Conversation musicale avec le rédacteur en chef – baroque, ô combien ! – de Culture 31.
Pouvez-vous évoquer les grandes lignes de votre CV professionnel ?
Il est tellement simple !! entré à quatorze ans et demi à l’Ecole Normale d’instituteurs de Rodez puis, en suivant, deux ans à Toulouse au Centre de Formation des PEGC, et à même pas vingt ans, retour dans l’Aveyron natal avec un premier poste d’enseignant de collège à …Mur-de-Barrez, près des neiges éternelles !! encore trois ans dans l’Aveyron et là, l’immense chance d’être nommé à Toulouse, au Collège Pierre-de-Fermat pour …quarante ans de bons et loyaux services !!
A côté, dix étés de “distraction“ dans le sable d’un resto de plage – plage de Ramatuelle – à porter des assiettes, mais, dix étés de folie pure et dure !!!
Comment avez-vous accompli votre formation de mélomane ?
Il n’y en a pas eu !! Sur le tas ! quelques leçons de clarinette qui finira en morceaux, balancée, la pauvre, contre un mur, suite à un moment de désespoir dans l’apprentissage. Un peu de chant, mais peu concluant !
Clarinette car mon père jouait de la trompette d’harmonie et il considérait que j’étais trop…chétif pour souffler dans une trompette !! Enfin, cette trompette lui a d’ailleurs permis d’avoir, à 37 ans, la croix de Chevalier dans l’Ordre des Palmes académiques pour Services rendus à l’Art Musical Populaire. Pour avoir la même croix, j’aurai attendu 44 ans !! sans trompette, ni clarinette.
Ce fut ensuite la formation rock, puis bop puis disco, ah ! la disco, puis années 80 et enfin un engouement irrépressible pour la musique techno, nécessitant moult déplacements, le Shangaï ne pouvant suffire, Londres et sa Substation South, Barcelone et ses afters, Madrid, Ibiza – ah, les soirées la Vaca assassina ! – mais on pouvait pimenter avec quelques opéras ! et les concerts rock au Bikini. Tout cela ne laissait que peu de places à la musique classique qui n’a pris son envergure que lorsque escapades et nuits devenaient plus complexes à gérer. Il fallait aussi…travailler !
Promotion 1962 – 66 de l’Ecole Normale de Garçons de Rodez
Que rapport entretenez-vous avec la ville de Toulouse ?
Un rapport affectif complet. Je suis arrivé à Toulouse en 1971, à l’âge de 23 ans, et n’en ai plus bougé jusqu’à aujourd’hui. Si je reste dans cette ville depuis tant d’années, en m’y investissant comme je le fais, c’est la preuve que je m’y sens très à l’aise. Tout bien réfléchi, ma vie, à divers titres, ne pouvait que s’épanouir dans une grande ville. Le travail, les distractions sous toutes leurs formes, le côté culturel non négligeable, le pied-à-terre en centre-ville, je ne vois pas où j’aurais pu être mieux.
Vous êtes le rédacteur en chef de la plateforme Culture 31. A quelles dates et dans quelles circonstances avez-vous été amené à occuper cette fonction ?
En juin 2011, Bruno del Puerto, créateur du site, me contacte sachant que je chronique pour Ramdam, et que j’ai rédigé à un moment donné pas mal de programmes pour les concerts de Grands Interprètes. Comme je vais être plus disponible, arrêtant mon travail de prof’, il a estimé qu’il fallait m’occuper impérativement !!
Quel est votre premier souvenir relatif à l’art lyrique ?
Samson et Dalila au Capitole, premier opéra, premier souvenir, bien vague ! Souvenir plus précis, 78-79, ce fut un Lohengrin assis sur une marche au balcon : à l’époque, on pouvait !! Suivi d’une mémorable Salomé à la Halle, qui danse seins nus ! Vous imaginez…
Quels sont vos plus grands souvenirs musicaux ?
Le plus grand des grands, il n’est pas dans le domaine du lyrique : c’est Prince au Zénith à Paris en 86 ?
Le plus grand dans le lyrique : une Italienne à Alger à la Fenice au premier rang de l’orchestre, les chanteurs sous notre nez, Marilyn Horne, Samuel Ramey, Ernesto Palacio !! A une deuxième, lorsqu’elle dit à Mustapha : Ah ! que muso, que figura…Ramey n’a pu se retenir. Les répliques suivantes furent secouées par un fou-rire irrépressible, sur le plateau comme en salle.
Mais aussi, une Semiramide à Aix d’anthologie, décors de Pizzi avec Horne – Caballé – Ramey : j’ai eu droit à 3 représentations!!! L’année d’après, ce fut un Tancrède à se pâmer avec toujours Horne.
Un Henri VIII au Liceu pour la fin de carrière de Caballé qui, là encore, est sensé mourir mais le fou-rire n’étant pas loin, elle se camoufle dans les plis de son hideuse robe ressemblant à un véritable rideau de douche pendant qu’une multitude de petits papiers tombaient des balcons : « Montserrat, gracies pels 40 anys de fidelitat ».
Une Africaine au Liceu avec Domingo et Caballé à qui on soufflait son texte derrière un paravent opportunément placé sur scène sans utilité autre particulière.
Un Simon Boccanegra au Palais Garnier – 1978 – surtout parce qu’incidemment, on s’est retrouvé dans la loge présidentielle, en baskets, tenue de touriste, invité à la débotté par l’ambassadeur du Mexique !!! Abaddo – Strehler – Capuccilli – Freni…tout de même.
New-York, le Met, 10 heures d’avion dans la journée pour une Walkyrie, debout, 4 heures pour le Sigmund de Domingo. Et une certaine déception au bilan. La fatigue ?
Toutes les Turandot, d’Avignon avec Caballé et Riciarelli qui remplaçait au pied levé…Mirella Freni , Barcelone avec Caballé et encore Marton.
Tous les récitals de Cecilia Bartoli à la Halle depuis le premier en 2001, doublé, 2003, 2006, 2008, 2010 et 2010 encore et enfin 2012.
Semiramide au Met dans de fastueux décors : c’est le Met. Et ce, dans le cadre de Grands Interprètes pour tous ces récitals.
J’oubliais, sacrilège, la dénommée June Anderson. Et pourtant, elle fut la cause, avec son compère Alfredo Kraus, d’une soirée de délire à Favart dans La Fille du régiment. Le poulailler en bois a bien failli s’écrouler sous le trépignement de la foule.
June Anderson toujours, avec Samuel Ramey et Alain Vanzo, un certain 13 juillet 1985 à Garnier, dans une production de Robert le Diable qu’on n’est pas prêt de revoir de sitôt.
Si on revient sur les soirées mémorables, elles furent nombreuses au Théâtre d’Avignon, car avec Raymond Duffaut, les distributions étaient impressionnantes et nous étions nombreux à être de Toulouse, abonnés à Avignon, pour ma part de 79 à 86. TOUS LES PLUS GRANDS NOMS OU PRESQUE VENAIENT A AVIGNON!!! On se déplaçait pour les voix, les mises en scène passaient après.
Pouvez-vous citer, à brûle-pourpoint, les ouvrages qui vous sont les plus chers ?
Elektra – Tristan et Isolde – Le Trouvère – La Walkyrie – Tosca – Turandot
Quels sont les artistes les plus marquants qu’il vous ait été donné de voir et d’entendre ?
Si on ne parle que du chant, parmi les entendus et vus : Marylin Horne – Montserrat Caballé – Cecilia Bartoli – Samuel Ramey – Ghena Dimitrova – Vladimir Galouzine – Eva Marton… j’en oublie ! Roberto Alagna, Franco Fagioli, Max-Emanuel Cencic, Annick Massis, Torsten Kerl, Janice Baird, Bejun Mehta, Stephan Degout,…
Les CDs-DVDs que vous conseilleriez d’emblée à un néophyte ?
Ceux qui veulent s’adonner à l’opéra baroque doivent se précipiter sur Artaserse en CD ou mieux en DVD
Pour le reste il y en a de trop, trop difficile.
Mais, la télé a du bon !! suivre Le Trouvère à Orange me rafraîchit la mémoire. Trois versions capitales : Karajan, Leontine Price – Karajan et Callas – Cellini et Milanov
Auriez-vous un ouvrage (papier) à recommander spécialement au profane, et à l’amateur confirmé ?
Bien sûr, le Kobbé pour les opéras
Essai sur la représentation du drame musical de Christian Cherezy
Que représente l’opéra pour vous ? Quelles sont ses spécificités vis-à-vis des autres formes d’expression artistique
C’est avant tout, la corrélation plus ou moins étroite entre musique, théâtre et chant. La voix m’émeut. Le théâtre parlé beaucoup moins surtout quand l’accent détonne complètement. On l’a dit, écrit, “ la voix est un objet de jouissance“ et plus particulièrement la voix de femme qui incarne la jouissance, le “démon de la chair“. D’où l’interdiction des femmes dans les églises et leur traitement par les religions chrétienne et musulmane. L’extase ne doit être que mystique et n’exister qu’avec Dieu. Dans les opéras, elles se vengent des compositeurs qui sont pour la plupart des hommes.
Les soirées les plus mémorables (brillantes on calamiteuses) auxquelles vous ayez assisté, au Capitole ou à la Halle aux grains ?
Quelques soirées mémorables : récemment, Daphné, I due Foscari, La Favorite, Rienzi, Written on skin, madame Butterfly avec justement la Leonora de ce Trouvère d’Orange, la soprano Hui He qui nous avait fortement émue dans ce rôle de Cio-Cio San. Puis en remontant Hippolyte et Aricie, Le Chevalier à la rose avec Sophie Koch, Anne-Catherine Gillet que j’ai oublié de citer plus haut, dernière distrib’, les Maitres chanteurs…
Plus loin, Romeo et Juliette avec Vaduva et Alagna, Elektra dans la mise en scène de Nicolas Joël avec Janis Martin, puis Janice Baird puis Bullock, un rare Janacek au Capitole, Katia Kabanova.
Plus loin encore Montségur à la Halle ainsi que Parsifal
Il y a eu aussi des opéras en concerts comme Werther, Boris Godounov, le Château de Barbe-Bleue
J’oubliais encore un certain Billy Budd en 1994 avec le jeune baryton Andrew Schroeder qui eut sa charge émotionnelle. Et le premier opéra à la Halle avec Fidélio : un vrai choc. Et le Salomé à la Halle. Et le Ring de Nicolas Joël avec pour commencer La Walkyrie en 99. Il rejoignait les hauteurs de certains de ses prédécesseurs car, bizarrement, le Capitole avait aligné auparavant de “sacrées“ distributions dans les “Ring“ donnés et étaient un des rares théâtres français à le faire.
Si j’insiste, je suis sûr que je vais doubler les lignes!!! car, au bilan, on ne s’en sort pas trop mal sur ces dernières dizaines et même sur ces dernières années. Et La Dame de pique? Et l’Eugène Oneguine de Tézier? On n’en finit pas.
Un certain Semiramide fut moins heureux avec le sable en décor qui crissait sous les pieds pendant que les protagonistes essayaient de se faire entendre : ce ne fut pas très heureux.
Il y a quelques mois, la mise en scène toulousaine de Tristan et Isolde a été perturbée par un petit accroc d’ordre technique. Avez-vous le souvenir d’incidents analogues, survenus pendant les années précédentes ?
Peu d’accrocs au Capitole, en sachant bien que l’accroc en question était soi-disant prémédité donc volontaire donc le pire, une forme de sabordage. L’affaire se poursuit : incident technique ou acte délibéré ?
Mais le souvenir des fruits en plastique qui tombent de la corbeille et rebondissent sur le pont de la barquette d’Antoine, vague décor, jusque dans la fosse dans Antoine et Cléopâtre en 78 est un souvenir impérissable. Une création pitoyable d’un opéra sans aucun intérêt.
Un autre moment au Théâtre d’Avignon dans Tosca avec Ghena Dimitrova qui au moment de poignarder Scarpia ne trouve pas le couteau sur la table, et saisit donc, la fourchette !!
Si quelqu’un pouvait me rafraîchir la mémoire de cette représentation d’opéra où les fumigènes mal maîtrisés obligèrent les musiciens, à s’arrêter de jouer, et même de sortir, pendant que les premiers rangs d’orchestre quittaient la salle !!
Ce n’est pas un accroc à proprement parler mais un incident qui peut fortement perturber une représentation. Sur la photo nous avons le jeune Jonas Kaufmann qui faisait ses débuts au Capitole dans Wilhelm Meister du Mignon d’Ambroise Thomas en avril 2001, une très belle production au demeurant. Le beau ténor n’avait pas encore la réputation qu’il aura plus tard. Pas de chance pour le public de la première : le ténor est sans voix!! Mais pas sans jambes! Il va donc mimer son rôle pendant qu’en loge d’avant-scène, un certain Butterfield va chanter la partition!!
Et ce n’est pas tout! Pour ce même opéra, un autre jour, c’est Susan Graham, qui sera déficiente! Là, elle mimera aussi pendant que sa remplaçante arrivée dans l’après-midi, après x heures d’avion, chantera dans un coin sur scène la partition sur un pupitre, et les deux réunies sauveront ainsi la représentation, acclamées par le public! Il faut donc que le Directeur, enfin les directeurs aient les nerfs solides!!!!!!!
Quel bilan tirez-vous de la saison lyrique 2014-2015 ?
Bilan délicat. J’ai préféré les deux précédentes.
Les Britten ont été de grands moments mais, hélas, ont vidé les salles. Le public n’est pas encore assez mûr pour s’en faire 2.
En suivant, Massacre, c’est audacieux mais inaudible, un spectacle confidentiel pour repus de la Traviata, de Tosca et autres tubes. Mais le public vient aussi et revient et rerevient pour ces tubes.
Vous ajoutez une Turandot à la mise en scène décoiffante, urticante et laide, ni rêve, ni émotion, d’une vide sidéral, qui n’était pas attendu de la sorte, alors que tout le reste de la production, est largement positif, un Castor et Pollux avec une production pas très excitante dans sa globalité, mais une mise en scène contemporaine tout à fait défendable, un Fiançailles au couvent qui venait d’être donné, hélas, il y a peu mais qui fut encore plus convaincant que pour sa première saison, un spectacle total, un Bal masqué dans lequel mise en scène, décors et costumes ne pouvaient que soulever quelques questions, une zarzuela moins affûtée qu’il y a quelques années et trop rapprochée en dates aussi.
Wagner nous sauve avec Tristan mais il a fallu faire là encore avec des décors et costumes que l’on avait à l’esprit – les lunettes de soleil de Brangaëne ça ne s’oublie pas. Au moins, a-t-on entendu un Tristan et une Brangaëne exceptionnels. D’ailleurs toute la distribution, finalement fut à saluer.
La situation des scènes de province telles que le Capitole s’est-elle améliorée ou dégradée ?
Chaque production coûte de plus en plus cher. Le public ne se contente plus d’un plateau vocal. Il lui faut aussi des chanteurs-acteurs et donc une mise en scène, décors et costumes. La fosse doit être à la hauteur, les chœurs aussi.
Il faut donc des répétitions donc des productions qui prennent plus de place sur le calendrier donc plus d’argent pour chacune donc moins de productions pour chaque théâtre. Les équilibres à trouver pour chaque saison doivent être bien délicats.
Quelle est aujourd’hui la place du théâtre toulousain ? Quels sont les principaux atouts qui lui permettent de la conserver ?
Le Théâtre du Capitole a l’avantage immense de posséder des unités dans la réalisation, confection de décors et costumes, des ateliers rares. Il faut au maximum les utiliser avant de les voir disparaître.
Pareil pour les Chœurs qui sont reconnus comme remarquables et la troupe du Ballet du Capitole qui pâtit d’une réputation très moyenne mais c’était il y a bien longtemps et certains qui rechignent, feraient bien de se déplacer afin d’être très heureusement surpris.
C’est à toutes ces unités sur place qu’il faut penser en premier.
Et pourquoi ne pas relancer un opéra avec ballet, il y en a des dizaines !
J’allais oublier le rôle primordial de l’orchestre de fosse qui fit encore démonstration dans le Turandot et le Tristan. Ce qui sous entend, des musiciens plus dispo pour le Théâtre.
Les interprètes d’aujourd’hui vous procurent-ils la même satisfaction que ceux d’hier ?
Certains oui, d’autres non. On dit toujours qu’il n’y a plus de voix mais le Calaf est un coréen, Liù une japonaise, etc…des voix, il y en a toujours. Il suffit de tout faire pour les mettre en valeur et pas en difficulté. L’opéra est avant tout du chant.
Une chose est sûre, ils sont beaucoup plus investis du point de vue théâtre et donc, on pourrait être moins exigeant côté chant, mais il se trouve qu’on ne l’est pas du tout pour autant !!
La première de Turandot au Capitole s’est soldée par une splendide bronca, adressée à l’encontre de Calixto Bieito. Vous vous êtes montré extrêmement critique vis-à-vis de sa production dans les colonnes de Culture 31. Quid du problème des mises en scène contemporaines, fustigées par une grande partie du public » traditionnel » ?
Le public dit traditionnel peut apprécier une mise en scène contemporaine mais ce n’est pas parce qu’elle est contemporaine qu’elle est extraordinaire.
Je fais remarquer à nouveau que le public n’a pas été dupe. Il a manifesté bruyamment, son enthousiasme pour tous les points qui lui convenaient, à raison, et bruyamment de même pour ce qu’il avait détesté, mais ce n’était plus de l’enthousiasme. Il a été relativement poli même car la bronca aurait dû s’accompagner de jets de choses diverses hélas non disponibles à l’accueil. Mais la bronca aurait été la même à chaque représentation si les “malfrats de l’art“ avaient dû saluer.
Pour moi, celle de Turandot est contemporaine mais dévoyé par un usurpateur qui dans l’au-delà devrait être lynché par Giacomo. Si on va jusqu’au bout, elle décapite, bon, pourquoi ne pas monter et montrer une décapitation ? Dans Guillaume Tell, il y a viol, bon, pourquoi ne pas montrer un viol ? Visconti avait filmé une violente scène de viol dans son Rocco et ses frères. La censure l’a fait sauter. Le film n’a rien perdu de son impact pour autant.
Contemporain, doit-il être synonyme de trash, de moche, d’absence de rêve, d’agressions visuelles ?
Dans Don Carlo, De Posa est assassiné, doit-on avoir une gerbe de sang qui éclabousse les musiciens ?
Calixto Bieito a trouvé le filon mais il va avoir du mal à se renouveler. Il devrait fréquenter un peu moins Keller, Strong, Ficken 3000, Scheune et autres établissements berlinois,… où on ne passe pas des vidéos d’opéras pour se distraire.
De plus, ce monsieur dit aimer l’opéra alors qu’il fait fi du moindre moment d’émotion. Le public n’a pas le droit de manifester, ni d’applaudir après un air. On avance à la cravache. C’est la négation même de l’essence de l’opéra. Dans le traitement de l’œuvre elle-même transparait un personnage qui ne m’intéresse vraiment pas.
Tout ce qui est appelé mise en scène contemporaine n’est pas rejeté par le public dit “traditionnel“ : l’Or du Rhin d’Aix en 2006 de Stephan Braunschweig fut fort bien accueilli que je sache, et La Femme sans ombre de Nicolas Joël ici même, aussi.
Et tout récemment, dans le contemporain, Un Bal masqué à la Monnaie fut qualifié d’absurde, de “rien à sauver“, tout comme de contresens total pour le Pelléas à l’Opéra de Lyon. Quand la transposition dénature l’œuvre, c’est pire que tout. Et c’est donc bien de l’usurpation qui peut friser l’escroquerie.
Pour ne pas quitter Turandot, j’aurais préféré être à la Scala pour la Princesse de Nina Stemme mais c’était un doux rêve.
Quelle est la dernière production qui vous ait subjugué ?
Don Carlo n’était pas mal du tout, et d’autres, comme Hippolyte et Aricie mais j’ai en tête une Elektra, Eva Marton, au Liceu avec Elektra qui faisait code-phare à Egisthe, planquée dans une vieille traction poussiéreuse, une image assez sensationnelle. Cela venait après des chevaux blancs sur scène entourant Clytemnestre !!
Mais j’en oublie sûrement. Written on skin fut plus que surprenant. Tout comme Rienzi et Belshazzar.
Récemment, notre ami Laurent de Caunes a exprimé son scepticisme vis-à-vis de la retransmission cinématographique des productions du Met ou du Covent Garden. Robert Pénavayre a défendu un point de vue contraire dans les semaines qui ont suivi. Quel est votre avis sur la question ?
C’est facile d’être contre quand on a la possibilité de pouvoir fréquenter les salles. Or, tout le monde n’habite pas à côté du Capitole. Et tout le monde n’a pas les moyens de rejoindre une salle d’art lyrique. Donc, on ne peut jeter aux orties les retransmissions à la télé, d’abord, ni celle proposées dans d’excellentes conditions en salle de cinéma. Mais rien ne peut remplacer l’émotion du direct, c’est certain.
L’inconvénient majeur qui peut en découler, c’est que le public risque de tirer des conclusions hâtives sur les chanteurs, l’orchestre, les balances n’ayant plus rien à voir avec celles en salle, etc……Mais ce n’est pas parce que tout le monde ne peut pas manger de truffe, à savoir aller à l’opéra avec les plus grands chanteurs et chefs, qu’il faut supprimer la truffe des menus, à savoir les retransmissions sous toutes leurs formes.
Quel avenir prédisez-vous à l’art lyrique au XXIe siècle ?
Si l’on reste dans le bien chanté, le bien joué côté fosse, le bien joué côté plateau, il n’y a pas de souci. Si la mise en scène n’est pas là pour dévoyer l’œuvre, aussi. Il y aura toujours des amateurs comme au fil des ans et maintenant des siècles.
On peut remarquer le retour d’une forme d’art lyrique avec le succès des opéras baroques et ce nouvel engouement pour les contreténors, que je partage d’ailleurs.
Par contre, ces créations du XXe et du XXIè qui bannissent le chant, ne pensent que stridences et agressions sonores, refusent toutes lignes mélodiques, leur place n’est pas dans une salle d’art lyrique mais dans des salles d’expérimentation théâtrale. Massacre par exemple n’était pas à sa place.
Quant aux transpositions, elles peuvent être de véritables fossoyeurs de l’œuvre qu’elles sont sensées mettre au goût du jour. La Norma de Salzbourg défendue par Bartoli dans une transposition tirée par les cheveux ne va pas attirer davantage les foules et les motiver tout autant. Quel leurre.
Mais, savez-vous qu’une étude récente, parue en 2007, menée dans dix établissements européens, a pu révéler la poursuite d’un rajeunissement des amateurs d’art lyrique et la montée en puissance des classes moyennes intellectuelles. C’est sûr, 30% seulement des spectateurs ont moins de 45 ans mais le public change pendant que les directeurs de salle font le grand écart pour satisfaire les zappeurs, sans perdre les fidèles, attirer des jeunes sans oublier les bataillons de retraités qui remplissent les caisses, séduire les plus audacieux sans rebuter les plus conformistes. Internet fait aussi bouger les choses car on peut voir sur l’écran la réservation que l’on est en train de faire. c’est une grande amélioration qui n’est absolument pas en contradiction avec l’abonné qui veut le même fauteuil à toutes les représentations. supprimer ce mini-privilège est un non-sens.
Et enfin, entendre encore dire que l’opéra est un art élitiste, c’est ne jamais se rendre à une représentation. Bien sûr, il y a encore des Premières où les fourrures essaient de perdre leur odeur d’antimites – pourtant fortement déconseillés!! mais c’est un soir sur 4, ou 5, ou 6 représentations, et pas dans tous les théâtres.
Et l’histoire de l’opéra prouve bien que le public pouvait être très diversifié. Que diable, il fut un temps où au parterre, il n’y avait pas de fauteuils et le public était debout pendant que les nantis occupaient les étages et les loges et pouvaient gentiment jeter sur le parterre les reliefs du repas : os de poulets, etc…
Elitiste enfin par le prix ? Encore une belle ânerie. Combien certains paient pour Aznavour, ou Jonnhy, ou Leonard Cohen ou Morricone en concert? Combien sont-ils au Zénith? 6000? Combien au Capitole ? 1000 ? L’argument sur le prix des places est un faux argument, fallacieux même. Mais c’est un art subventionné, c’est vrai. Faut-il revenir au temps des nobles ?
Le Capitole pourra-t-il continuer à surmonter les obstacles de la modernité ? Quelles sont ses forces et ses faiblesses dans cette optique ?
La modernité à tout prix est un mauvais calcul. Attention à l’abus des transpositions, justement. L’opéra, c’est d’abord la VOIX. La dite modernité ne peut être prise en considération que si le Capitole est capable de proposer le fond de sauce en permanence. Va pour le lapin au miel mais on peut le préférer avant tout à la moutarde, comme à l’accoutumée. Une saison qui n’offre que 5 ou 6 opéras connus ne peut se permettre de balancer une création, de façon systématique. Ou alors, il ne faut pas l’imposer aux spectateurs, dans les formules d’abonnement par exemple. De plus, le public veut de l’opéra – musique, chant et théâtre. Il est des créations qui ne devraient pas voir le jour !! ou alors en option. Et puis, le Théâtre du Capitole n’a pas vocation à être un théâtre d’opéra expérimental.
Venons-en à l’orchestre du Capitole. Comment pourriez-vous le qualifier, en termes de couleur et de niveau instrumental ?
En termes de couleur, je n’ai pas la prétention d’affirmer que je reconnais l’orchestre du Capitole les yeux fermés, mais dire que j’entends un bon orchestre, oui, d’un bon niveau instrumental, oui, et tous pupitres confondus, aussi. Les cordes ont subi de profonds changements surtout côté violons et contrebasses. Il a fait encore récemment la preuve de son niveau dans son dernier concert à la Halle dirigé par un tout jeune chef, Maxime Pascal.
Dans quelle mesure la phalange a-t-elle évolué depuis la transition Plasson/Sokhiev ?
Tous les pupitres sont beaucoup plus impliqués.
Une forme de ronron qui s’était installé n’est plus de mise. Parlons plutôt de lassitude. Les musiciens se sont-ils sentis comme exclus de tout ce qui pouvait les concerner, enregistrements, concerts en régions, pour les étudiants, etc…Etaient-ils un peu consultés ? En avait-il assez au bout de plus de trente années? Même si les têtes avaient changé dans la phalange sur une durée pareille? Et, qui sait, le leitmotiv, musique française, musique française, commençait à peser avec l’envie de travailler d’autres horizons.
Sokhiev a récupéré un bon orchestre et il a su de par ses exigences personnelles sûrement, un recrutement de très haut niveau, le conforter, et le rajeunir !! Entre les deux chefs, ce n’était pas une question de niveau, mais de vouloir. Il en a fait aussi, indirectement, le meilleur orchestre national de fosse, hors Paris, démonstration encore avec le Turandot tout récent, et le Tristan, et les Fiançailles, et les Britten.
La récente prolongation du contrat de Tugan Sokhiev, lié à l’orchestre du Capitole jusqu’en 2019, a suscité l’enthousiasme des mélomanes toulousains. Quel regard portez-vous sur cette » Sokhievmania » locale, qui ne cesse de progresser depuis maintenant dix ans ?
Le bonhomme est sympathique du moins c’est l’apparence qu’il donne. Il est arrivé au bon moment, exactement comme Plasson durant la saison 68-69, le moment où toutes les conditions étaient réunies pour que la mèche Plasson mette le feu à l’explosif !! Après avoir vécu des concerts dans des salles clairsemées, en 4 ans, il fallait envisager de doubler les concerts (qui avaient lieu au Capitole). D’où le transfert des concerts à la Halle.
On sait que le jeune Tugan Sokhiev entretient des rapports privilégiés avec les musiciens. Comme on dit “le courant passe“.
Qualité primordiale, un charisme très développé. Et une forme d’empathie avec chacun des musiciens, ou presque !!
Leur notoriété, orchestre et chef, ensemble ou séparé, est devenue incontestable.
Et puis, avoir un chef qui est aussi le Directeur musical du Bolchoï, ce ne sont pas tous les orchestres qui peuvent l’inscrire sur leur carte de visite.
Pourtant, le nombre de concerts qu’il dirige lui-même à la Halle n’est pas énorme, 8 au total. Comme quoi, c’est l’impulsion donnée qui compte. Mais les auditeurs – et les musiciens – ne devraient pas oublier certaines pointures qui dirigent leur orchestre comme Noseda, Swensen, Zweden, Antonini, Pons, Mena, Sondergard, Haenchen, Alessandrini, Yamada……
De plus, il faut signaler le rôle prépondérant qu’a pu avoir le Délégué général de l’Orchestre, Thierry d’Argoubet, dans la découverte du bonhomme (2003) son soutien indéfectible, l’élaboration des saisons, la part de “vista“ dans les projets au fil des ans, tout ce qui participe finalement à la réussite de l’ensemble. Et Tugan Sokhiev ne se gêne pas pour le préciser à qui veut bien l’entendre.
L’association dite « Grands Interprètes » vient d’établir son programme pour la saison 2015/2016. Quel bilan tirez-vous de la campagne qui vient de s’achever, et quels seront, selon vous, les temps forts de l’an prochain ?
Plusieurs soirées remarquables, comme Bringuier, Gergiev, Fischer, Minasi, Chung en TOP 5. Et tant d’autres précédemment. Depuis 30 ans, la liste serait trop longue.
Mais, qui dit grand nom, ne veut pas dire pour autant soirée réussie : Jessye Norman, Kiri te Kanawa, Barbara Hendricks, Sophie von Otter furent en récital, calamiteuses !!!!!! et je pèse le mot !!! mais en trente ans, que d’émotions !
L’an prochain, Bartoli bien sûr, Dudamel et son orchestre, les pianos de Andsnes, Sokolov, Argerich et Chamayou. Une des meilleures phalanges de France dirigé par Philippe Jordan, l’Orchestre de l’Opéra de Paris. Pour les amateurs, Jaroussky – Yoncheva dans Alcina, ça ne devrait pas être trop mal non plus.
L’inconvénient, c’est sûr, ce sont les tarifs des places. Mais, il ne faut pas que le public compare ce qui n’est pas comparable. Pour l’ONCT, le coût du concert est couvert à près de 80% par la Mairie. Pour les Grands Interprètes, c’est la billetterie qui couvre plus de 60%.
Quel est le niveau d’attractivité du secteur musical à Toulouse en l’an 2015 ? La crise actuelle parvient-elle à endiguer l’ancienne mélomanie des habitants de la ville rose ?
De la musique à Toulouse il y en a partout, sous toutes formes. Si on parle bien de toutes les musiques.
Il suffit de ne pas faire la fine bouche et délaisser les concerts qui ne sont pas ceux de l’ONCT, ou venant avec GI. La musique de chambre abonde. Les musiques du monde aussi. Il faut bûcher un peu les programmes de toutes les salles.
Il y a un demi-siècle, l’Orchestre du Capitole n’était pas une référence, l’orchestre de fosse non plus. Les Grands Interprètes n’existaient pas. Les clefs de Saint-Pierre non plus, Odyssud non plus, les concerts à la salle Rouge des Augustins non plus, etc…
La musique est un vaste monde. J’ai vu plus de concerts au Bikini que d’opéras au Capitole. Parmi les derniers grands moments, Patti Smith, Alain Bashung, Charlie Winston, j’en oublie ! ce furent des soirées “définitives“.
Inconvénient majeur, certains soirs, vous l’aurez remarqué, on ne peut se dédoubler !! Il est donc interdit de se plaindre, à Toulouse.
Alexandre Parant