Ce que nous perdons en abandonnant le disque, c’est de pouvoir jouer au frisbee avec (ou de le lancer en travers du cou de nos ennemis), quand la musique qui y est gravée est sans saveur ou ne sert à rien. Il y a des jardiniers qui suspendent des CD dans les branches de leurs arbres fruitiers pour éloigner les oiseaux affamés, allez faire ça avec un fichier zip, on ne peut même pas se coincer le doigt dedans. Hier, comme au bon vieux temps, j’ai fait un tour dans un magasin qui autrefois était une caverne d’Ali Baba, pour m’alimenter : l’esprit a tout autant besoin de nourriture que l’estomac, et c’est une faim que nous aurons encore dans les derniers instants, ou presque, regrettant de n’avoir pas eu le temps, avant le grand saut final, de rassembler en nous les éblouissements que procure la discographie complète de David Sylvian. Ce vieux réflexe n’a plus de sens, autant aller à Carrefour. Il y avait des disques de Céline Dion partout et seulement deux pièces du dernier The Kills, aucune de Black Mountain.
« WTF »
J’examine à présent le programme des mois à venir au Bikini et je ne trouve nulle part le nom de Anderson .Paak, ce qui me chagrine vu qu’il est génial, à la fois comme Marvin Gaye et LL Cool J, batteur et chanteur plein de joie, ni Kendrick Lamar dont deux albums parus à quelques mois d’intervalle surprennent par leur audace musicale et réjouissent l’amateur de sensations fortes. Je vois bien dans la liste Kery James, le rappeur français renoi qui pousse ses paroles politiques au-dessus du premier degré, si c’est possible, et nous effraie avec sa carrure de boxeur poids-lourd (Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, les types de 80 kilos les écoutent, écrivait Audiard) mais pas avec les pauvres musiques qui soutiennent le poids de sa prose radicale. L’événement, aussi une curiosité, c’est plutôt la venue du bambin MHD qui dégoise sur de la musique ou des rythmes africains (Afro Trap) et dont le fait d’armes est un score de presque 40 millions de vues sur YouTube.
Kerry James (5 octobre)
MHD (16 octobre)
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Un album qui a sauvé notre été, avec celui de .Paak, et qui s’appelle Traveller, porte la signature d’un ours mal léché du country-rock, d’un dangereux brigand de Nashville dont les larmes sont terribles, Chris Stapleton. Mais lui non plus ne viendra pas à Toulouse, il n’y aurait que dix pelés dans la salle.
« Glace à la cendre, pèche melba »
Ah, The Kills, quand même, on pense à nous autres, indécrottables rockers qui veulent du riff sale à double bobinage et remonteur de bretelles, fendu d’une voix triste mais fière qui vous hantera des nuits durant… Le dernier album des Kills, c’est le genre de disque qu’on a envie d’avoir en vrai sur une étagère. Il porte un titre adéquat qui évoque un goût dans la bouche, mort et réveil, grimace et moue, douleur et baume, un violent clair-obscur, des contrastes de matière, de couleur et de température, Ash & Ice, Cendre et glace…
The Kills (7 novembre)
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Peaches, chanteuse canadienne élevée à l’école hébraïque, devenue libertaire et qui fut Dj à Berlin, approche les 50 ans mais ne met toujours pas d’eau dans son vin. Elle apparaît dans ses vidéos dans des accoutrements divers et drôles, barbes et colliers de seins, entourée de de belles grosses femmes à poil, de filles de Lesbos enragées (passez-moi du sopalin ou des menottes) et un phacochère en rut, un contenu dont on nous avertit sur le web qu’il est adulte (sinon indécent : NSFW – Not Safe/Suitable For Work), et je préfère ne pas avoir à la croiser avec ses copines dans une soirée arrosée au milieu du désert ; j’aurais trop peur de tomber dans leurs griffes et leurs chairs, objet d’expériences sans doute stimulantes mais trop exotiques, avec un laser anal, de folles léchouilles et des transes sauvages. La musique est rock-électro, ou punk-madonnesque, rien de dingo mais avec assez de poison pour nous mettre en vrac. On en reparlera.
Peaches (30 novembre)
« Du pays des Beatles »
A une époque surgissaient chaque semaine en couverture du New Musical Express la dernière sensation éblouissante du lundi et le plus grand groupe de rock’n’roll du monde du mercredi. La plupart ont disparu, c’est le jeu, mais il semble que ces fièvres de l’industrie musicale, doublées en Angleterre d’une passion véritable pour la pop, perdurent malgré l’éclatement des mélomanes en mille chapelles cloisonnées.
Si Bugg fait le buzz, c’est parce qu’il représente une certaine jeunesse anglaise racée et à la voix dissonante qui a toujours produit des chansons acérées, mélodieuses et bruyantes. Malheureusement, mais il n’a que 22 ans, il s’est laissé aller à des mochetés à la mode, des couplets de r’n’b et des refrains à la Coldplay qui déçoivent un peu. Les fillettes vont laper ça comme du lait.
Jake Bugg (9 novembre)
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Le retour de Neil Hannon et sa Divine Comedy ! Tout à fait le genre de musique qui accompagnerait très bien un voyage en autobus (ils sont gris RDA désormais, à Toulouse) d’un bout à l’autre de la ville, assis à côté d’un vieillard à l’odeur douceâtre. Quand vous descendez, la délicatesse des harmonies et des arrangements, la profondeur du chant et la légèreté de l’humour volent en éclats : il fait 35 degrés et non 20 comme à Hyde Park ou Bristol, vous avez le noeud papillon trop serré et fond sur vous comme un blob l’horrible son de l’autotune pulsant depuis une enceinte nomade qui se balance au bout du bras d’une bougresse en survêtement.
The Divine Comedy (6 novembre)
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« Oldies but goldies »
Les années 90 sont loin derrière nous et font donc l’objet d’un nouveau retour nostalgique. Les gens de 20 ans, une fois qu’ils sont quinquas, tremblent de nostalgie en songeant à leur jeunesse et à sa musique, c’est un cycle sans fin.
Le son de ces années-là a souvent quelque chose d’acide et c’était du lourd : le grunge et les Smashing Pumpkins, le rock fusion et Alanis Morissette, Oasis, Pulp et Blur, Radiohead, REM, Red Hot CP, Rage Against The Machine et les grands albums de rap américain. Et les Londoniens de Skunk Anansie, qui ont connu le succès avec l’album Stoosh en 1996 sur le label Virgin. Le groupe avait un atout sérieux en la personne de cette chanteuse chauve à la voix perçante dénommée Skin : « Yes, it’s fuckin’ political, everything’s political. » Skunk Anansie existe toujours, a survécu à une parenthèse et enregistré l’an dernier Anarchytecture ; il n’a pas l’air ramolli du tout.
Skunk Anansie (14 février)
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Comme en ce début de saison, je n’ai nullement l’intention de me mettre qui que ce soit à dos, je me contente de citer presque sans commentaire les noms de Louise Attaque (complet), Ludwig Von 88 (Drôles de vieux keupons français reformés au dernier festival Hellfest), Nada Surf (hyperglycémie mélodique), Pete Doherty (tempes rasées, de retour de concert avec ses légendaires Libertines), Mickey 3D (maintenant écolos eux aussi, fichtre, qui chantent un truc sinistre sur le massacre des feuilles qui fera naître des enfants avec une seule oreille), La Femme (Comptines absurdes, font un carton, c’en est désolant), Biolay (la classe), Keren Ann (la superbe), Jeanne Added (hypnotique). Ils apparaissent tous dans la programmation annoncée de cet endroit qui, comme dans un roman de Houellebecq, pourrait un jour s’appeler Burkini.
Greg Lamazères
Le Bikini
Rue Théodore Monod
Parc Technologique du Canal
31520 Ramonville Saint Agne