Joel Prieto revient à Toulouse pour la troisième fois de sa jeune carrière. Classictoulouse l’a rencontré au sujet du rôle de Bénédict dans lequel il triomphe au Théâtre du Capitole depuis le 30 septembre. Mais, de fil en aiguille, la conversation est allée un peu plus loin…
C’est la première fois que vous chantez Bénédict. Quelles sont les difficultés de ce rôle ?
Pour moi qui suis hispanophone, la langue française représente une difficulté. C’est d’ailleurs un problème récurrent chaque fois que je ne chante pas dans ma langue maternelle. Devant un public français surtout je dois rendre justice à cet idiome et au style de cet ouvrage. Dès le début de ma préparation pour aborder ce rôle, le problème de la langue s’est imposé à moi. Qui plus est, dans cet ouvrage, qui est un opéra-comique, il y a beaucoup de dialogues, donc il est impératif de comprendre ce que l’on raconte. Bénédict est mon premier rôle important en français. Cela fait un an et demi que je m’y prépare. Ensuite il y a des difficultés vocales car ce rôle, qui paraît léger, est en fait aussi, par moment, très lourd. Il est très orchestré sur le passage de la voix et finalement très aigu dans sa tessiture moyenne. Cela dit, je me régale de le chanter car en plus il m’apprend beaucoup sur mon endurance autant vocale que scénique, et dans cette production je bouge beaucoup !
L’année prochaine vous abordez le rôle de Belmonte de L’Enlèvement au sérail. Qu’attendez-vous de ce personnage, tant d’un point de vue vocal que dramatique ?
C’est un rôle long, qui comprend trois airs importants et beaucoup de dialogues ainsi que des duos et bien sûr des ensembles. C’est un rôle très allemand mais j’ai déjà chanté dans cette langue des emplois tels que Tamino dans La Flûte enchantée de Mozart, plusieurs fois, mais aussi Le Pilote dans Le Vaisseau fantôme de Richard Wagner et Narraboth dans la Salomé de Richard Strauss. C’est une partition qui demande beaucoup de lyrisme mais aussi des vocalises. Je suis vraiment très heureux de l’aborder. S’il est plus difficile que Tamino, par contre il est plus aisé à chanter que Ferrando du Cosi fan tutte car ce dernier rôle réclame quasiment deux voix, une pour chacun des deux airs. J’ai commencé à l’étudier et tout se passe bien. J’en suis très heureux car Mozart est un compositeur essentiel dans ma carrière. D’un point de vue dramatique, tout dépend bien sûr de la mise en scène, mais personnellement je suis en train d’évaluer Belmonte dans son évolution psychologique.
Souhaiteriez-vous être sollicité pour les Mozart seria tels qu’Idomeneo ou La Clémence de Titus ?
A ce jour je n’ai jamais chanté de Mozart seria, mais cela m’intéresserait beaucoup de chanter Idamante dans Idomeneo par exemple. Pourquoi pas Idomeneo et Titus, mais ce sera pour plus tard car la voix doit être plus large et je dois mûrir personnellement avant d’aborder de pareils rôles.
Lorsque vous êtes sur scène, que cherchez-vous avant tout ?
La vérité, la sincérité, l’honnêteté. Tant que je n’ai pas compris pourquoi tel personnage agit et réagit de telle et telle manière, je dois chercher à comprendre. Dans ma vie je suis quelqu’un de très ouvert et sur scène j’aime à ne pas devenir un acteur qui surjoue un rôle mais plutôt qui le vit. L’opéra est ma vie car il sublime la musique avec l’intention théâtrale.
La production de Cosi fan tutte d’Aix en Provence cette année, signée Christophe Honoré, a été quelque peu discutée. Elle fait partie de ces mises en scène qui revisitent les œuvres. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?
C’est très délicat de respecter le point de vue du metteur en scène, son propre point de vue et celui du compositeur. Et il est clair que je dois souvent faire abstraction de ma vision d’un personnage. Je respecte beaucoup la vision de Christophe Honoré et je comprends ce qu’il a voulu faire dans ce Cosi fan tutte. Mais comme interprète ce fut pour moi très difficile. J’avais à prendre une décision, soit je restais soit je quittais la production, mais si je restais je devais « être » Ferrando à 100%. Finalement cette manière de me mettre en danger dans une vision qui me mettait mal à l’aise, et de plus je savais que le public serait divisé, a été une bonne expérience. La notion de pouvoir est une « création » entre l’artiste et le metteur en scène ou le chef d’orchestre. J’ai toujours mon opinion à faire valoir et je peux dire que je ne veux pas faire telle ou telle chose
J’imagine que vous travaillez votre voix tous les jours. Le faites-vous seul ou avec un coach ? Sur quoi porte ce travail aujourd’hui ?
Je ne la travaille pas tous les jours, mais très souvent bien sûr. Je la travaille seul habituellement mais trois ou quatre fois par an je vais à New York rencontrer mon coach vocal. Cela dit il m’arrive de l’interroger par téléphone, par e-mail ou via Skype lorsque j’ai des doutes sur tel ou tel passage d’un opéra. En plus il faut que je travaille sur mon corps car mon tempérament est d’être mince, alors, si je ne mange pas très équilibré pour garder du poids, bientôt je n’aurais plus la force de chanter.
Comment vous décidez-vous à aborder un nouveau rôle ?
Première des choses, j’ouvre la partition. Ensuite je me renseigne pour voir les chanteurs qui ont interprété ce rôle, à quel âge ils le chantaient. Ensuite j’essaie de chanter les passages les plus difficiles et les plus dramatiques. Et après je prends ma décision.
Est-ce qu’il vous arrive d’écouter d’autres ténors dans tel ou tel rôle en l’étudiant, si c’est le cas, pour Bénédict, qui avez-vous écouté ?
J’ai trouvé très intéressant ce qu’en fait Placido Domingo car jamais je n’aurais imaginé qu’il chante ce rôle. J’ai écouté bien sûr l’air de Bénédict enregistré par Roberto Alagna, Nicolaï Gedda et Kenneth Tarver.
Il arrive souvent que des ténors, particulièrement espagnols, vouent un véritable culte à Alfredo Kraus. Est-ce votre cas ? Si oui, pourquoi ?
Très sincèrement je ne voue pas un véritable culte à Alfredo Kraus, mais plutôt et avant tout un énorme respect par rapport à ses choix en termes de répertoire ainsi qu’à sa fidélité à une technique vocale, la sienne, dont il ne s’est jamais détourné. Je ne suis pas sa technique car, tout d’abord, la physiologie de chacun est différente et de plus chacun peut avoir son opinion sur les résonances que l’on veut donner à sa voix. J’aime l’écouter dans ses premiers enregistrements car j’adhère parfaitement à ses choix de rôles. Il les chante avec une technique incroyable. Aujourd’hui des emplois tels que Faust, Roméo ou Werther sont chantés par des voix très imposantes qui répondent aux besoins acoustiques de salles gigantesques. La véritable dimension lyrique de ces personnages a littéralement disparu. Pour parler d’émission, je préfère celle plus libre, plus profonde, plus émouvante d’un Wunderlich ou d’un Björling.
Dans votre tessiture, quel est votre chanteur de référence, toute période confondue ?
Certainement Fritz Wunderlich, avec lui nous avons le son parfait. La première fois que j’ai entendu sa voix, j’ai eu un vrai choc. Il reste une référence, du moins pour moi. Sans perdre sa technique de vue, il avait un sens de la coloration fabuleux tout en s’appuyant sur les mots. Je vais beaucoup l’écouter pour étudier Belmonte. Et alors que mon timbre est celui d’un Latin et non d’un Allemand, à force d’écouter Wunderlich, je parviens à introduire des sonorités allemandes dans ma voix.
Lorsque vous ne chantez pas, à quoi pensez-vous le plus souvent ?
La méditation, le chemin spirituel que je peux parcourir en tant qu’humain. Je ne veux pas parler ici de bouddhisme, mais plutôt de recherche de mon moi intérieur. A l’image de mon père je suis intéressé par quelque chose qui serait un peu du ressort de la métaphysique. C’est mon autre passion après le chant. Ce chemin spirituel permet de calmer la pensée.
Madrilène de naissance, vous ne vivez pas en Espagne. Où vous retrouvez-vous entre deux contrats ?
Je viens de quitter Berlin pour vivre à Paris et lorsque j’ai un peu de temps de libre, je me retrouve en Auvergne où je viens d’acheter une maison à la campagne, pas très loin de Clermont Ferrand. Je voyage beaucoup et là je me retrouve au silence et dans la nature et vraiment j’en ai besoin pour me recharger en énergie afin de l’exploiter sur scène.
Professionnellement qu’est-ce qui aujourd’hui vous fait le plus plaisir ?
Continuer à être un éternel étudiant, apprendre des autres artistes, des autres metteurs en scène, des autres chefs d’orchestre. Apprendre, toujours apprendre des choses différentes et nouvelles afin d’enrichir mes interprétations vocales et dramatiques. Cela va vous paraître étrange, mais j’adore les répétitions.
Et si ce n’est pas trop indiscret, personnellement ?
Etre avec les personnes que j’aime le plus souvent possible. Je suis toujours entre deux avions et il m’appartient d’entretenir, de cultiver ces amitiés sincères pour lesquelles je ne suis plus un chanteur. J’en ai fondamentalement besoin. Se développer, grandir tous ensembles est plus important que tout ce que je fais en musique. Et bien sûr il faut que je sois en paix avec moi-même car dans le métier qui est le mien, je suis en permanence sous les feux de la critique et du jugement. Je dois pratiquer ce que je nomme le pardon personnel, se pardonner certaines choses, être bien dans sa peau. C’est un dialogue avec moi-même. Les conflits, la haine viennent lorsque l’on ne s’accepte pas tel que l’on est.
Robert Pénavayre
Une chronique de ClassicToulouse
Béatrice et Bénédict de Berlioz
Au Théâtre du Capitole jusqu’au 11 octobre