Dans la série Vinyl de Scorsese et Jagger (annulée par la chaîne HBO après une seule et unique saison), le monde des maisons de disques des années 70 est décrit comme un cirque baroque. Le récit ressemble à s’y méprendre à toutes les histoires qui se sont racontées et que nous avons entendues sur ce business, dans ses heures de gloire. On se demande si chez Trump, en coulisses, les us et coutumes ne sont pas de cet ordre, quoiqu’en pense son électorat moraliste et naïf. Un jour, cependant, la fête a pris fin et tout est parti en fumée. Personne n’avait vu venir l’effondrement du cours du sillon ni anticipé, après la folie du CD où les amateurs rénovaient leur discothèque de fond en comble, la dématérialisation à grande échelle. C’en était fini des beuveries, des orgies de schnouf, des filles de joie et des pots-de-vin sous la table (quoique), de la noce et de la grande vie sur le dos des musiciens. Ceci dit, comme je l’ai avancé une fois, la mainmise de l’industrie et de ses « odieux suppôts » dont l’arrogance, la mégalomanie et le délire pouvaient servir le propos et huiler les rouages, n’a donc ni interdit ni empêché l’œuvre d’un Lou Reed, d’un Dylan ou de Miles Davis. Parfois même, elle a favorisé le processus, positivement ou en réaction.
En exagérant un chouïa, on pourrait avancer qu’aujourd’hui, il n’y a plus de réaction, que les artistes sont livrés au seul marketing, à des défaitistes, à des marchands de soupe sans vision, et que la rébellion est passée de mode. La musique s’en ressentirait si elle n’était comme l’eau de Bruce Lee : plus forte que le reste. Et on voit éclore des productions indépendantes qui bousculent tout, nourries du passé qui devient immense, audacieuses et rigolotes, sans le sou mais pleines de créativité et de vision, et qui ne se laissent pas facilement démonter, jusqu’à l’épuisement.
On le voit à Toulouse : la scène musicale est d’une étourdissante richesse (mais elle l’a toujours été, dans les marges).
Les métiers de la musique évoluent en bulles de compétences et les musiciens s’entourent de pros indépendants, au juste prix, qui connaissent le fonctionnement du Web et des clics, des réseaux, des publics, des programmateurs. C’est un monde éclaté, à part les trusts qui continuent à faire tourner leur boutique avec les vedettes de la télé et les pointures d’un autre âge (il en faut) qui ont rassemblé au fil des décennies un public qui tient à elles comme à sa tasse de café le matin, et vendent leurs rondelles quoiqu’il arrive.
Bon, après ce tour rapide et peut-être erroné de la question, venons-en au fait. A Toulouse, deux geeks à la langue bien pendue et aux têtes de vainqueurs ont fondé il y a dix ans tout ronds une agence de développement promotionnel à destination des artistes indés, et ils mènent leur barque tranquillement dans le clapotis, en faisant le bonheur de phénomènes qui n’ont rien de mode.
Le produit de Mathieu Artaud (fondateur) et Julien Oliba (arrivé en 2010) donne Mathpromo.
Quand je faisais partie du milieu en tant que journaliste culturel, il y a un bail, j’avais surtout affaire à des attachées de presse à la voix envoûtante. Leur catalogue avait le même éclat que leur rouge à lèvres. Chez Mathpromo, la conversation est plus virile et technique et on nous dit la vérité, enfin, jusqu’à un certain point. Et puis, leur métier va bien au-delà du simple contact et couvre l’ensemble des besoins de promo, de « la stratégie de communication » d’un groupe ou d’un chanteur, dont personne ne peut se soustraire tout à fait. Dans l’équation, on trouve des médias plus très sûrs et une place accordée à la culture qui va en diminuant. Mathpromo calcule et élabore les plans, trousse les biographies, les communiqués et dossiers de presse. La structure est abonnée aux outils professionnels d’analyse et de suivi des médias en temps réel ; elle tient à jour une liste de journalistes compétents, car il en reste un paquet, malgré tout, puisqu’il y a aussi un ou des publics nombreux et avides, aux aspirations diverses. L’addition n’est pas trop salée.
Mathpromo connaît son algèbre et nous dit avoir défendu depuis 2006 près de 100 artistes, labels et festivals. Mathieu a commencé seul avec Agora Fidelio et les groupes du label de Cabrel, puis il a bossé avec Julien pour les Hurlements d’Léo, Psykup, Che Sudaka, Massilia Sound System, Enterré sous X, Anakronic Electro Orchestra, Mass Hysteria et, dernièrement, le festival Electrosnow d’Andorre ou encore Stupeflip.
La plupart de ces artistes, loin des circuits mainstream, remplissent pourtant les salles de concert et font le buzz sur la Toile (cf. la campagne de crowdfunding du crou Stupeflip).
Enfin, Mathpromo compte parmi les membres de Ma Sphère, le cluster toulousain des musiques actuelles (www.ma-sphere.eu)
Tout ça pour en arriver à l’événement : Mathpromo fête ses 10 ans au Bikini avec un triple concert « festif » des musiciens de son « catalogue » ; le globe-trotter du monde latino-américain El Gato Negro, entouré de Picaros énergiques ; la « bombe carioca » Flavia Coelho, dont la « bossa-muffin » paraît irrésistible, sauf aux fans de Joy Division ; et le collectif Sidi Wacho qui réunit sur la ligne Santiago-Lille-Méditerranée, un rappeur français du nom de Saïdou, deux DJ chiliens, un trompettiste, un accordéoniste et un gars aux percus.
Greg Lamazères
MATHPROMO Fête ses 10 ans au Bikini!
Mercredi 23 novembre 2016 à 19h
www.mathpromo.com