Le sculpteur sénégalais, Ousmane Sow (1), est décédé le 1er décembre 2016, à l’âge de 81 ans, à Dakar. Né dans cette ville le 10 octobre 1935, il était le sixième enfant de Moctar Sow, ancien combattant de la première guerre mondiale, devenu transporteur routier, et de Nafi N’Diaye, descendante d’une vieille famille de Saint-Louis-du- Sénégal, dont un ancêtre a conduit la lutte armée contre la présence coloniale française, noué des alliances politiques, conduit ses hommes au combat et est mort dans une bataille.
Cet homme charmant et sympathique, aussi impressionnant que ses statues de terre ou de bronze, était un géant au propre et au figuré, mais aussi un humaniste, conscient et fier de sa «négritude» comme Léopold Senghor qui a écrit:
…Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang ?
Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux
Je ne laisserai pas — non ! — les louanges de mépris vous enterrer furtivement.
Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneur
Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France.
Il a été le premier Africain à rejoindre en 2013 l’Académie des Beaux-arts en tant que membre associé étranger, le second sous la Coupole depuis l’entrée de Senghor justement à l’Académie Française.
Il « emporte avec lui rêves et projets que son organisme trop fatigué n’a pas voulu suivre », a souligné sa famille, précisant qu’il avait fait ces derniers mois plusieurs séjours à l’hôpital à Paris et à Dakar.
Ousmane Sow s’est fait connaitre par ses sculptures monumentales de guerriers qui ont fait le tour du monde. Le grand public français l’a découvert en 1999 lors d’une rétrospective sur le Pont des Arts à Paris : je me souviens des regards sidérés d’une foule bariolée de tous âges et de toutes nationalités déferlant à grands flots sur la Seine. Comme ceux des Toulousains en juin 1996 sur le Pont Neuf (dans le cadre de Rio Loco) et en 2015 au Museum. Personnellement, je les regardais pendant de longues minutes et j’entendais dans leurs mouvements les mélodies de Geoffrey Oryema et de mon cher ami Francis Bebey.
Pasteurs peulhs, guerriers zoulous, lutteurs noubas du Soudan, nomades masaïs de la vallée du Rift, on ne peut oublier ces colosses figés dans le mouvement, tant « il recherchait le fluide de ces hommes debout », et donnait à voir des scènes d’une vie quotidienne d’autrefois, des luttes rituelles, dont il ne reste plus que souvenirs et photographies.
D’un réalisme appuyé, d’une échelle souvent supérieure à la taille humaine, ces nus suggèrent le mouvement avec une justesse où se ressent la science anatomique de l’artiste. Pour autant, il ne craignait pas d’aller vers un héroïsme épique, modelant torses, avant-bras et cuisses d’athlètes d’une puissance telle qu’ils semblent rivaliser avec les Titans des sculpteurs italiens de la Renaissance comme Michel-Ange ; on sent aussi les influences de Bourdelle et de Rodin.
Le premier métier d’Ousmane Sow était kinésithérapeute. Sa connaissance des muscles et de l’anatomie lui a servi pour ses créations. « Je peux me bander les yeux et faire un corps humain de la tête aux pieds. »
Il a créé une technique sur laquelle il est demeuré très avare de précisions, mais dont on regretterait qu’elle ne lui survive pas.
On retrouve dans toutes ses pièces monumentales, la volonté d’être à la fois symbolique et didactique, mais aussi la célébration de la lutte pour la liberté et l’indépendance des peuples noirs ; et de tous les peuples opprimés.
Il avait son franc parler, et refusait tout manichéisme ; lors d’un passage à Bordeaux, il avait déclaré : « L’esclavage est un très lourd passé que les habitants de Bordeaux ne sont bien sûr pas tenus d’assumer. Sans vouloir atténuer la responsabilité des Bordelais ou des Nantais de l’époque, il faut avoir l’honnêteté de dire que s’il y a eu esclavage, c’est qu’il y a eu des gens qui ont vendu des esclaves. Et ceux qui les vendaient, c’était des gens de leur couleur, de leur village ».
On connaît moins ses guerriers amérindiens, pourtant si forts, si émouvants, et tellement d’actualité avec la lutte des descendants de Sitting Bull et de Crazy Horse contre le Serpent noir, l’oléoduc (Dakota Access Pipeline) qui va dévaster les terres sacrées de la réserve sioux dans le Dakota du Nord, à l’heure où le nouveau président américain, actionnaire de celui-ci, n’a que faire du respect des équilibres écologiques et des convictions spirituelles, encore moins des laissés pour compte de la société de consommation (malgré ses déclarations tonitruantes) et des droits des Native Americans (Américains d’origine) (2).
La bataille de Little Bighorn, est un épisode occulté de l’Histoire des USA, (comme l’ethnocide organisé des premiers habitants de l’Amérique) : au cours de celle-ci, en juin 1876, Sioux et Cheyennes coalisés anéantirent le 7ème régiment de cavalerie du lieutenant-colonel Custer. De cet épisode symbolique de l’invasion des territoires indiens, Sow a fait une scène tumultueuse, chevaux et combattants des deux camps emmêlés, cadavres agonisants et prières en stagnation.
Il a représenté ces héros oubliés : Sitting Bull, Two Moon,Crazy Horse…
Et l’on entend à les observer la voix du regretté John Trudell :
Crazy Horse, nous entendons ta voix
Nous entendons ta voix
Une Terre une Mère
Personne ne peut vendre la Terre
Le Peuple marche dessus…
J’avais souhaité, lors de la création de mon concert poétique Hommes rouges, Fils de la Terre à la Mounède (la Maison des Racines du Monde, hélas enterrée depuis) et à l’Espace Apollo de Mazamet, en 2002, faire exposer ce groupe monumental place du Capitole à Toulouse. Mais la Municipalité de l’époque avait décliné l’offre, à mon grand regret.
Quand je dis sur scène la tradition orale amérindienne, je revois souvent les hommes d’Ousmane Sow pieds nus sur la Terre sacrée :
Les vieux Indiens étaient des sages : ils savaient que le cœur de l’homme éloigné de la nature devient dur, que l’oubli du respect dû à tout ce qui pousse et à tout ce qui vit sur notre Mère la Terre amène également à ne plus respecter l’homme. Ils aimaient la Terre et toutes les choses de la Terre, leur attachement grandissait avec l’âge. Ils ne pouvaient s’asseoir ou s’allonger à même le sol, sans avoir le sentiment de s’approcher des forces maternelles. La Terre était douce sous leur peau et ils aimaient ôter les mocassins pour marcher, pieds nus, sur la Terre sacrée.
A une époque où il devient vital de faire résonner nos voix, si nous ne voulons pas que notre planète ne devienne à jamais silencieuse, Ousmane Sow a fait résonner le pas de ses hommes et femmes debout, de ses guerriers flamboyants, dans nos villes.
Je ne doute pas que Béatrice Soulé qui l’a accompagné de longues années et a regardé avec lui « le soleil en face » continuera à faire vivre ses œuvres (3).
J’imagine qu’il est parti marcher pieds nus aux côtés de ses ancêtres africains, aux côtés de ses géants de terre à qui il a si bien rendu la vie.
Que sa marche soit longue et belle.
E.Fabre-Maigné
février 2017
EXPOSITION REGARDS SUR COURS ENTRE AMBITION ET ÉMOTION
Pour en savoir plus :
(1) ousmanesow.com/
(2) Selon les scientifiques, nous vivons une période d’extinction de masse: l’humanité attaque à la tronçonneuse l’arbre de la vie. Mais un nouveau plan ambitieux visant à protéger 50% de notre planète pourrait soigner notre Terre. Les gouvernements sont sur le point de se réunir pour discuter de cette crise. Ils ne parviendront à un accord que s’ils entendent une clameur citoyenne en faveur de ce plan.
(3) Béatrice Soulé Le P’tit Jardin 84 rue des Entrepreneurs 75015 Paris Tél. 06 80 72 82 90 soule@lalune.org
photos : agence Roger Viollet