferme de maraîchers italiens, elle allie respect de l’environnement et esthétique. Sa spécificité est d’être une salle éco-énergétique, avec un mur porteur en terre crue (une « première » pour un bâtiment public en France), un système de ventilation naturelle qui remplace la clim, une chaufferie à granulés de bois, des panneaux réfléchissants, un toit-terrasse végétalisé…
D’une capacité est de 380 à 1500 places (selon les configurations), axée sur l’humour et la chanson, sa programmation va sans doute s’étoffer et gagner à se diversifier.
A suivre absolument !
Rue du 11 Novembre 1918, 31700 Cornebarrieu 05 62 13 43 02
PS.2 : En ce moment à la Galerie du Château d’Eau, deux expositions à ne pas rater jusqu’au 5 novembre 2017 :
Celle de Philippe-Gérard Dupuy, Charades, pleine d’humour et de citations culturelles ; également visible à l’Espace Saint Cyprien avec « Faces », des instantanés de jazzmen croqués à Marciac.
Egalement à l’ Instituto Cervantes du 19 septembre au 27 octobre, Eugeni Forcano (Canet de Mar, 1926) est un photographe inclassable, libre, autodidacte et passionné qui a connu le succès dès 1960 alors qu’il fait les couvertures du magazine Destino avec ses photos en noir et blanc, dans une approche humaniste de son époque. La vie attrapée au vol souligne un travail considérable et intense qui reflète le mode de vie et parfois de survie dans l’Espagne des années 60 et début 70: le développement de Barcelone, la vie rurale, la journée du marché, la magie des vacances, les formes de la dictature étouffante et angoissante, les militaires, les prêtres et les religieuses, les misères humaines, la vie dans la rue sont les thèmes essentiels de La vida atrapada al vol, 1960-72.
Le Château d’Eau – 1 place Laganne – 31300 Toulouse Ouvert du mardi au dimanche de 13h à 19h Tél : 05 61 77 09 40
Instituto Cervantes 31 rue des Chalets – 31000 Toulouse Tél. 05 61 62 80 72
Pour en savoir plus :
1) Festival Occitània jusqu’au 25 octobre :www.festivaloccitania.com
05 61 11 24 87
billeterie IEO 31, 11 rue Malcousinat Toulouse
2) www.marilisorionaa.com/
Le CD La destinada, le CD DAMN et le single Que’t balharèi la man sont distribués par l’association ARMUGALH.
Joindre règlement par chèque à la commande, envoi par retour de courrier. Les précédents albums sont actuellement épuisés.
La destinada : 20 euros Damn : 20 euros Que’t balharèi la man : 5 euros
Port et emballage compris.
Association ARMUGALH BP 301 64300 ORTHEZ
3) La destinada sur YouTube : http://youtu.be/NTVfeuGT2OM
La destinada sur Vimeo : http://vimeo.com/marilisorionaa/la-destinada
Crédit photos
Olivier Kléber-Lavigne et Nicolas Martin-Sagarra © Lucile C.
Marilis Orionaa © Max Loubère et Gérard Cauquil