Le mercredi 19 avril dans la belle salle du Métronum (1), dans le nouveau quartier de Borderouge, au terminus du Métro, plus habituée aux concerts de musiques actuelles, et le samedi 22 avril à 18h dans la magnifique Abbaye de Belleperche (également Musée des Arts de la table) en Tarn-et-Garonne (2), nous avons eu le privilège d’assister à un remarquable spectacle qui, heureusement pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’être présents, sera redonné le 20 décembre à l’Espace des Augustins à Montauban (3) : il s’agit du Vent des Royaumes.
Pour sa dixième édition, le festival Made in Asia a invité sept artistes d’exception et de différents univers géographiques et musicaux pour un dialogue audacieux et singulier, entre tradition et modernité. En écho aux sonorités de la vielle mongole, des percussions et de la cithare chinoises, les musiciens des Passions ont insufflé un vent de musique baroque. Dans ce jeu de métissage, la voix surnaturelle du chanteur de Mongolie s’élevait et s’entrelaçait aux sons d’Orient et d’Occident.
C’était un voyage musical éclectique, hors du temps et de l’espace, où toutes les frontières s’effaçaient, sous les doigts de Yang Yi-Ping, percussions (Taiwan), Jiang Nan, guzheng (cithares chinoises sur table), Mandaakhai, (chant diphonique,echnique particulière où le chanteur produit 2 notes en même temps, et morin khuur, vièle mongole à 2 cordes), et l’Orchestre Les Passions : Jean-Marc Andrieu (direction et flûte à bec,) Gilone Gaubert-Jacques (violon), Pauline Lacambra (violoncelle), Yasuko Uyama-Bouvard (clavecin).
Le concert alternait les soli, où chacun des musiciens nous a sidéré par son talent, et les parties à l’unisson, qui nous ont emporté dans ce Vent des Royaumes, passant sans hiatus des compositions baroques de Jean-Marie Leclair (1697-1764), extraites de ses 22ème Récréation sde Musique, aux musiques populaires de Chine et de Mongolie ; sans oublier la suave création de Jiang Nan, Rhapsodie, sans doute arrangée pour tous les musiciens par Jean-Marc Andrieu, et les improvisations de la percussionniste qui nous a charmé avec ses évocations poétiques de la nature (tambours d’eau, appeaux évoquant des chants d’oiseaux etc.).
Et je me suis remémoré ce poème de Wang Wei (699/701-759):
La pluie nouvelle mouille la colline.
Le crépuscule est un petit automne.
La lune brille entre les pins.
Le torrent est clair parmi les rochers.
A travers les bambous
J’entends chanter les lavandières
Qui reviennent à la maison.
Au-dessus des prairies mouillées
Vole une aigrette.
Dans la semi-obscurité
Un loriot jaune appelle.
Le parfum du printemps inspire puis expire.
Comment le retenir avant qu’il ne s’échappe ?
La Poésie était bien au rendez-vous ces soirs-là.
Dans une époque trouble où certains semblent vouloir nous faire revenir presque un siècle en arrière et courir à l’abime qui a déjà failli nous engloutir, en nous dressant les uns contre les autres, ces concerts donnent, outre le plaisir des sens et une ouverture intellectuelle indispensable, une image sereine des relations entre les peuples, y compris entre les cultures qui semblent le plus éloignées.
J’ai revu passer devant mes yeux Guan-yin, la divinité de la paix, ce bodhisattva (divinité bouddhiste) représentée comme une femme tenant dans ses mains un lotus, qui trônait dans le salon de ma grand-mère l’antiquaire, que j’ai donné au Musée Georges Labit après son décès.
Et je suis reparti dans la nuit fraiche d’avril avec sur les lèvres les vers de Tou Fou (712-770):
A l’embarcadère, il y a
Deux barques amarrées.
Elles viennent de Wu,
A trois mille d’ici.
Là-haut sur la rivière
Deux loriots dorés
Chantent dans le vent.
Un vol de cigognes
Passe dans le bleu.
Je vois par la fenêtre
Les montagnes de l’Ouest,
Leur neige de mille ans.
E.Fabre-Maigné
photos Metronum © J.J.Ader & Belleperche © F-SERET
PS. C’était aussi un heureux préambule à « Musiques en dialogue », la nouvelle série de concerts qui va voir le jour en la ravissante Chapelle des Carmélites, rue du Périgord à Toulouse, sous les auspices de Dame Catherine Kaufmann-Saint-Martin, “la Folle de Musique”, que nos lecteurs connaissent bien.
1ère date annoncée le Dimanche 3 Septembre 2017: « La Suisse », concert à 14h30 avec Muza Rubackyté, piano – Régis Goudot, récitant – Musique: Franz Liszt (1811-1886) -Textes: Marie d’Agoult, Alfred de Musset, Gérard de Nerval. Nous en reparlerons très bientôt ici-même.
Pour en savoir plus:
- metronum.toulouse.fr/
- L’abbaye de Belleperche est un ancien monastère cistercien, situé à Cordes-Tolosannes, dans le département de Tarn-et-Garonne. Comptant parmi les plus riches abbayes cisterciennes du Midi, elle fut fondée au XIIe siècle par la famille d’Argombat, agrandie au XIIIe siècle et modernisée au XVIIIe siècle. Dominant la Garonne avec majesté, les édifices conservés témoignent par leur ampleur et leurs décors d’un passé prestigieux où se mêlent austérité monacale et élégance du siècle de Louis XV. Réputée au XVIIIe siècle pour son hôtellerie et sa table, Belleperche accueille aujourd’hui en continuité avec son histoire un Musée des Arts de la Table. Une exposition permanente riche d’un millier de pièces présente l’évolution des objets utilisés pour boire et pour manger du Moyen Âge à nos jours. musee-arts-de-la-table.fr/
- renseignements les-passions.fr
- musiquendialogue.org
Les Années de pèlerinage est un cycle monumental de pièces pour piano composées par Franz Liszt au cours de ses voyages avec Marie d’Agoult rencontrée en 1833 lors d’un concert dans un salon de la noblesse parisienne. La comtesse a alors vingt-huit ans, l’artiste six de moins. Pour vivre leur passion, ils fuient la France pour Genève.
Trois enfants, trois voyages réunis en trois volumes, seront le fruit de cet exil : La Suisse, l’Italie et plus tard Rome. Les pièces de ces « Années de pèlerinage » évoquant les aspirations du XIXème siècle sont d’une grande profondeur poétique, souvent d’inspiration littéraire. Liszt écrit : « Mon esprit et mes doigts travaillent comme deux damnés : Homère, la Bible, Platon, Locke, Byron, Hugo, Lamartine, Chateaubriand, Beethoven, Bach, Hummel, Mozart, Weber sont tout à l’entour de moi ; je les étudie, je les médite, les dévore avec fureur. » C’est dans cette fièvre intellectuelle et artistique qu’il compose le cycle des Années de pèlerinage, d’un romantisme total.
La symbiose entre sa passion pour Marie et sa quête métaphysique oriente Liszt vers la recherche de l’absolu, par les moyens des amours humaines, de l’art et de la religion. A la lumière de ces aspirations multiples s’élaborent les Années de pèlerinage dont les différentes étapes conduisent à la version définitive s’échelonnant jusqu’au soir de sa vie. A Rome, quarante ans plus tard, ayant perdu ses enfants, ses amours, il sera dans une profonde solitude, à la recherche de quiétude et de spiritualité, après être rentré dans les ordres mineurs en 1865.