L’année dernière, l’artiste-plasticienne et écrivain Eva Kristina Mindszenti offrait au public toulousain une très belle exposition de ses œuvres photographiques à l’Espace W 31.
Aujourd’hui, elle expose de nouveau à Toulouse, dans le contexte inattendu de la Clinique de l’Union. Culture 31 a voulu en savoir plus sur ce projet singulier, et l’a rencontrée pour lui poser les bonnes questions.
C’est la toute première fois que la Clinique de l’Union accueille un projet artistique. Pourquoi avoir choisi d’y exposer ?
J’ai été soignée à la Clinique de l’Union, en 2014, pour un cancer qui a entraîné une ablation du sein. Durant cette période, je me suis beaucoup questionnée sur les transformations corporelles causées par les soins. J’ai commencé à travailler sur des œuvres photographiques, qui ont constitué l’exposition à l’Espace W 31.
Vécue de l’intérieur, une modification corporelle ne se réduit pas à l’organe concerné : elle rejaillit sur l’ensemble du corps. Ce qui est remis en question, c’est qui vous êtes, en intégralité. On est confronté à un problème d’identité. Cette constatation est devenue la base de ma réflexion. Chaque œuvre développe un point d’argumentation.
Le corps humain n’est pas qu’une somme de fonctions biologiques. Il est aussi un terrain d’analyse philosophique, poétique, culturelle et politique. Probablement pour cette raison, j’ai voulu vivre la maladie comme une expérience. Une expérience hautement déplaisante, mais néanmoins intéressante, constructive à certains égards.
Je ne me suis jamais sentie amoindrie, même dans les moments de difficulté physique. On dit parfois d’un malade qu’il est diminué : c’est une formulation erronée. Si quelqu’un peut être transformé par une maladie, sa valeur intrinsèque ne fluctue jamais. La nature humaine, égale et identique pour tous, n’est pas conditionnée par les événements. C’est un acquis de naissance, quoiqu’il arrive. Cette dignité permanente délimite le contexte de mon argumentation.
J’ai donc conçu cette exposition pendant que j’étais en soins à la Clinique de l’Union. Je trouvais intéressant de la ramener à son point d’origine, et de voir ce qu’elle pourrait lui apporter. J’ai eu la chance de rencontrer, à la clinique, des personnes aussi intéressées que moi par cette question.
Justement : qu’est-ce qu’une exposition d’art contemporain peut apporter à l’espace clinicien ?
La mission de l’art, c’est de déchiffrer le monde dans lequel nous vivons, de créer des espaces où la rencontre et la confrontation sont possibles et de construire une mémoire commune. Une œuvre d’art, c’est l’expression immodérée d’émotions universelles et toujours un dialogue. Ce qu’une exposition d’art contemporain peut apporter à l’espace clinicien correspond à ce que l’art contemporain doit apporter tout court : l’exigence d’une vie plus ample et plus profonde et le sens argumenté de la contestation.
Toutefois, quand on parle de création artistique, ce n’est jamais d’art en général qu’il s’agit, mais du travail d’un artiste, doté d’une sensibilité particulière. En vieillissant, on mesure mieux ce que la sensibilité individuelle doit à l’éducation.
Mon père est d’origine hongroise, ma mère était franco-norvégienne. Ce que je retiens de l’éducation à la hongroise, c’est la détestation profonde de tout ce qui est moyen. L’existence doit être hyperbolique, pour le meilleur comme pour le pire. De l’éducation scandinave, c’est le refus de l’apitoiement. On ne se plaint jamais.
A l’annonce de la maladie, ce qu’il y a de hongrois en moi a pensé : « Quitte à avoir un cancer, autant l’avoir avec brio ». Ce qu’il y a de norvégien a rajouté : « Et dans la félicité ». Dans mon travail en général, dans cette exposition en particulier, c’est aussi cette sensibilité qui s’exprime.
Quand vous avez présenté cette exposition à l’Espace W 31, elle ne faisait aucune référence à une expérience de la maladie. Vous l’aviez intitulée « Jeunes filles ! ». Pourquoi ?
Je voulais présenter les choses avec une certaine légèreté, et même, une certaine grâce.
Comme je l’ai déjà mentionné, la maladie induit des interrogations identitaires, sociales et sociétales qu’on peut traduire par deux questions très simples : « Que suis-je entrain de devenir ? » et « A présent, où se trouve ma place ? ». J’ai réalisé que cette expérience entrait en résonance avec des problématiques typiques de l’adolescence. C’est sous cet angle que j’ai construit cette exposition, d’où son titre.
Mais l’exposition à la Clinique de l’Union n’est pas une redite de l’exposition à l’Espace W 31. Certaines œuvres ont été écartées au profit de nouvelles, sa scénographie a été repensée. C’est une progression naturelle. Depuis l’année dernière, j’ai travaillé sur d’autres projets, appris de nouvelles choses, rencontré différentes personnes et découvert divers paysages. D’une année à l’autre, ce n’est plus la même vie. Il ne pouvait pas en résulter la même narration.
Eva Kristina Mindszenti – Photographies
du 23 mai au 26 juin à la Clinique de l’Union
Boulevard Ratalens – Saint Jean
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