Consulter aussi mon article d’il y a quelques jours annonçant cet opéra.
Adieu le comique des situations, vive le comique jusqu’au boutiste de l’accessoire. Pour ce qui ignore ce qu’est un maillot parfait dans l’esthétique féminin, précipitez-vous au Théâtre du Capitole, vous en aurez une illustration parlante. Suivez avec attention, le strip-tease intégral offert à droite de l’écran, je dis bien de l’écran, comme dans un mauvais rêve. De même que, si vous souhaitez quelque exemple de ce qu’est l’univers féminin d’une metteure en scène féministe façon maîtresse, qui a des comptes à régler avec dame Nature, en l’occurrence la provocante Laura Scozzi, courez à sa version XXIè siècle de l’Italienne à Alger d’un certain Gioacchino Rossini, dit Monsieur Crescendo. Vous comprendrez très vite qu’elle ne passe pas ses soirées avec DSK ou Berlusconi. La démonstration sera édifiante : du cul, du cul, du cul. Décidément, ce Mustafà a bien mérité son trophée final, fait maison.
Elle a décidé aussi de faire l’éducation de son jeune public et si jeunettes et jeunots ne savent pas que courgettes et concombres et carottes et bananes peuvent servir à autre chose qu’à se remplir l’estomac, la leçon est là. Des sex-toys qui respectent l’environnement et font travailler les maraîchers, qu’espérer de mieux. Même Haly, le chef des Corsaires, ici chef du personnel ne résiste pas au sketch de la banane. Comme c’est comique.
Dès l’Ouverture, on est mis au parfum, enfin… parfum. Ces premières mesures toutes émoustillantes qu’elles peuvent être, dopées aux cymbales et triangle, images même d’un crémant frais et pétillant virent au mauvais champagne chaud et sans bulles, toutes écrasées par une série de photos sur rideau de plus en plus sanguinolentes et démonstratrices, paraît-il. Les musiciens ne voient pas la scène, ouf, et, ce faisant, assurent leur partition malgré quelques emballements qui n’aident pas la respiration de tout ce monde. Les instruments ont su jouer avec les protagonistes, et tout le charme est sauvé ou presque. Et on ne va pas reprocher au chef Antonino Fogliani un certain enthousiasme tout rossinien.
L’ingénieux dispositif tournant ne se révèlera que, hélas, trop efficace pour faire apparaître plus vite tel tableau désolant, mais fort utile au demeurant pour en faire disparaître certains qui nous polluent la vue. D’autres, je l’avoue, sont fréquentables. Ce sont d’ailleurs les seuls que l’on retrouve ici ou ailleurs. Les pires ne font pas partie de la promotion. Quel plaisir en effet de découvrir cinq, six culs de pintades littéralement livrés en offrandes au sieur Mustafà avec force coups de hanche suggestifs au cas où dans les travées, on ne comprendrait pas! Ils doivent être contents les parents qui ont décidé de faire connaître à leurs jeunes enfants, quelque opéra dit facile, ils sont servis. Quelle joie d’avoir les mêmes “girls“, je dirai, pétasses par l’image qu’on leur a demandé de jouer, entendons-nous bien, défilant en avant-scène en costumes hautement suggestifs dans un mauvais tableau du Crazy Horse du quartier Stalingrad. On ne dira rien du tableau sadette-masette, défendu par certain à corps sans cris mais avec cuirs. Et la salle rit ! Enfin, rigole, mais rigole à quoi, à Rossini, quelle insulte faite au cygne de Pesaro ! ou aux menottes ?
J’ai eu la chance de voir des productions, entre autres, avec des Isabella de la trempe des Horne à La Fenice, des Valentini-Terrani à Turin ou Marseille, d’une Martine Dupuy ici même à Toulouse, des productions sans un lit, ni un seul cul, ni une seule scène de copulation. Ce qui n’empêchait pas le triomphe final, ni des tonnerres d’applaudissements pour chaque air des différents protagonistes. Mais quand la scène pollue la musique et le chant, on n’attend plus qu’avec grande impatience, les derniers accords, ou que le dispositif tourne. Et que dire de ce magnifique septuor qui se met judicieusement et avec talent en place en fin du premier acte ? on se met à espérer, mais l’espoir est vain car le voilà, hélas défoncé par le passage à plusieurs reprises du fameux “couple“. Et de ce brillant moment tant attendu qui doit remplir, à l’habitude, la salle d’enthousiasme, normalement, il ne reste rien. C’est du détournement assassin. Pourtant, le plateau vocal ne souffre guère de reproches, et l’on se demande bien comment ils font. Nos choristes hommes, si peu entendus cette saison, sont sans reproches et se plient aux exigences de la mise en scène avec bonhomie. Seraient-ils émoustillés ?
Pas du tout discriminatoire, le choix des artistes non plus. Au physique très particulier d’Isabella, rendu encore plus particulier par les costumes délibérément grotesques, il fallait trouver l’antithèse en Taddeo. Heureusement, grâce au physique de celui-ci, bel hidalgo au naturel, rendu bien ingrat, et à sa minceur, naturelle, on a gagné la voix qui se signale comme la plus intéressante du plateau, celle du jeune catalan Joan Martin-Royo, baryton très prometteur, à l’articulation impeccable, à la verve et l’aplomb, à qui on ne peut souhaiter qu’un autre Taddeo dans une production plus fine, moins lourdingue. On oubliera quelques petits passages délicats dans la partition de Lindoro, et on louera le résultat. Le jeune et charmant ténor Maxim Alvino-Mironov n’est pas encore Florez mais il peut soutenir bon nombre de rôles nécessitant ce type de voix. Joli timbre et projection sans faille, il assure d’un bout à l’autre. Ils sont peu nombreux à y réussir sans arracher quelqu’aigu. Deux valeurs sûres que l’on souhaite ardemment ré-entendre.
En Mustafà, on peut espérer que Pietro Spagnoli y a pris quelque plaisir. C’est du grand bey d’Alger, vocalement et, scéniquement car, avec certains tableaux, chapeau. Il faut être un sacré pro. C’est mon premier Mustafà qui reçoit autant de gifles !!! Scozzi se défoule. Quant au rôle principal, difficile d’avoir une opinion, tellement l’artiste passe son temps à assurer les effets demandés qui vous accaparent les yeux et annihilent tout intérêt pour le chant, ce qui est un comble pour un ouvrage pareil. Une Isabella, Marianna Pizzolato, devenue accessoiriste au rayon du mauvais goût : dommage pour elle, le chant et Rossini. Ceci dit, en fermant les yeux, aucun souci pour ce que l’on entend, le chant est bien là. On aimerait la retrouver, débarrassée de toutes ces incongruités. Aucun souci non plus avec le tandem Elvira-Zulma, Gan-ya Akselrod-Victoria Yadovaya. Et on écoute avec plaisir les interventions pleines d’assurance de Haly, le jeune baryton Aimery Lefèvre, un habitué de cette scène capitoline.
Mais il y a plus grave. A quoi auront donc servi les deniers publics dans la production de ce spectacle ? A draguer un nouveau public pour l’opéra ? un jeune public ? Impossible ! certaines scènes se devraient d’être signalées à l’entrée. Avec un panneau “interdit aux moins de 16 ans“ ?!!!!!!! Avec toutes ces ficelles teintées d’un goût…particulier? Laissons donc aux Théâtres de Nuremberg, ou Baden-Baden et autres théâtres allemands, toutes ces mises en scène provocatrices avec lesquelles ils essaient vaille que vaille de psychanalyser leur public. On se doute qu’ils ont à faire. Après Turandot en juin 2015, L’Italienne en mai 2016, merci Nuremberg.
Ou sont-ils sensés, ces deniers publics, participer à une gigantesque séance de thérapie pour une metteure en scène dont le seul but semble être de détourner, provoquer toute œuvre opératique qui a le malheur de lui tomber entre les mains ? Quels sont les complices ? Pourquoi ne se contente-t-elle pas de théâtre pur, et d’écouter les opéras chez elle ? Cela ferait moins de dégâts. La mise en scène la passionne, c’est évident. Mais sa rencontre avec la musique et le chant ne me semble pas à classer dans les grandes réussites des mises en scène d’opéras. De toutes les façons, quand on m’énonce comme postulat que l’opéra, c’est d’abord du théâtre, on ne pourra jamais être d’accord. Après Rameau, Rossini, quel sera donc la nouvelle victime ? Si le public du Théâtre du Capitole pouvait éviter d’en faire les frais……
Michel Grialou