Dans son inventaire des monuments historiques, Prosper Mérimée décrit ainsi l’Eglise Saint Pierre de Blagnac : « son clocher octogonal a quatre étages. La nef se termine par un sanctuaire polygonal voûté sur croisées d’ogives, avec liernes et tiercerons. Sur la façade, le clocher forme porche et est voûté d’ogives au rez-de-chaussée ».
L’existence d’une église à cet emplacement est certifiée par une donation de Guillaume XI au chapitre de Saint-Sernin de Toulouse en 1098. C’est un édifice à nef unique donnant sur un chœur polygonal et attenante à un clocher-porche. Bordée sur ses côtés par des chapelles et la sacristie. La première travée est surmontée d’une tribune abritant l’orgue. Le premier édifice roman a été rapidement conforté pour s’élever plus haut et supporter une double voûte. Au XIII° siècle les grands arcs qui séparent la nef sont épaissis pour porter une charpente en bois plus importante. les voûtes actuelles datent de la fin du XV° siècle en style gothique. La restauration des peintures murales a été faite dans les règles de l’art.
C’est dans cet écrin à la belle acoustique qu’Odyssud accueille l’Ensemble Organum (1) de Marcel Perès dans le cadre de ses Rencontres des Musiques Anciennes.
Déjà l’œil est charmé par les chaudes couleurs du chœur et de la voute où les fresques alternent le bleu et le doré. C’est le cadre idéal pour une rencontre mystique et organique des chants anciens chrétiens, juifs et musulmans.
Créé à l’Abbaye de Sénanque, puis accueilli à la Fondation Royaumont de 1984 à 2000, où Marcel Pérès fonda le CERIMM (Centre Européen de Recherche sur les Musiques Médiévales), l’ensemble Organum est depuis 2001 installé à l’ancienne Abbaye de Moissac pour animer une nouvelle structure de recherche, le CIRMA (Centre Itinérant de Recherche sur les Musiques anciennes).
S’y sont succédés de nombreux chanteurs remarquables, par exemple Dominique Visse (Ensemble Clément Janequin), Gérard Lesne (Il Seminario musicale) ou Sœur Marie Keyrouz…
Sous la direction Marcel Pérès, Jean-Etienne Langianni, Ahmed Saher, Antoine Sicot, et Frédéric Tavernier, déploient récitatifs et chants rythmés, remontant aux sources de la poésie mystique et des chants sacrés, jusqu’au X° siècle et même avant. Ils utilisent toutes les ressources de l’acoustique, se plaçant devant l’autel, mais aussi sur les flancs de celui-ci, et traversent la nef pour aller dans les absidioles.
Ils alternent Chant vieux romain, Chant byzantin, Chant mozarabe, Samaa marocain, dans une formidable ouverture spirituelle. La partie romaine est chantée par Marcel Pérès, et le samaa marocain par Ahmed Saher.
Même si la tradition hébraïque est peu présente aujourd’hui (uniquement pour des raisons de durée du concert), l’objectif de celui-ci est de rendre tangible l’unité organique fondamentale de la lecture chantée à l’origine des trois religions monothéistes : le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam, dans la continuité du culte chanté du Temple de Jérusalem.
A l’origine de ce récital, les « Rencontres Orient-Occident » du Château Mercier en juin 2012, autour d’une équipe de chercheurs préparant l’exposition « Alexandrie la Divine », organisée par la Fondation Bodmer dans le sillage de l’exposition « Orient – Occident, les Racines Spirituelles de l’Europe ». L’Ensemble Organum avait été invité lors des premières rencontres en 2013 dans un programme intitulé « L’incarnation du Verbe-La parole chantée dans le Christianisme et l’Islam », programme dans lequel chantait leur défunt ami Lycourgos Angelopoulos.
Organum met ainsi en relation quatre répertoires. Le Samaa marocain, encore en usage dans la plupart des pays musulmans, s’est progressivement constitué au XIVe et XVe siècles au sein de confréries mystiques. Le chant mozarabe, l’ancien chant des chrétiens d’Espagne pendant l’administration musulmane, s’est stabilisé au cours des VIe et VIIe siècles. Le chant byzantin, encore bien vivant dans l’Eglise orthodoxe, a toujours été source de création au cours des siècles. Le chant vieux romain, dont l’origine remonte à l’Antiquité tardive, était le chant des grandes basiliques romaines jusqu’au XIIIe siècle. Ce concert réunissant de magnifiques voix d’hommes marque une alternance de chants de groupe, qui ont une scansion vigoureuse, et de récitatifs au cours desquels, spontanément, différents chanteurs se répondent.
Ainsi, progressivement et avec discrétion, l’ensemble Organum construit une véritable histoire du chant sacré – et, au travers de ce chant, une histoire des courants spirituels – qui synthétise dans une même mouvance les différentes civilisations qui ont fleuri autour du bassin méditerranéen et rayonnèrent à l’Est et à l’Ouest de l’Europe.
Il ressuscite une génétique musicale et spirituelle commune à tous les peuples du bassin méditerranéen.
Il porte à son apogée cet art de la cantilation (prononciation de la hauteur musicale des voyelles de chaque mot d’un verset du texte sacré des religions chrétienne, coranique, hébraïque, et bouddhique) et du Mélisme (technique consistant à charger sur de nombreuses notes une syllabe d’un texte, lorsque celui-ci est chanté. Cette musique est opposée à la syllabique, dans laquelle chaque syllabe du texte est fondue dans une seule note). En Europe où ont existé au Moyen-Age de nombreuses sociétés chantantes, nous avons perdu cette tradition et cette technique, contrairement au Moyen-Orient et au Maghreb.
Mais de plus, ils dépassent les frontières et partant, les histoires nationales comme les conflits, ils les transcendent dans un esprit de paix et de fraternité.
C’est plus que jamais nécessaire en ce XXI° siècle où les guerres de religion tendent à remplacer les guerres économiques.
Et dans le cas présent, c’est avant tout un grand bonheur :
Un chant qui s’élève,
Et toute une âme.
Nous attendons maintenant avec impatience l’annonce de la nouvelle saison d’Odyssud (2), en particulier les Rencontres des Musiques Anciennes ; après bien sûr le 6 juin Music for Queen Mary, un des chef-d’œuvres d’Henry Purcell, par les Eléments et le Concerto soave, qui sera, nous n’en doutons pas, un nouveau grand moment d’émotion.
E.Fabre-Maigné
19-V-2016
Pour en savoir plus :
1) Fondé en 1982 par Marcel Pérès l’ensemble Organum a abordé la plupart des répertoires européens qui marquèrent l’évolution de la musique depuis le VIe siècle. C’est à une autre approche du passé que voudrait inviter l’ensemble Organum, en situant la redécouverte et la réactualisation des musiques anciennes au cœur des grands courants socioculturels et spirituels du monde contemporains.
Appréhender les musiques anciennes dans la perspective de la longue durée : de l’Antiquité tardive jusqu’aux traditions encore vivantes de nos jours.
Toujours impliquer, les sciences de la mémoire – histoire de l’art, des sociétés et des mentalités – dans la réflexion sur la manière de générer les sons.
Discerner dans les arts du passé les éléments qui feront évoluer ou muter les pratiques culturelles contemporaines.