NEIL YOUNG & Promise of the Real, le 21 juin 2016 au Zénith de Toulouse
« Mieux vaut brûler vif que de tomber en poussière »
Les gens feraient n’importe quoi pour échapper au linceul mais, outre que la loi salutaire de notre univers est de passer son tour en temps et en heure, il n’y a parfois pas de quoi prolonger l’expérience. Neil Young a décidé une fois pour toute de coucher sur disque, année après année, ses états d’âme, ses tourments, ses petits plaisirs, dans une discographie à deux faces, déluges d’électricité et douces berceuses folk, charges de chevaux fous et mélodrames purement acoustiques, jusqu’à ce que mort s’en suive. Neil Young, quoi qu’il fasse, creuse une blessure profonde dans le coeur des générations. Il y a eu Harvest et Comes a Time pour les babas, Crosby, Stills, Nash & Young pour les amateurs d’accords ouverts et d’harmonies vocales masculines bouleversantes au service d’un engagement politique risqué, Rust Never Sleeps ou Re-ac-tor pour tous ceux qu’on allait appeler Grunge et peut-être même des groupes comme Sonic Youth, jusqu’à ces derniers albums pleins d’une vitalité incroyable, orchestres symphoniques, jazz bands, chansons rugueuses et poussées de fièvre, toujours son groupe historique, Crazy Horse, et la tournée commencée il y a quelques mois avec un album qui attaque carrément l’industrie qui mène le monde à sa perte, nommément la firme d’OGM Monsanto, mais aussi la chaîne de supermarché Walmart et les cafés Starbucks. Comme si Cabrel, ignorant les conséquences sur ses ventes et son image, se lançait dans une bataille de troubadour, de José Bové chantant, contre Carrefour et MacDo.
Les fils du chanteur rebelle de country Willie Nelson, sous le nom de Promise of the Real, sont sur scène aux côtés du vieux barde canadien, et la liste des morceaux comprend, outre les récents brûlots écolos, nombre de classiques ou de vieux morceaux exhumés selon le bon vouloir du Loner. Certains shows américains ont dépassé les trois heures et Neil Young, à la fois euphorique et en colère, cowboy radioactif, laisse libre cours à son inspiration, déchaîne ses guitares Martin et Gibson, fait striduler ses harmonicas, excité par la fougue de la jeunesse et la folie du combat. Le 22 juillet 2015, en ouverture d’un concert dans le Massachusetts, il demande à ses roadies déguisés en fermiers d’aller planter des graines entre les amplis. Arrive un autre groupe, en combinaison étanche, qui vient asperger la scène de pesticides. Puis, c’est l’assaut rock. Pour l’instant, l’empire agroalimentaire n’a pas vacillé mais nous ne sommes pas à l’abri d’un miracle.
Article publié dans Le Brigadier, les arts de la scène en revue, numéro 20, été 2016
« La rouille est sans répit »
Je viens d’acheter ce vieil album mi-country déglinguée, mi-hard rock fumant, « American Stars’n’Bars, chez Gibert, dans un pack de quatre CD à vingt euros – bientôt, ils vont les donner et je serai le dernier à encombrer mon intérieur de rondelles argentées dans des boîtes en plastique ou de minuscules étuis en carton, quand tous les autres auront définitivement dématérialisé leur discothèque ou l’auront reconvertie en vinyles qu’ils n’écoutent jamais mais accrochent sur les murs de leur maison. Dans ce disque un peu oublié, il y a de quoi pleurer et frissonner, par exemple la ballade au coin du feu Will To Live où on entend réellement crépiter les flammes sur les bûches et Neil Young chuiner comme une mémé, ou Like A Hurricane, un truc monstrueux qui avance comme un tank avec le groupe Crazy Horse, et une mélancolie qui vous coupe les jambes.
Neil Young ne désarme pas même si parfois il paraît s’égarer. Son autobiographie est remplie de pages sur les autos, il refuse le streaming de des chansons en jugeant que la qualité de diffusion est mauvaise, ce qui est sans doute vrai, mais en oubliant qu’avant le MP3, la plupart des kids échangeaient leurs découvertes musicales sur des cassettes au son bien plus pourri et que ça ne les a pas empêchés de continuer à écouter leurs artistes favoris et leurs idoles sur du matériel sophistiqué quand ils ont eu les moyens d’acheter des platines Rega et des amplis Luxman.
On a du mal à suivre par ailleurs ses dernières passes d’arme avec le candidat américain à la présidence Donald Trump. Enfin, il y a de quoi rire un peu en attendant qu’un lourd rideau tombe sur nos dernières illusions démocratiques, à moins que tout ça ne soit qu’une comédie dont beaucoup trop de gens se croient victimes alors qu’ils pourraient en écrire des paragraphes ou l’illustrer par leur talent et leur force. Bref, aux dernières nouvelles, Neil Young, soutien de Bernie Sanders, a marmonné « fuck you » à l’attention de Donald Trump ; c’était sur scène, au beau milieu d’un concert, comme on peut le voir et l’entendre dans une vidéo postée par l’artiste lui-même sur Facebook (en fouillant un peu).
A une époque, notre barde altermondialiste soutenait Reagan. Il y a quelques mois, il a émis, par le truchement de son management, une protestation contre Trump parce qu’il utilisait la chanson Rockin’ in the Free World (Album Freedom, 1989) dans ses meetings électoraux, sans autorisation. L’équipe de Trump réplique qu’elle a passé un accord avec la Sacem américaine, l’ASCAP. L’artiste répond : « Il a donc obtenu une licence. je veux dire, il a dit qu’il l’a fait et je veux bien le croire. Je n’ai rien contre lui. Vous savez, une fois que la musique est sortie, tout le monde peut s’en servir comme bon lui semble, pour n’importe quoi. Mais si l’artiste qui en est l’auteur dit qu’il n’y a pas eu d’accord, si ça signifie quelque chose pour vous, vous arrêterez sans doute de la jouer. Et ça a signifié quelque chose pour Donald et il a arrêté. »
Tweet de Trump :
@realDonaldTrump.@Neilyoung’s song, “Rockin’ In The Free World” was just one of 10 songs used as background music. Didn’t love it anyway.
(« J’aimais pas la chanson, de toute façon »)
A un autre moment, le Solitaire déclare : “Si on m’avait demandé la permission d’utiliser ma musique pour un candidat, j’aurais dit non. Je suis canadien et je ne vote pas aux USA, mais surtout je n’aime pas le système politique actuel américain et d’autres pays. De plus en plus, la démocratie est prise en otage par les intérêts industriels. »
Dans la presse et sur les réseaux sociaux, on a retenu que Neil Young n’avait « rien contre Trump » et paraissait bien prudent ou poli, puis le candidat républicain l’a traité d’hypocrite, enfin est arrivée la vidéo du fuck you. Je pense tout à coup à Pete Townshend, le guitariste et chanteur des Who, qui a balancé l’autre soir à Toulouse : Fuck off ! Et me vient la célèbre réplique des punks anglais : « Never mind the bollocks », on s’en tamponne le coquillard, tant que les nazislamistes et les cul-bénits ne nous empêchent pas d’écouter et de faire du rock, de boire de la bière et autres plaisirs de la vie occidentale mis en avant jadis par les MC5, ces White Panthers sans pitié.
« Tonight’s The Night »
Un journaliste de la Voix du Nord a vu Neil Young (« bison inoxydable ») à Lille, au départ de la tournée française et cette expérience l’a lessivé : « Comment dormir après ça ? », écrit-il. Moi-même, je l’ai vu au palais des sports de Toulouse en 1987 et, au beau milieu d’un Cortez The Killer brûlant, l’un de mes copains, le chanteur du groupe Outsiders, est tombé dans les pommes. Comme on cherchait à l’évacuer, il s’est remis debout et a dit : c’est l’émotion, mais il n’avait rien mangé depuis le matin.
Neil Young est à présent un Old Man et, si les ballades folk au piano droit ou à la guitare (Heart of Gold, The Needle and the Damage Done, After the Gold Rush) lui sont faciles et ont toutes les qualités requises pour mettre la larme à l’oeil des vieux babas nostalgiques, il est toujours mordant, le bougre, et se régale à faire du boucan avec des amplis poussés dans leurs derniers retranchements : les mélodies, c’est bien joli, mais si ça ne déchire pas, autant aller à un concert de Zazie.
Enfin, Neil Young vient d’annoncer la publication d’un nouvel album (avec le groupe Promise of the Real) le 17 juin. Son titre : EARTH (La Terre). En exergue, un texte bizarre dont je n’ai compris que la moitié : « Durant 98 minutes sans interruption, Earth livre une collection de 13 chansons de toutes les périodes de ma vie, des chansons que j’ai écrites sur ce que c’est de vivre ensemble sur notre planète. » Il est ensuite question de « notre règne animal bien représenté dans le public », d’insectes, d’oiseaux et de mammifères qui prennent parfois le dessus dans les chansons…
En même temps, Mr Young, il faut bien brancher les guitares.
Que chantait le fabuleux gang sudiste armé jusqu’aux dents Lynyrd Skynyrd dans Sweet Home Alabama ? « J’espère que Neil Young se souviendra que nous n’avons pas besoin de lui dans les parages, de toute façon. »
Peace & Love, brother.
Greg Lamazères
Neil Youg + Promise of the Real
mardi 21 juin 2016
Zénith de Toulouse
Réservations