Dans le brouillard s’en vont un paysan cagneux Et son bœuf lentement dans le brouillard d’automne Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux Et s’en allant là-bas le paysan chantonne
Une chanson d’amour et d’infidélité Qui parle d’une bague et d’un cœur que l’on brise Oh! l’automne l’automne a fait mourir l’été Dans le brouillard s’en vont deux silhouettes grises…
Je pensais à Apollinaire : il fallait braver le vent froid de cette soirée d’automne pour aller jusqu’à l’Eglise fortifiée Saint Pierre et Saint-Phébade de Venerque*, bel édifice de style roman daté des XIème et XIIIème siècles, avec son clocher-mur crénelé du XIVème.
Mais à l’intérieur, c’était l’été indien grâce à Marilis Orionaa et ses musiciens. Et avec une centaine de personnes, j’ai trouvé ce soir là une douce chaleur, une vague chaude qui nous a submergé, traversé, qui a pénétré en nous, une haute vague de velours noir, comme disent les Anglais.
Dans ce majestueux édifice religieux, on s’attendait à entendre la voix céleste d’Hildegarde von Bingen, mais c’est une voix bien vivante qui nous a pris par la main ici-bas.
La silhouette est longiligne dans la longue robe noire, le visage est illuminé par la voix. « Cette voix qui l’habite des pieds à la tête : il ne reste plus d’elle que son regard, ses mains pâles, ce front de cire qui accroche la lumière et cette voix qui gonfle, qui monte, qui monte… Comment sortira-t-elle de sa poitrine étroite les grandes plaintes de la nuit ? Et voilà qu’elle chante ou, plutôt, qu’à la mode du rossignol d’avril, elle essaie son chant d’amour... aurait dit Jean Cocteau.
Dans l’univers de Marilis Orionaa, les fées ne sont pas loin et l’amour courtois est toujours bien vivant, Lo Rei Artùs passe par là. Que’t balharèi la man est une berceuse qui pourrait s’adresser aussi bien à un amant qu’à un enfant; Be n’èran tres segadors un conte coquin à la Antonin Perbosc évoquant trois moissonneurs, ces robustes travailleurs de la terre qui se louaient en Espagne et troublaient les dames. Traditionnel béarnais, comme Hilhota de delà l’aiga qui évoque les abeilles autour du moulin. Et les Montagnes, Montanhas, nos chères Pyrénées, sont toujours visibles, même par temps chagrin.
Tout à fait à sa place dans ce lieu de spiritualité, sous les fresques des anges musiciens, dans le poème de son ami Roger Lapassade** (1912-1999), le petit Jésus a des petits pieds rouges, comme n’importe quel enfant, mais celui-là fait le signe de la croix avec. Ce Je te salue Marie n’est-il pas un petit clin d’œil païen à Francis Jammes, son voisin d’Orthez, mis en musique par Brassens ? Elle n’hésite pas à reprendre en oc ce même Brassens et Victor Hugo (l’Homme à la carabine) dans un superbe Non sèi perqué ; ni cette rumba de La destinada : la destinée est-elle une danse ?!
Même si le programme a été réduit de plusieurs chansons à cause de l’acoustique supportant mal les percussions (c’est bien dommage vu le talent de Nicolas Martin-Sagarra), la guitare d’Olivier Kleber-Lavigne,tout aussi talentueux, y a trouvé une belle réverbération naturelle et la bergère des nuages béarnais a joué avec l’écho, comme ces pastourelles appelant les pastoureaux sur la colline d’en face.En rappels, Be i a longtemps joenessa, souvenir de jeunesse d’un vieux berger qui a chanté jusqu’à son dernier souffle, à 90 ans ? Et Vent balaguèr, ce vent du Sud venu d’Espagne qui rend fou, même à Toulouse.
La Trobadora va retourner laisser courir sa plume sur la page blanche, avec à la lucarne le rouge-gorge viendra siffloter un petit air, lorgner son écritoire, pour savoir si la chanson avance…
Et le public a du mal à la quitter.
Et j’ai bien du mal à repartir dans la nuit froide d’automne.
Comme Yves Bonnefoy célébrant Kathleen Ferrier :
…Je célèbre la voix mêlée de couleur grise
Qui hésite aux lointains du chant qui s’est perdu
Comme si au delà de toute forme pure
Tremblât un autre chant et le seul absolu.
Ô lumière et néant de la lumière, ô larmes
Souriantes plus haut que l’angoisse ou l’espoir,
Ô cygne, lieu réel dans l’irréelle eau sombre,
Ô source, quand ce fut profondément le soir !
Il semble que tu connaisses les deux rives,
L’extrême joie et l’extrême douleur.
Là-bas, parmi ces roseaux gris dans la lumière,
Il semble que tu puises de l’éternel.
31 X 2015
E.Fabre-Maigné
PS. Merces plan au Festival Occitania www.festivaloccitania.com/ et à OrgetCom qui ont organisé ce concert.
Le nouveau disque de Marilis Orionaa, La Destinada, avec Olivier Kleber-Lavigne, guitare, et Nicolas Martin-Sagarra, percussions, musiciens pleins de finesse et de duende, tout à son écoute, est disponible. La bergère des nuages béarnais nous enchante encore avec sa voix profonde et sensuelle, ses textes superbes de trobairitz (femme troubadour) d’aujourd’hui, de Trobadora.
Si vous ne comprenez pas l’occitan, ce n’est pas un problème : combien de chansons écoutez-vous dans des langues qui vous sont étrangères mais dont le charme vous envoute ?
A déguster absolument ! Ainsi que ses disques précédents : Damn, Femelis, Ça-i !
Association Amugalh BP 301 64300 Orthez armugalh@orange.fr 05 59 67 96 65
Pour en savoir plus :
* On pense qu’elle fut créée par les moines qui fondèrent l’abbaye Saint Pierre, défrichant les forêts pour étendre les zones de terres cultivables. La construction de l’église commence par l’édification du chevet, abside et absidioles, dans la première moitié du XIIe siècle. L’amorce des bras de transept est construite en grès, mais la partie haute de l’abside centrale est déjà en brique, ainsi que l’arc triomphal (visible dans les combles) le chantier semble donc s’être rapidement poursuivi avec ce matériau. Les travaux se poursuivent, vraisemblablement au XIIIe siècle, par la construction du clocher-mur. L’achèvement du transept en est vraisemblablement contemporain puisque le contrefort de l’angle ouest du bras sud, parfaitement lié à la maçonnerie du transept, englobe l’escalier qui permet d’y accéder. La construction de la nef, jusqu’au portail d’entrée, se poursuit jusque dans la seconde moitié du XIIIe siècle ou le tout début du XIVe siècle. L’église présente alors un plan en croix latine et une nef charpentée. A la fin du Moyen Âge, le transept et sa croisée sont voûtés, avec des voûtes à ogives et tiercerons qui serviront de modèle au XIXe siècle pour compléter le voûtement de l’église.
** Né le 29 mai 1912 à Aussevielle (canton de Lescar), Roger Lapassade a vécu, de
1934 jusqu’à sa mort en 1999, à Orthez où il a enseigné à l’école primaire supérieure
devenue ensuite collège puis lycée. Il passe ses premières années chez sa grand-mère, au contact des paysans de son village natal qu’il doit quitter pour aller étudier puis parfaire sa formation d’instituteur. La guerre et surtout la captivité vont marquer durablement sa vie. Dans les camps de prisonniers il redécouvre la langue de son enfance ainsi que l’Évangile qui donnent une direction nouvelle à sa vie et à son action. Se détachant progressivement de l’influence des félibres qu’il juge trop passéistes, il est conquis par les idées novatrices et le dynamisme du mouvement occitan. Il fonde en 1960 Per Nouste, section béarnaise de l’Institut d’Études Occitanes, pour développer la langue et la culture béarnaises. Entouré de quelques amis il va donner un élan exceptionnel à l’association : création d’une revue appelée d’abord Per Nouste puis País gascons, édition de textes anciens et contemporains, recherche, animation culturelle par le chant et le théâtre. Par sa présence il encourage toutes les initiatives, il conseille et accompagne les nouveaux venus, prête sa voix à la radio et sa plume à de nombreuses revues. Il laisse deux recueils de prose : Sonque un arríder amistós (1975) et Ua sason en país bramader (1997). Et quatre plaquettes de poèmes : Los camins deu cèu (1971), Requisitòri (1991), La cadena (1997), Mots de noste (2002).
Dans une langue vivante, sous une plume alerte, il révèle son amour pour la terre natale et jette un regard nostalgique sur le passé paysan. Ce retour aux racines permet à Roger Lapassade de se projeter vers l’avenir et de se préparer à affronter un futur qu’il sent lourd de menaces pour l’espèce humaine. Il ancre l’écriture gasconne dans la modernité sans la couper pour autant de ses racines paysannes séculaires. Un sentiment profond, souvent passionné, traverse ses écrits et sa vie. C’est l’amour pour la terre de Béarn et sa langue, pour Dieu, pour toute la création, pour les hommes –surtout pour les plus démunis-. Ce sentiment est associé à une générosité sans défaut qui n’oublie jamais la pointe d’humour. Le combat pour la justice et la tolérance est le moteur de toute sa vie. Roger Lapassade a reçu de nombreuses récompenses pour son œuvre littéraire et les insignes de chevalier de la légion d’honneur pour sa « défense de la langue occitane ». Il est décédé le 12 octobre 1999 à Orthez et repose au cimetière d’Orthez. Homme de paix et de foi, fidèle dans ses amitiés, tolérant, toujours ouvert au dialogue, R. L. a toujours placé l’homme au centre de ses préoccupations. Celui qui se considérait comme « un militant de la langue » est la figure de proue du renouveau occitan en Béarn qui aborde désormais tous les thèmes et les préoccupations de notre temps. Son œuvre littéraire le situe au premier rang des écrivains du Béarn et bien au delà dans les terres d’oc.
photos artistes : © G. Cauquil