Ce 21 octobre, Piers Faccini sort un 6e album studio I Dreamed An Island sur son label Beating Drum.
Cet événement attendu est annoncé et documenté depuis plusieurs mois par la diffusion d’un blog que le songwriter alimente régulièrement. Il y a présenté la thématique et l’axe de l’album: la cohabitation harmonieuse et l’enrichissement mutuel des langues, des cultures et des spiritualités. Ce qui peut aujourd’hui paraître un doux rêve a cependant existé au 12e siècle, dans un petit royaume Normand de Sicile. Nourrie de ce terreau fertile, l’inspiration des 10 chansons infuse entre utopie intime et mémoire de cette parenthèse historique lumineuse pour ré-imaginer, redessiner aujourd’hui une vision d’espoir.
Beaucoup de choses ont été écrites par Piers Faccini lui-même sur les motivations à choisir cette thématique et à l’illustrer par la référence à la Sicile du 12e siècle. On trouvera dans son blog quantité d’anecdotes, de réflexions et d’illustrations, à la manière d’un journal d’atelier ou d’un carnet de croquis, éclairant de manière inédite la genèse d’un album.
La Maison Jaune accompagnera cet événement par divers posts dans les semaines à venir, en abordant l’album sous des angles critiques complémentaires à l’abondante information présente dans le blog I Dreamed An Island. On pourra ainsi revenir sur l’histoire des chansons de l’album, et chroniquer l’un ou l’autre concert de la tournée, dont le line-up va sans doute varier avec divers musiciens invités, mais comptera souvent Malik Ziad à la mandole, et toujours le fidèle Simone Prattico à la batterie – lequel signe également les arrangements de batterie et de percussion sur le nouvel album.
Parlons musique alors, dès ce premier billet !
A l’image de la thématique multi-culturelle de l’album, les 10 chansons composent un voyage sensuel dans une palette de styles impossibles à isoler, au point qu’il faut à nouveau suggérer l’alchimie pour expliquer la troublante évidence avec laquelle ici un madrigal français du Moyen Age peut sonner comme un maqam arabe, que de la poésie européenne se fond avec naturel dans la rythmique du taqsim turc, que le folk anglais est cousin du malien, que les dialectes du sud de l’Italie résonnent des migrations de toute la Méditerranée, etc..
Au premier chef de cette réussite, on pointe naturellement la qualité et la diversité des artistes musiciens invités. Chacun porteur d’une culture immense et virtuose de son instrument, ils enrichissent le projet d’arrangement original conçu par Piers Faccini et réalisent la couleur originale de l’album, aussi puissante à évoquer l’atmosphère raffinée des cultures ancestrales qu’à soutenir les chansons modernes d’un folk réinventé au 21e siècle.
Là aussi, nombreux posts de présentation de musiciens dans le blog déjà cité, avec une performance vidéo enregistrée pour chacun !
Une dynamique cinématographique
On se réjouit toujours d’un nouvel album de Piers Faccini, de ses chansons qui témoignent du chemin créatif d’un artiste amoureux de son art et totalement infusé de son époque, racines et utopies comprises. Cependant un bel album n’est pas uniquement une collection de chansons réussies. Le choix des arrangements et la contribution des musiciens comptent naturellement beaucoup dans la couleur finale.
Mais encore…
Pour I Dreamed An Island, Piers Faccini a choisi de confronter des traditions musicales et quelques instruments inspirés des siècles passés à une écriture mélodique et des arrangements qui se revendiquent clairement du 21e siècle. A l’image de ses histoires qui racontent nos drames contemporains dans le décor, par exemple, d’un petit royaume de Sicile au 12e siècle, Faccini met en tension des univers a priori différents, et crée par le fait une dynamique excitante à l’écoute de l’album. C’est une option artistique dont les moyens sont plus souvent offerts par le cinéma, qui dispose de plusieurs sources (image, sons, éclairage, narration, montage). Voilà, à mon sens, l’invention majeure de cet album.
Les chansons
Le titre d’ouverture – To be sky – est introduit au djura * par Bijan Chemirani, membre de l’illustre famille Iranienne (un père et tous les enfants musiciens, des percussions au saz et au santour en passant par le chant). Cet instrument à la fois mélodique et rythmique, renforcé par les touches du dulcimer, les cadences claires de la batterie et les glissements de guitare, construit une intensité qui rompt peu avant la 2e minute avec un changement de tonalité et de rythme. Cette construction est reproduite dans le titre Comets (#9) ou encore Bring Down the wall (#3) ; elle ouvre comme une histoire dans l’histoire, et relance la dynamique de la chanson. Ça rappelle quelques expériences inoubliables en live, dans lesquelles Piers Faccini enchaînait, fusionnait avec le même effet deux titres comme Three Times Betrayed (album My Wilderness) et Uncover My Eyes (Tearing Sky). Mémorable !
Avec Drone (#2), plus narratif et dans un arrangement épuré, Piers Faccini met en œuvre une technique particulière pour jouer de la guitare dans les gammes modales des musiques arabe et orientale. Grâce à des mini-frettes insérées sur la touche de sa guitare à résonance, il est capable de jouer des quarts de ton. Le résultat est étonnant et très mélodieux, subtilement harmonisé avec la ligne de viole d’amour de Jasser Haj Youssef et le guembri de Loy Elrich..
Bring down the wall(#3), titre dévoilé en avant-première il y a quelques jours. La rythmique et les couleurs sont à la fête. Simone Prattico à la batterie emmène tout le monde dans sa cascade d’inventions. La basse de Hilaire Penda renforce la cadence. Il fallait cette puissance pour soutenir l’incantation incisive du message : Bring down the wall – Abattez le mur! Brillant.
Cloak of Blue (#4), toujours avec Simone aux drums, Jasser – au violon cette fois, et la contrebasse de Chris Wood.
The Many Were One (#5), encore un titre bien rythmé, qui porte la récitation par Malik Ziad de Ma Sicile, du poète Ibn-Hamdis (11e siècle). On aime cette respiration, le récit de la chanson suspendu, légèrement mis en tension par la scansion particulière de la langue arabe. La ligne de mandole est de Malik également.
Judith (#6), entre danse et épopée, est un bouquet de cordes qui réunit le oud et le psalterion de Bill Cooley, la guitare baroque de Luca Tarantino, et le guembri de Loy Elrich.
Beloved (#7) ouvre brillamment dans la tonalité d’un madrigal, puis se décline dans la gamme, avec tantôt des chœurs, tantôt des voix de tête. Les chutes sur des quarts de tons ne cessent de surprendre. Joli travail d’harmonies vocales par Piers.
Anima (#8) est sans doute une des chansons qui donne le plus dans la palette de l’Italie du sud. La musicalité du dialecte en elle-même soutient l’évidence, tant il est vrai que certaine poésie est déjà musique. La danse est ici présente, irrésistible, soutenue par Luca Tarantino à la guitare baroque et au théorbe**.
Dans Comets (#9) , on aime l’apaisement, le recueillement qui prépare à l’incantation, le vœu qui va être formulé dans l’ultime chanson. C’est le break (vers 3’15’’) qui donne envie de se lâcher dans l’air, porté, élevé, puis de redescendre sur le 3e temps de la chanson écho de tous les fragments de l’album, comme une vision artistique unifiée. Cette jubilation à l’approche du final n’est pas sans rappeler celle éprouvée une fois parvenu dans les derniers chapitres de grands romans comme Cent ans de solitude, Le Quatuor d’Alexandrie, ou encore Au-dessous du Volcan. Là aussi, l’atmosphère réchauffe grâce aux nappes de cordes (Piers aux guitares – dont une 12 cordes, Jasser à la viole d’amour, Bill Cooley au psalterion et au santour) et la signature du grand Pat Donaldson à la basse. Pat Donaldson est un vétéran du folk anglais des années ’70 (Sandy Denny, Fotheringay). Il avait déjà collaboré avec Faccini sur la réalisation par ce dernier de l’album de Jenny Lysander Northern Folk – un bijou, une … comète!
Vient enfin Oiseau (#10). Ouverture solennelle par Bill Cooley au psalterion. Puis un chant seul, une voix nue, humble, implorante mais digne. Cette chanson, écrite le lendemain des attentats de Paris (2013), alors que Piers Faccini était en concert en Tunisie, décrit un homme pris dans les affres d’un cauchemar qui le projette dans la violence terroriste. Des tréfonds de son rêve, il appelle l’oiseau à sa fenêtre et l’implore de le réveiller par son chant, son seul espoir. Jasser Haj Youssef joue un break de folie à la viole d’Amour (1’25’’), et on bascule sur cette chanson écrite en point d’orgue, comme on termine une lettre en s’en remettant au cœur de la bien-aimée.
I Dreamed An Island – le blog
L’album sera bientôt disponible dans un special bundle en édition limitée sur la boutique web du label Beating Drum (préférez le circuit court!)
Sinon, pré-vente mp3 ouverte sur I-tunes
* djura: version turque du luth (saz)
** théorbe: grand luth inventé en Italie au 16e siècle pour jouer la basse continue et aussi des solos
Musiciens crédités sur l’album :
Simone Prattico : drums, frame drum, shaker, percussion, acoustic guitar
Jasser Haj Youssef : viola d’amore, violin
Malik Ziad: Malik Ziad : voice, mandole, backing vocals
Bijan Chemirani : djura, daf
Giulio Bianco : zampogna
Chris Wood : double bass
Loy Ehrlich : guembri, awicha
Hilaire Penda : bass
Bill Cooley : oud, psaltery, santur
Luca Tarantino : baroque guitar, theorbo
Pat Donaldson : Bass
et
Piers Faccini : voice, backing vocals, acoustic and electric guitars, bowed guitar, 12 string, harmonium, harmonica, dulcimer.
Pierre David
Un article du blog La Maison Jaune