Le 4 Décembre 1971, la tranquille ville de Montreux en Suisse s’apprête à céder aux bacchanales du rock. Ce soir là, Frank Zappa et son groupe, The Mothers of Inventions, se produisent au Casino dans le cadre de leur tournée européenne.
Après quatre-vingt minutes, alors qu’ils interprètent le titre King Kong, la détonation d’un pistolet d’alarme retentit. Immédiatement, le plafond prend flammes, qui cernent les premiers rangs. Zappa intime à la foule de garder son calme et d’utiliser les sorties de secours, mais c’est en sautant par les fenêtres de cette salle située au premier étage que l’auditoire s’en tire. L’endroit termine en cendres.
Parmi les rescapés, saufs mais traumatisés, se trouvent l’intégralité des membres de Deep Purple. Ils sont venus à Montreux pour enregistrer leur sixième album, Machine Head et devaient, à ce titre, investir le casino au lendemain du concert de Zappa.
Réunis dans la vitrine d’un restaurant, ils observent l’incendie mourir alors qu’un rideau de fumée obscurcit le lac Léman. Roger Glover, bassiste, trouve l’image troublante et pense qu’elle ferait un bon titre de chanson. Ian Gillan, chanteur, imagine ses paroles : une description factuelle et chronologique des événements de la nuit. La conjonction des deux donnerait une sorte d’œuvre documentaire, intitulée Smoke On The Water.
Privé de lieu d’enregistrement, le groupe s’attelle tout de même à la réalisation de leur album les jours suivants. Brièvement relocalisés au théâtre Le Pavillon, ils sont expulsés manu militari par la police suisse après plaintes pour tapage du voisinage. C’est au Grand Hôtel, établissement désaffecté et situé en périphérie de ville, qu’ils atterrissent pour enregistrer Machine Head sur le studio mobile des Rolling Stones.
L’enregistrement, étalé du 6 au 21 janvier 1972, est un sommet de difficultés techniques, au point d’obliger le groupe à travailler exclusivement à l’oreille, sans ambition de réécouter aucune prise avant leur retour en Angleterre. Pour couronner la galère, l’album, conçu autour de six titres, s’avère trop court. Il manque une dernière chanson.
Ian Gillan se souvient : « Notre manager, Martin Birch, nous a dit « J’ai une mauvaise nouvelle. Il manque sept minutes de matériel et il ne nous reste que vingt-quatre heures. »
Smoke On The Water, dont les paroles sont ébauchées et le titre trouvé, s’impose au groupe comme la solution de secours.
Le guitariste Ritchie Blackmore propose un leitmotiv autour duquel travailler. Il ne s’agit pas d’un motif totalement inédit. Les membres du groupe sont fins connaisseurs en jazz*, et le gimmick évoque l’introduction au piano de la chanson Maria Quiet, chantée par Astrud Gilberto et arrangée par Gil Evans sur l’album Look To The Rainbow, sorti cinq ans plus tôt. S’enroulant autour de ses douze notes, Smoke On The Water est écrite et enregistrée en un temps record.
L’album Machine Head sort en mars 1972 avec pour premier single Never Before et se place en première place des charts anglais, australiens, français, danois, finlandais, allemands, canadiens et yougoslaves. Le single, que le groupe pensait promis à devenir un hit, passe totalement inaperçu. Roger Glover déclarera : « Pourtant, on avait travaillé dessus : un joli pont, un jeu soigné, un mixage approprié… »
Ce n’est qu’en mai 1973 que Warner Bros. Records, la maison de disque américaine du groupe, décide de sortir Smoke On The Water en 45 tours, qui atteint la quatrième place du Billboard. Malgré un succès relatif en Europe à l’époque, la chanson deviendra légendaire grâce à ses cinquante-deux premières secondes : un riff de guitare répété six fois, voué à devenir le plus célèbre riff, tous instruments confondus, de toute l’histoire de la musique.
Emblème paroxystique de la guitar music, l’introduction de Smoke On The Water sera souvent comparée par son auteur, Ritchie Blackmore, à la Cinquième Symphonie de Beethoven.
Plus terre à terre, Roger Glover se concentrera sur l’événement déclencheur du mythe : « Je n’avais jamais vu un tel incendie. Le bâtiment a explosé tel un champignon atomique. Le dernier jour d’enregistrement au Grand Hôtel reste pour nous un événement aussi important que le feu lui-même. Nous le quittions sans connaître notre avenir. Après avoir été jetés de partout, nous pensions que le monde était contre nous. Nous avions la rage. Voilà sans doute ce qui a contribué au succès de Smoke On The Water. »
Eva Kristina Mindszenti
* Le nom Deep Purple a été choisi en référence à la chanson éponyme du compositeur et pianiste de jazz Peter DeRose.
Deep Purple – Smoke On The Water
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Astrud Gilberto – Maria Quiet
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Paula Kelly – Deep Purple
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Le vingtième album de Deep Purple, Infinite, est sorti le 7 avril 2017
Parce que rien n’éclaire mieux nos vies que leurs bandes-sons, Culture 31 s’intéresse aux chansons qui ont marqué l’Histoire, la grande comme la petite.
Chapitre I : Gloomy Sunday (Szomorú Vasárnap) le chef-d’œuvre tragique de Rezső Seress
Chapitre II : My Way de Frank Sinatra
Chapitre III : Good Vibrations – The Beach Boys
Chapitre IV : I wanna be your man – The Rolling Stones / The Beatles
Chapitre V : Mission : Impossible par Lalo Schifrin
Chapitre VI : I Feel Love par Donna Summer
Chapitre VII : Let’s Dance de David Bowie