Samedi 27 mai, à la Halle à 20h. Si, avec son directeur musical, Tugan Sokhiev, l’ONCT, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse poursuit son travail d’exploration des symphonies de Mahler, son chef attitré n’hésite pas à confier sa phalange à d’autres chefs au talent reconnu et apprécié déjà. C’est pourquoi on retrouve à sa tête, Kasuki Yamada qui va finir par devenir un habitué de la Halle puisque le revoilà pour la cinquième saison consécutive. C’est pour diriger la Troisième, la symphonie la plus longue du compositeur, une partition monumentale, avec voix de mezzo, ce soir, celle de Karine Deshayes, et chœurs de femmes, ceux du Théâtre du Capitole menés par leur chef Alfonso Caiani, sans oublier Les Eclats, chœur d’enfants et de jeunes sous l’autorité de leur chef François Terrieux.
En six mouvements très inégaux, ou plutôt une Partie I avec le premier mouvement d’une demi-heure, puis la Partie II réunissant les cinq autres, la symphonie dure près d’une heure et demie, autant dire, une performance pour tous. Au milieu de l’œuvre, il faut gérer l’entrée de la soliste et celle du chœur, les deux devant imposer leur présence et fusionner avec l’interprétation orchestrale. C’est une des créations “mahlériennes“ les plus, imposantes, ambitieuses et démesurées. Sorte de préfiguration du Sacre du Printemps, qui observe la nature dans son cycle vital, naissance et mort, c’est une alliance de sublime et de naïveté, très difficile à rendre sur le plan orchestral. Ne soyez pas surpris par les trois derniers mouvements qui sont donnée enchaînés.
Une lettre à sa maîtresse du moment, la cantatrice Anna von Mildenburg nous éclaire sur l’état d’esprit du compositeur : « Ma Symphonie sera quelque chose que le monde n’a encore jamais entendu ! Toute la nature y trouve une voix pour narrer quelque chose de profondément mystérieux, quelque chose que l’on ne pressent peut-être qu’en rêve ! je te le dis, certains passages m’effraient presque . Il m’arrive de me demander si réellement cela devait être écrit. »
Dans cette Troisième surtout, comme dans les autres symphonies du compositeur, on note l’omniprésence de la nature qui semble faire de lui une sorte de prophète des préoccupations écologiques actuelles. Valery Gergiev dira même : « Les descriptions de la Nature que l’on trouve dans ses symphonies lui causaient de terribles souffrances, comme s’il avait l’impression que la Nature était en train de mourir, étouffée par l’Humanité. Il y a trente ans, nous n’avions pas conscience des dangers encourus par la Terre à cause de nous. (…) Mahler est l’un de ceux qui ont prédit ces catastrophes. Nous avons besoin de lui plus que jamais. »
Baptisée très tôt, Natursinfonie, la troisième a fait l’objet de multiples analyses, des milliers de pages noircies, souvent ou même presque toujours incompréhensibles, ce qui me fait dire que le plus important semble être de se laisser happer, imprégner, baigner par ce flot musical né d’un orchestre aux multiples exécutants et à la présence des instruments habituels – 5 clarinettes tout de même – mais aussi plus rares comme la diversité des percussions, les cloches, le glockenspiel et pas moins de 17 cuivres !! cette n°3 n’est vraiment pas à la portée de tous les orchestres.
En dépit de toutes ses angoisses, Mahler, qui a une certaine estime de lui-même, plutôt élevée, demeure convaincu d’ailleurs que « le monde prendra un jour bonne note de tout cela », tout en sachant bien que « les hommes auront besoin d’un certain temps pour croquer ces noix que j’ai fait (dixit) tomber pour eux. »
Autre citation utile de Bruno Walter, celui qui fut le tout jeune assistant de Mahler à l’Opéra de Hambourg, le premier, invité par le compositeur à entendre sur le propre piano du maître, les premières mesures de la partition de la Troisième, sur le lieu de vacances, de retraite et de composition à la fois de Mahler. Le futur chef d’orchestre de légende a alors tout juste vingt ans. Nous sommes en juillet 1896 : « Dans la Troisième symphonie, la nature elle-même semble s’être transformée en sons. Cette symphonie est la seule dans laquelle les mouvements suivent une séquence d’idées bien déterminées (…). Ici, la nuit parle de l’Homme, les cloches du matin parlent des anges et l’amour parle de Dieu – il est donc aisé de voir l’unité structurelle fondamentale de cette symphonie. C’est pour cette raison même que cette Mahler pouvait se dispenser des titres qu’il supprimera donc, comme on ôte les échafaudages une fois la maison terminée. Il voulait que l’œuvre soit considérée comme de la musique pure… Ce qu’elle nous communique par-dessus tout, c’est un regard heureux sur la vie et sur l’univers. »
I. Déterminé. « Ce n’est presque plus de la musique, ce ne sont pratiquement que les sons de la nature. », s’étonnait lui-même Gustav Mahler devant la tournure insolite prise par le premier mouvement, mouvement épique de plus de trente minutes, évoquant les débuts balbutiants de la Création, le chaos primitif s’organisant au-dessus des éboulements et des écroulements sonores, à grand renfort de fanfares de cuivres, de martèlements lugubres de timbales, de hallalis de cors.
II. ….
Pour se plonger dans une écoute plus… “excitante“ encore de la Troisième, n’hésitez pas à vous plonger aussi dans une lecture très attentive de l’analyse faite par le regretté Gil Pressnitzer sur son site Esprits Nomades, à propos de cette symphonie qu’il vénérait :
Au vu des exigences de l’œuvre, c’est une chance d’en profiter en concert, en live, pour parler actuel Plus de cent trente CD ou coffrets de vinyle, pour la plupart indisponibles, peuvent vous en donner une idée, mais ils ne peuvent remplacer les émotions du moment devant le chef et son orchestre.
Consulter aussi l’article de Serge Chauzy qui vous informe sur le chef et la mezzosoprano.
Michel Grialou
Orchestre National du Capitole
Kazuki Yamada (direction)
Karine Deshayes (Mezzo-Soprano)
Halle aux Grains
samedi 27 mai 2017 à 20h00
Yamada Kazuki © Marco Borggreve
Karine Deshayes © Aymeric Giraudel
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