Pour ce premier lundi du mois, au lieu de vous parler des revues de la bibliothèque de la Cinémathèque de Toulouse, je donne la parole à trois rédacteurs en chef : Youri Deschamps pour « Eclipses », Thomas Aïdan pour « La Septième Obsession », Nicolas Thévenin pour « Répliques ». Les trois revues sont à la bibliothèque de la Cinémathèque.
Bonne lecture !
Pouvez-vous vous présenter ?
Youri Deschamps : J’ai 44 ans, je vis à Caen en Normandie. J’ai fait des études de Lettres Modernes et d’Arts du Spectacle. Après l’obtention du CAPES, j’ai enseigné le français pendant plusieurs années, en collèges et en lycées, puis l’histoire du cinéma et l’analyse filmique en tant qu’ATER et chargé de cours à l’université, pendant 10 ans. Je suis désormais conférencier, principalement sur le cinéma du patrimoine, pour plusieurs structures, formateur pour adultes et rédacteur de livrets d’analyse filmique pour les différents dispositifs nationaux d’éducation à l’image, notamment « Lycéens au cinéma ».
Je crois que je suis devenu cinéphile en CE1, vers 7 ans donc. J’allais au cinéma tous les dimanches avec ma mère, et je découpais les résumés des films du Cinéma de Minuit de Patrick Brion dans Télé Poche, que je collais ensuite religieusement dans un précieux cahier, en rêvant de pouvoir voir un jour ce Frankenstein de James Whale ou cet étrange Vertigo (d’Alfred Hitchcock), programmés bien après le couvre-feu familial.
Deux ans plus tard, c’est le drame : alors qu’en classe, nous lisions Tartarin de Tarascon d’Alphonse Daudet, FR3 diffuse Tartarin de Tarascon de Raymond Bernard (1934) avec Raimu, un dimanche soir donc, et fort tard il va sans dire. Mais l’envie est alors tellement grande de voir les personnages sur l’écran, que je décide de faire le mur (enfin de descendre l’escalier à pas de loup). Dès le générique, je me fais surprendre et suis puni pendant deux semaines. Voilà donc pour la scène primitive et mes premiers pas dans la délinquance cinéphile ! Je n’ai jamais vu la version filmée de Tartarin, du coup ! Il y a quelques années, j’ai trouvé le DVD dans un bac à soldes, mais je n’ai toujours pas osé regarder le film… On me dit autour de moi que j’ai bien fait, finalement…
Thomas Aïdan : J’ai 21 ans. J’ai eu mon bac en 2012, je suis entré à la Sorbonne en philosophie, avant d’en partir au bout de dix jours. Quelques mois plus tard, j’ai eu l’idée de lancer La Septième Obsession. Ma cinéphile a débuté vers l’âge de 8 ans avec la vision exaltée et exaltante de La Nuit du Chasseur de Charles Laughton. Terrifiante expérience, traumatisme qui a scellé quelque chose en moi. Il y a tout dans le film, c’est ma première obsession : le retour à la mère, le danger qui gronde, la peur de se sentir englouti, le courage, la bonté : c’est d’un humanisme sans précédent.
Nicolas Thévenin : Soyons protocolaires : je m’appelle Nicolas Thévenin, j’ai 36 ans, et j’ai suivi des études de sociologie, qui ne me prédisposaient pas véritablement à créer une revue de cinéma. Néanmoins, ma formation en sociologie a nourri un intérêt pour le recueil de la parole comme expression première de la pensée et de l’expérience qui, combiné à ma cinéphilie, peut être envisagé comme une origine lointaine de la ligne éditoriale de Répliques. Je ne me considère ni comme journaliste ni comme critique, et je tiens à une position extérieure à ces deux catégories.
J’ai commencé à m’intéresser au cinéma par l’intermédiaire de mon père, qui m’a montré les films de Sergio Leone, de Henri Verneuil, de William Friedkin. Lorsque mon intérêt pour le cinéma s’est affirmé, l’air du temps était à la diffusion du cinéma asiatique en France. C’est donc dans ce mouvement que ma cinéphilie s’est constituée, notamment avec la découvertes des films de Tsui Hark et de John Woo d’une part, de Takeshi Kitano et Akira Kurosawa d’autre part. Ces films ont d’autre part accentué mon attrait pour l’Asie, qui s’est concrétisé les années suivantes par plusieurs séjours au Japon et en Corée.
D’où est venue l’envie de lancer une nouvelle revue ?
Youri Deschamps : Le premier numéro d’Éclipses est sorti en février 1994, avec un photogramme d’Un Chien Andalou de Buñuel en couverture. C’est clairement dans le sillage du lancement de Trafic, au début des années 90, que l’idée est née. Avec Trafic, Serge Daney a en effet démontré que l’on pouvait faire une revue de cinéma qui ne soit pas directement liée à l’actualité ni tributaire des sorties en salles. C’est surtout cela qui nous a intéressés, et nous n’étions pas les seuls, puisqu’un nombre important de nouvelles publications a vu le jour dans les années qui ont suivi. Face à l’ampleur et à l’importance du phénomène, nous avions même organisé un colloque sur ce sujet au Café des Images en 1996, qui a ressemblé les équipes d’une quarantaine de nouveaux périodiques comme Tausend Augen, Cinergon, Travelling Avant, Sueurs Froides, Episodic, 101, Nuits Blanches, Le Cinématographe dans le boudoir, Ciné qua non... Tous ont malheureusement cessé de paraître au bout de quelques années, voire de quelques numéros, ou bien se sont transformés en blog ou site web.
Thomas Aïdan : On dit souvent pour justifier le lancement d’une revue que l’on a du mal à se retrouver dans l’offre de presse existante. Mais je ne pense pas que ce soit complètement vrai in fine. C’est notre amour de la presse, des revues, des chemins de fer, des documents imprimés, du papier, qui nous poussent à nous investir dans une telle aventure – je dis bien aventure tant il est compliqué, et éprouvant au quotidien de développer un tel projet. Nous nous efforçons d’imaginer un postulat de départ, mais en réalité, à ce moment précis, la concurrence n’existe plus dans notre esprit tant l’envie gronde au fond de nous ! Pour ma part, j’ai créé La Septième Obsession, d’abord parce que j’avais envie au plus profond de moi-même d’évoquer le cinéma au travers d’une revue. Il n’y avait aucun calcul, juste un besoin : une obsession.
Nicolas Thévenin : L’idée de croiser entretiens de longue haleine et cinéphilie me trottait dans la tête depuis l’université et a pris corps avec le temps, soit une quinzaine d’années. C’était, je pense, la latence nécessaire pour penser un projet singulier, et surtout pour me permettre d’acquérir une maturité, notamment au sein de structures nantaises (la radio Jet FM, le Cinématographe, le Festival des 3 Continents) et dans l’enseignement. Cela correspondait aussi au temps que nécessitait la constitution d’un réseau, par l’intermédiaire de voyages, de rencontres et de partages d’idées.
J’étais donc désireux de creuser la forme de l’entretien, mais d’une manière différente de l’exercice promotionnelle, qui en est la manifestation la plus courante dans la presse. Il a donc été impératif de construire une méthode particulière d’accès aux cinéastes, qui a été rendue possible par cette longue période de gestation.
Les écrits de Youri Deschamps
Combien de temps s’est-il écoulé entre l’envie et le lancement de la revue ?
Youri Deschamps : Très peu de temps en fait, à peu près 5 mois je crois, le temps de réunir la somme d’argent nécessaire pour financer les deux premiers numéros. Comme nous étions alors encore étudiants, nous avions sollicité le service du CROUS, qui avait répondu très favorablement. En 95, on a remporté le prix du magazine L’Étudiant, et ensuite nous avons déposé des demandes d’aides auprès des organismes régionaux et nationaux. En 98, la revue s’est affranchie du financement universitaire et fonctionnait de manière autonome.
Thomas Aïdan : Trois ans environ. La revue est née sur Internet, avec la création de quatorze « numéros zéro » téléchargeables, en février 2013. Le numéro un « print » a été mis en vente le 10 octobre 2015.
Un mot sur l’importance que la revue soit sur papier au lancement, ou maintenue sur papier ?
Youri Deschamps : Pour ce qui nous concerne, nous n’avions pas d’autre choix que le format papier. Faire une revue coûte assez cher, et l’on sait bien que depuis quelques années, le papier se vend de moins en moins bien… Nous sommes donc constamment à la recherche des solutions de fabrication les moins onéreuses qui soient. Depuis le début, notre lectorat reste très attaché à la version imprimée ; nous avons cependant mis en place sur notre site internet une formule d’achat en PDF, par volumes entiers ou par articles au détail, mais les ventes au format dématérialisé demeurent pour le moment assez marginales.
Thomas Aïdan : Le papier est avant tout un support de création, une phase d’incarnation d’une idée. Il n’y a rien de plus beau que de feuilleter une revue, de se laisser emporter par le flot d’images et de textes. C’est un plaisir irremplaçable. Certes, éditer une revue papier comporte ses risques, mais j’ai l’impression qu’il y a une excitation sans précédent à imprimer le travail d’une équipe forcenée. C’est un accouchement puissant, et la revue se retrouve ensuite dans le monde « physique ». Le virtuel, c’est bien, mais « ça flotte » pour le dire schématiquement, ça ne s’incarne jamais complètement. Dans une époque de flou général, je trouve que l’imprimé est d’utilité publique, il permet la clarté, la rigueur et la réflexion – ce n’est pas rien.
Nicolas Thévenin : Il n’a jamais été question que Répliques existe autrement que sur papier. D’abord parce que l’essor des mooks nous laissait penser qu’un format de ce type était viable économiquement, ensuite et surtout parce qu’il me semble qu’on ne lit pas un entretien de 80 000 signes sur un écran d’ordinateur. En tout cas, j’en suis personnellement incapable. J’aime également l’idée qu’un objet existe pour l’éternité, avec ses forces mais aussi ses faiblesses et coquilles, et ne puisse pas être retouché. Notre logique est proche de celle du livre. Et j’aime avoir une approche sérielle : Répliques est une revue qui décline sur chaque numéro une forme immuable mais, paradoxalement, chaque fois renouvelée.
Le choix de la fréquence de parution ? du format ? du titre ?
Youri Deschamps : Les premières années, Éclipses paraissait tous les trimestres. Chaque numéro comportait un dossier thématique et une partie consacrée à une sélection de films plus récents, que l’on examinait en détails. Nous avons finalement opté pour une formule entièrement monographique en 2000 : depuis cette date, chaque numéro d’Éclipses est intégralement consacré à un cinéaste en particulier. Le format « revue-livre » (16x23cm) s’est donc peu à peu imposé.
Pour ce qui est du titre de la revue, il fait référence au procédé-même de la projection cinématographique, qui est une succession d’éclipses sur l’écran.
Thomas Aïdan : La Septième Obsession est bimestrielle, soit six numéros par an. C’est un rythme soutenu, qui laisse toutefois du temps pour travailler la maquette, l’iconographie et les textes. Mais en termes de bouclage, on approche de la vitesse de croisière d’un mensuel. Nous voulions un format assez imposant, pas trop grand non plus. Un format qui laisse de la place aux images, qui se transporte partout avec facilité.
Nicolas Thévenin : La fréquence de parution connaît une relative élasticité, mais deux numéros sont néanmoins publiés chaque année. C’est une fréquence qui me semble correspondre au rythme des lecteurs, à notre modèle économique, et surtout à l’énergie qu’il nous est nécessaire de déployer pour construire chaque numéro. Le format répond aux mêmes logiques à la fois budgétaires et éditoriales, et s’intègre à la conception sérielle de la revue, qui existe par des objets que l’on conserve et ordonne dans une bibliothèque.
Le nom de la revue, Répliques, a été rapide à trouver, à la fois dans la référence directe au cinéma et au théâtre, dans la parole dont ce titre est la connotation directe, et enfin dans une vague métaphore sismique selon laquelle les répliques d’un tremblement de terre apparaissent avec certitude mais sans que personne ne sache précisément quand.
Le ou les choix du contenu ? de faire des « hors-séries » ?
Youri Deschamps : Tant que faire se peut, nous tentons de combler les carences de l’édition spécialisée. Nous avons par exemple publié le premier ouvrage en langue française sur Jim Jarmusch, Michael Cimino, Sidney Lumet, Jerzy Skolimowski, James Gray… On essaye aussi d’actualiser ou de rénover les discours sur des cinéastes plus étudiés.
Thomas Aïdan : Les contenus se décident naturellement, soit par le biais de l’actualité, ou par un besoin rédactionnel, comme le dossier consacré aux stars sur ce n°5 (juillet août 2016). Pourquoi pas faire des hors-séries. C’est à méditer.
Nicolas Thévenin : Chaque numéro de Répliques se construit selon nos propres désirs de rencontres et notre curiosités à l’égard de cinéastes, techniciens, critiques ou diffuseurs qui nous intéressent. Il s’agit, dès lors, de penser chaque numéro également selon une cohérence et des renvois internes. Plus le temps passe, plus la revue s’installe, plus son équipe est sollicitée pour faire la médiation entre la parole des créateurs et les spectateurs. De fait, lorsque ce travail d’intermédiaires de la pensée nous semble pouvoir être prolongé par des sessions d’entretiens dans un cadre moins solennel, nous approfondissons la discussion. C’est ce qui s’est par exemple produit dans le dernier numéro avec Noémie Lvovsky et Vigil Vernier.
Le premier numéro hors-série que nous avons publié, entièrement consacré à Michel Gondry, a un statut particulier. Il nous était en effet possible, pendant la période qui a marqué la sortie en salles de Conversation animée avec Noam Chomsky, de bénéficier de longues plages de discussion avec le cinéaste. D’autre part, Michel Gondry est un cinéaste dont les créations très diverses atteignent le grand public autant qu’un public s’intéressant de près au cinéma ; c’était donc pour nous l’occasion d’affirmer la prétention de l’accessibilité à un lectorat mixte. D’autres numéros hors-série suivront, mais par superstition, je préfère ne pas m’étendre sur le sujet dans l’immédiat.
Le choix des collaborateurs ? Actuellement, les chroniqueurs de cinéma ne sont plus obligatoirement attitrés à un journal, par exemple Youri et Nicolas, vous collaborez avec Roland. Est-ce selon vous un avantage ou un inconvénient ?
Youri Deschamps : En plus de nos 122 rédacteurs répertoriés, nous recevons beaucoup de candidatures spontanées. Les choix se font en fonction de la qualité des textes et de l’intérêt qu’ils présentent – ce sont-là nos deux seuls vrais critères de sélection. Donc, à condition de savoir bien écrire et d’avoir des choses intéressantes à dire, tout le monde peut publier dans Éclipses.
Il est bien rare qu’un rédacteur spécialisé n’écrive que dans une seule revue. En fonction des sujets et des centres d’intérêts, les plumes naviguent naturellement d’un titre à l’autre. La collaboration à une revue n’implique aucune clause d’exclusivité, bien au contraire ! Les spécialistes sont rarement des journalistes salariés d’un journal.
Thomas Aïdan : Les collaborateurs intègrent la revue de manière très organique. Sur le numéro 5, de nombreuses personnes ont intégré le comité de rédaction. Nous avons deux correspondants à l’étranger (Damien Bonelli, à New York et Jérôme d’Estais, à Berlin). Pour intégrer la revue, il faut être rigoureux, passionné, impliqué. Ce qui est beau dans une revue, c’est qu’il s’agit avant tout d’une aventure humaine, où l’on rencontre des gens passionnants et érudits. Chaque rédacteur se confronte à un autre, c’est très démocratique. J’ai à cœur que La Septième Obsession soit avant tout l’Obsession de tout un collectif de singularités venues d’horizons différents qui convergent vers un même centre : l’amour du cinéma. En tant que chef d’équipe, je me dois de les aimer, de les guider, de les amener au meilleur d’eux mêmes. C’est peut-être très lyrique… mais on imagine mal à quel point il est important pour une équipe – surtout dans ce genre de projet aussi prenant – de se sentir aimé, regardé, estimé, considéré. Les rédacteurs sont là pour défendre une idée, une vision, et porter une revue. Sans eux, tout tombe.
Pour la seconde partie de ta question, je répondrai oui ! Et non… j’ai publié récemment un article de Ariel Schweitzer – remarquable – sur les hallucinations que nous pouvons avoir au cinéma en tant que spectateur (cf. N°3). Ariel est membre du comité de rédaction des Cahiers du cinéma depuis très longtemps… C’est difficile, on sent qu’il y a encore des chapelles… Après, il peut y avoir des globe-trotters ! Je pense que Roland en est un, à 100%. Il n’est pas affilié à une revue, c’est un voyageur. Il y a deux types de rédacteurs en fin de compte, ceux qui fondent la ligne éditoriale, et ceux qui la complètent, par petits bouts, de temps en temps…
Nicolas Thévenin : Dans le prolongement de l’émission de radio que nous animions chaque semaine, Répliques s’est dans un premier temps constitué autour de Morgan Pokée, Tifenn Jamin et moi-même. Ces deux instigateurs ayant cessé leur collaboration, je mène désormais la revue en compagnie de Charles Tatum et Erwan Floch’lay. La revue est néanmoins ouverte, ce qui signifie que je suis à l’écoute de propositions, ce qui a conduit l’équipe à s’entourer de collaborateurs réguliers, notamment Roland Carrée, qui explore le cinéma marocain depuis qu’il s’est installé à Casablanca, mais aussi Noémie Luciani, Terutarô Osanaï, Marc-Antoine Vaugeois, Brieuc Schieb, Murielle Joudet, Arnaud Hallet, Clémence Diard et d’autres encore, pour des collaborations plus occasionnelles. Composer un casting de collaborateurs est aussi excitant et stimulant que de composer un sommaire, et Répliques existe dans sa porosité avec l’idée que celui ou celle qui participe à la revue, au regard du volume des entretiens et de la dimension narrative que nous cherchons à leur conférer, est, avant toute chose, un auteur.
Pour la seconde partie de ta question, ce n’est ni un avantage ni un inconvénient, c’est un fait. Écrire pour Répliques et pour Éclipses est un exercice très différent, il me semble. Citons un autre exemple : Morgan Pokée et Noémie Luciani collaborent à La Septième Obsession. Je le répète : Répliques ne regroupe pas des chroniqueurs mais des auteurs. Le problème est ailleurs : si tout le monde écrit pour toutes les revues, alors quelle est la singularité éditoriale de ces revues ?
Avez-vous essuyé des refus d’interviews car vous n’êtes pas les Cahiers du cinéma, par exemple ?
Youri Deschamps : Nous ne faisons pas d’interviews. Nous l’avons fait une seule fois, pour John Boorman, parce qu’il avait annoncé publiquement qu’il mettait un terme à sa carrière au moment où nous lui consacrions un volume. Mais ce que nos lecteurs apprécient avant tout, ce sont les essais, les analyses de films et de séquences. C’est essentiellement sur ce type de textes que nous avons bâti notre notoriété.
Thomas Aïdan : Les Cahiers aussi essuient des refus ! En fait, je crois que tout dépend de la périodicité de la revue, de sa longévité, et de l’insistance des rédacteurs en chef (rires). Pour La Septième Obsession, on a eu la chance très tôt d’avoir Sokourov, Desplechin, Champetier, Tsui Hark, Emmanuel Lubeski, Alain Badiou… c’est un travail d’équilibriste. Si un attaché de presse me refuse un entretien, j’essaye de passer par d’autres moyens. Mais aujourd’hui, les attachés de presse sont de plus en plus pliés aux distributeurs, et doivent choisir des supports qui vont leur rapporter le plus de communication. Les « grands entretiens » sont de plus en rares à cause de cela. Il faut voir combien l’expression « grand entretien » devient une valeur marchande. Les temps changent, mais c’est à nous d’expliquer que 20 pages avec un cinéaste peut parfois être plus aidant que 54 petits articles publiés partout. Mais je pense que Répliques a depuis le début des invités de premier choix, non ? Donc, on a raison d’être optimistes !
Nicolas Thévenin : Il ne s’agit pas à proprement parler de refus, mais de difficultés à accorder des emplois du temps, voire dans certains cas à une incompréhension de notre ligne éditoriale, en tout cas lorsque nous sollicitons les attachés de presse, ce qui n’est que très rarement le cas, car nous cherchons systématiquement à créer des conditions d’entretiens qui échappent à la logique du marketing et de la promotion.
Un mot sur le fait que votre revue soit consultable dans les bibliothèques, dont celles des cinémathèques ? Sachant que à cause de restriction budgétaire, toutes les revues cinéma n’y sont pas.
Youri Deschamps : Éclipses est évidemment très présente dans les bibliothèques. 90% de nos abonnés sont d’ailleurs des cinémathèques, médiathèques, instituts, musées…, en France bien sûr, mais beaucoup également en Belgique, Suisse et Italie ; au Québec aussi, où la revue est diffusée par la librairie Gallimard de Montréal. Les particuliers s’abonnent peu mais achètent surtout au volume, en librairies ou sur notre site internet, ce qui est tout à fait logique, compte tenu du caractère monographique de notre titre.
Thomas Aïdan : Les budgets diminuent c’est certain… je me réjouis de savoir que La Septième Obsession y soit présente ! Il est important que nos revues soient consultés/consultables par le plus grand nombre. Nos projets sont à valeur démocratique.
Nicolas Thévenin : C’est essentiel, et je pense même que c’est dans les bibliothèques que se trouve la base de notre lectorat. Leur fonction est proche de la nôtre : mettre en place des médiations, susciter des curiosités, explorer la complexité d’un sujet.
Votre plus grande fierté ?
Youri Deschamps : La longévité, évidemment : 22 ans à ce jour, soit donc la moitié de ma vie. Ce qui était loin d’être gagné après l’euphorie post-Trafic, comme je l’ai dit plus haut. Certes, nous avons essuyé plusieurs tempêtes, mais Éclipses est aujourd’hui la seule revue de cinéma née au milieu des années 90 qui continue de paraître avec une régularité de métronome, et ce en toute indépendance. Personnellement, je suis très satisfait des différentes décisions qui ont été prises au bon moment, et qui ont fait qu’Éclipses est désormais pérenne et en bonne santé, vingt-deux ans après sa création. Bien sûr, nous sommes toujours fragiles, comme toutes les publications de ce type, mais notre exigence aura au moins montré qu’il existe un lectorat conséquent pour une revue comme la nôtre, centrée sur l’étude et l’analyse du cinéma, qu’il soit contemporain ou de patrimoine.
Thomas Aïdan : D’avoir pu rencontrer Caroline Champetier ? La plus grande fierté, c’est déjà de tenir en vie une revue papier, ce qui n’est pas une mince affaire, et SURTOUT, de créer en permanence du désir chez le lecteur. De redonner du souffle à la cinéphilie. Je suis très heureux, nous vivons dans un pays où les revues de cinéma foisonnent – ce n’est pas le cas en Allemagne, par exemple. Donc, réjouissons-nous, rien n’est mort, il reste tant de choses à développer.
Nicolas Thévenin : Le numéro hors-série sur Michel Gondry : aucun entretien de cette ampleur avec lui n’avait jamais été publié dans la presse mondiale. À d’autres égards, la découverte de Kôji Fukada au Japon, avant sa victoire au Festival des 3 Continents en 2013 puis la distribution en salles de son fim Au revoir l’été. Et, au plus immédiat, le fait d’animer la rencontre avec Barbet Schroeder au Festival de La Rochelle.
Mes phalanges et moi-même adressons un immense et sincère merci à Youri Deschamps, Thomas Aïdan, Nicolas Thévenin !
Éclipses : le site http://www.revue-eclipses.com/, facebook le numéro consacré à Maurice Pialat sera disponible la semaine prochaine !
La Septième Obsession : le site http://www.laseptiemeobsession.com/, facebook
Répliques : le site http://www.repliques.net/, facebook